Al-Qousseir: l’Exode. Témoignage d’une Syrienne originaire d’Al-Qousseir qui a fui la Syrie

Détruire une ville, ses habitants… et le silence de ladite «communauté internationale»

Entretien privé avec Les Femmes Syriennes  pour la Démocratie (FSD)

Le 29 mai 2013

Les femmes quittent Al-Qousseir suite à un ordre du «Conseil de la Révolution». Il ne reste que quelques familles que les combattants essaient d’évacuer malgré le siège; cela fait deux jours qu’ils tentent de les faire sortir, pendant que les hommes eux restent sur place.

Al-Qousseir est complètement assiégée et la situation y est très mauvaise. Les missiles détruisent les quartiers afin d’ouvrir le passage aux forces du régime pour leur permettre d’entrer dans la ville sans difficulté.

Les jeunes de Al-Qousseir n’arriveront pas seuls à faire face à cette opération militaire du Hezbollah et du régime Assad qui les ciblent de tous les côtés. Les civils restants commencent à demander aux jeunes d’Al-Quusseir (groupe de l’Armée Syrienne Libre – ASL) de se retirer pour ne pas les envoyer à la mort inutilement. Ils sont conscients que l’issue sera la chute si aucun renfort important ne leur parvient.

Aujourd’hui, j’ai parlé avec plusieurs jeunes sur place, ils étaient tous conscients de leur mort prochaine … ils m’ont tous fait leurs adieux. Que Al-Qousseir tombe, ce n’est pas grave, elle n’est qu’une bataille parmi d’autres, mais que vaudra Al-Quusseir sans tous ses jeunes qui rêvaient d’une Syrie meilleure? ça me fend le cœur !!!

La semaine dernière, 12 jeunes de ma famille ont trouvé la mort. Ils sont tous médecins ou avocats… je n’arrive pas à le croire. En l’espace d’une demi-heure tout a changé !!!

Quand je parlais à ces jeunes de mon quartier, il y en a un qui me parlait de sa fiancée qui allait lui manquer, et l’autre qui rêvait de finir son diplôme universitaire. Je sens que la vie tout entière s’est arrêtée sur leurs mots.

Aujourd’hui, ils n’avaient plus d’espoir de s’en sortir…

Le plus difficile, ce sont les jeunes que j’ai rencontrés sur les réseaux sociaux et dont les visages m’étaient inconnus. Je leur avais promis d’assister à leurs mariages… aujourd’hui, je vois leurs photos pour la première fois… car ils sont devenus des Martyrs de la révolution !!!

Je rêvais de pouvoir rentrer au village et faire leur connaissance… mon rêve est brisé.

Je n’avais pas côtoyé cette génération de mon village, car j’habitais Damas ; c’est une génération qui aime la vie et qui rêve d’un monde meilleur. Il m’est insupportable de vivre ces deuils alors que je ne suis plus en Syrie. La seule chose qui m’aide c’est d’être volontaire et active pour contribuer à soulager la souffrance des Syriens. Il m’est indispensable de rester forte pour pouvoir continuer.

Le 5 juin 2013 …

Nous n’avons pas de nouvelles très précises. Ils se retirent d’Al-Qousseir et c’est l’exode… Les gens ont passé la nuit sur les routes. Nous sommes dans l’attente de la moindre nouvelle des nôtres. Nous prions pour eux, c’est la seule chose que nous pouvons faire.

Je n’ai pas pu fermer l’œil de toute la nuit. La seule nouvelle qui nous est parvenue c’est que les membres de ma belle famille ont déjà quitté Al-Qousseir, ils sont maintenant éparpillés sur les routes. Quelle angoisse … d’une intensité qui n’a pas de pareil. Je n’ai jamais éprouvé une chose de semblable de toute ma vie. Je vis aujourd’hui chaque instant de cet exode des Qousseiris. Ils ont dépensé toute leur énergie en résistant le plus longtemps possible, mais tout le monde sait à quel point les forces du régime sont barbares. Elles n’auraient jamais réussi à entrer dans Al-Qusseir sans l’intervention de Hezbollah. Il ne nous reste plus que les prières.

Le 7 juin 2013 …

Ils ne sont toujours pas arrivés. Quatre membres de ma belle-famille ont atteint l’autoroute, mais deux autres sont pris dans le siège de Al-Buweida et l’un d’eux est blessé. Les autres membres de ma famille et voisins sont dispersés sur les routes et nous ne savons rien les concernant. Ils sont tous à pied et ils sont parfois ciblés par les bombardements ou assiégés… Il n’y a pas de mots pour décrire cet exode. Depuis quatre jours, ils marchent sans rien manger ni boire. Le nombre de ces Qousseiris est très grand, avec des blessés parmi eux… certains ont perdu leurs enfants en route et beaucoup de blessés meurent faute de soins.

Mon mari et moi vivons ces instants avec un grand stress. Nous les appelons de temps à autre mais brièvement… ils nous racontent ces dernières nuits passées sous les arbres et sous les bombes… personne ne peut supporter de telles conditions. Tous les Qousseiris vivent ces conditions extrêmes de l’exode. A leur sortie de la ville, ils ont été livrés à eux–mêmes sans la moindre aide pour se mettre à l’abri. Ma nièce qui a vingt ans m’a raconté cet exode «Ma tante, nous sommes exténués … nous avons marché toute la nuit dans l’obscurité et pieds nus … je sens que j’ai cinquante ans … personne ne peut savoir ce que nous vivons, Dieu seul le sait.»

Lorsque j’appelle ma belle-famille, je ne sais plus quoi leur dire, ni comment les consoler … ils n’ont plus rien … et le plus difficile c’est de voir des enfants affronter de telles conditions. Ils vivent des jours indescriptibles. Combien de temps vont–ils mettre pour guérir de ces souffrances?

Mon mari a essayé de convaincre les siens de quitter Al-Qusseir avant ce dernier siège. Ils ont refusé, car ils se sentaient le devoir de rester pour résister, parce qu’ils veulent que la Syrie se libère de ce gang mafieux. Maintenant, il se sent très fébrile face à eux et il a très peur de les perdre ; il s’est dit qu’il pourrait au moins les aider financièrement… ils n’ont plus rien !!! Alors il travaille jour et nuit.

Le 9 juin 2013

Quassem Al-Zein, Médecin à Al-Qusseir écrit

Voyage en enfer, organisé par le régime syrien et le Hezbollah

Les milices  du Hezbollah, dont la «tactique» militaire est étudiée par les militaires français, états-uniens, britanniques... comme s'en vante Al Manar (TV du Hezbollah)
Les milices du Hezbollah, dont la «tactique» militaire est étudiée par les militaires français, états-uniens, britanniques… comme s’en vante Al Manar (TV du Hezbollah)

Ces événements ont commencé avec le siège étouffant de Al-Qousseir dès le 19 mai 2013 avec l’utilisation par le régime de toutes les armes possibles : aviation, tanks, mortiers et missiles.

Tous les jours des martyrs tombaient par dizaines et il y avait beaucoup de blessés. Finalement le nombre de blessés a dépassé 1’300 et on a dénombré plus de 300 martyrs.

Les maisons de Al-Qousseir ont toutes accueilli des blessés : la charge est devenue trop lourde pour les civils ; sans oublier les bombardements, en continu et avec toutes sortes de bombes. Chaque jour on compte toujours plus de morts, plus de déplacés et plus de destructions.

Le plan de la communauté internationale serait-il de réunir Hezbollah, le régime, les extrémistes et les révolutionnaires dans une guerre qui les extermine tous ?… pour la tranquillité d’Israël ?

La décision de retrait des révolutionnaires d’Al-Qusseir était tellement triste et trop difficile ; mais il fallait sauver des vies… Alors, le voyage de la mort commença, évacuant du même coup les civils et les blessés.

La nuit du 4 au 5 juin, nous sommes partis en direction de Al-Bouweida. Alors le Hezbollah et l’armée du régime ont pu entrer dans une ville vide pour piller et terminer sa destruction… On parle dès lors de l’effondrement d’Al-Qousseir et moi je parle de l’effondrement de l’Humanité à Al-Qousseir ce 5 juin au matin.

Nous sommes partis par ce qu’on appelle une «ouverture» entre deux collines… l’ouverture de la mort. Nous portions les blessés sur nos épaules… nous marchions dans l’obscurité dans le silence absolu … seules des prières venaient à l’esprit. Nous avons marché plus de six heures en essuyant les tirs et les roquettes plus d’une fois.

En essayant de sortir par «l’ouverture», nous nous sommes rendus compte qu’un piège nous guettait. Alors nous sommes retournés dans les champs et nous y avons dormi sous les arbres. Au lever du soleil, nous avons été la cible des forces d’Assad qui utilisaient les tanks… nous étions plus de 15’000 : femmes, enfants, vieillards, blessés et certains révolutionnaires. Ces derniers ont fait face pour essayer de sortir les civils et les blessés. Cette bataille a duré toute la journée. Sept blessés sont morts par manque de soins entre-temps.

Malgré ces batailles qui semblaient nous poursuivre, nous partîmes à la recherche d’eau et de  nourriture, mais sans succès… la soif et la faim ajoutaient à la souffrance. Nous avons dû manger les feuillages des arbres et des patates crues.

Le lendemain la même scène se répéta et une vingtaine de blessés sont morts à nouveau. L’un des enfants demandait de l’eau… il est mort de soif, nous n’avons pas pu assouvir son dernier désir.

Le soir, nous avons tenté à nouveau de sortir par l’ouverture, mais les tanks nous guettaient et les blessés et leurs porteurs sont tombés morts sous les tirs de ces criminels. N’ayant rien à manger ni à boire, nous avons affronté le barrage qui nous guettait… le tank a été brûlé et le barrage démoli… nous avons alors avancé. Mais des renforts pour l’armée d’Assad sont vite arrivés et le voyage en enfer continue encore …

J’ai appelé les organisations humanitaires internationales pour qu’elles nous viennent en aide, sans aucun succès.(Traduit de l’arabe par Femmes Syriennes pour la Démocratie)

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Commentaire de FSD:

Que fait la communauté internationale à part contempler, en comptant les morts, un régime qui foule aux pieds l’ensemble des droits humains dont elle se réclame. Rien! Certains l’acclament même: « Assad must stay » (Responsables israéliens, The Times 18.05.13).

Que fait le Conseil de Sécurité? Il réserve comme d’habitude ses services au clientélisme sioniste, américain, russe et chinois (voir liste des recours au « Veto »)

L’OTAN? Fait écho à Obama : «empty talk».

Le CICR? En Syrie, il ne collabore qu’avec le régime Assad.

Médecins Sans Frontières? Ils sont présents dans les zones libérées, tiens! Serait-il possible de faire quelque chose?… AIDEZ LES! AIDEZ NOUS!

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Femme Syrienne pour la Démocratie, 10 juin 2013

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