Egypte. Où est la sécurité et où est l’Etat?

Les sièges du parlement attendent les députés. leur place sera-t-elle dictée par la Sécurité nationale?
Les sièges du parlement attendent les députés. leur place sera-t-elle dictée par la Sécurité nationale?

Par Mahmoud Khalil

Le général Badaoui Abdellatif, député fraîchement élu sur les listes du Wafd [1] vient d’avoir des propos surprenants. Il y a évoqué l’invitation de l’appareil de Sécurité nationale (anciennement la Sécurité de l’Etat) aux députés à rejoindre la Coalition du soutien de l’Etat [2], et ce malgré le scepticisme de beaucoup d’entre eux. Le général Abdellatif a également révélé qu’il avait signé la déclaration de principes qu’il avait reçue de la Coalition, que la liste Fi Hob Misr (Pour l’amour de l’Egypte) entend construire avec le Parti Wafd, après y avoir été invité avec insistance par la Sécurité de l’Etat et par son propre parti, bien qu’il ne fût pas convaincu par l’adhésion à cette coalition.

 

La «poussée» des députés par la Sécurité nationale vers l’adhésion à un groupe parlementaire donné est particulièrement inquiétante. Cela ne présage rien de bon.

• Premièrement, elle montre que cet appareil recommence à jouer le même rôle qu’il jouait sous Moubarak, rôle qui a contribué de façon décisive au déclenchement de la révolution du 25 janvier 2015. Cette tendance se situe dans le contexte du retour d’anciennes pratiques policières qui ne servent ni l’intérêt du peuple, ni celui du pouvoir. C’est ce que suggèrent les propos du député wafdiste selon lequel les députés signataires n’ont pas signé par conviction, mais par obéissance aux consignes de la Sécurité nationale!

• Deuxièmement, la coalition parlementaire prévue sous le slogan du «soutien de l’Etat» sera la «propriété privée» du gouvernement. Elle n’agira que selon les consignes du gouvernement, ce qui est contraire au rôle de contrôle du gouvernement, dévolu au parlement. Comment donc une coalition parlementaire formée par le gouvernement pourrait-elle contrôler ce même gouvernement, lequel dicte aux honorables députés ce qu’ils doivent faire et ne doivent pas faire?

• Le troisième mauvais signe de l’intervention de la Sécurité nationale dans l’Assemblée des députés est que la formation de la nouvelle Assemblée, sous l’œil du gouvernement, a été motivée par l’inquiétude du pouvoir exécutif concernant les larges prérogatives données à l’Assemblée des députés par la Constitution de 2014. Vous avez sans doute suivi la récente polémique autour de l’appel de certains à modifier la constitution, proposition fermement rejetée par de nombreuses personnalités. Visiblement, le gouvernement a trouvé la parade en décidant de diriger la nouvelle assemblée avec les vieilles méthodes à base de consignes et de diktats. Ce sont ces méthodes qui justifient l’entrée en scène de l’appareil de la Sécurité nationale.

• Le quatrième signe est lié à l’indication du député wafdiste que les consignes qu’il a reçues n’émanaient pas uniquement de la Sécurité nationale, mais également de son parti le Wafd et que ce sont bien ces deux parties réunies qui l’ont poussé à signer la déclaration de principes de la Coalition du soutien de l’Etat. Cela signifie que les partis censés représenter l’opposition ont également repris leur ancien rôle consistant à soutenir le régime en secret tout en lançant publiquement deux ou trois critiques pour pouvoir continuer à figurer sur la photo de l’opposition.

En tout cas, les propos du général Badaoui Abdellatif sont graves. Il faut que le ministère de l’Intérieur, le chef du gouvernement et le président de la république nous informent sur la véracité de ces propos tout simplement parce qu’ils portent préjudice à l’ensemble de la scène politique de l’Egypte qui a conduit une révolution contre de genre de pratiques. Si la feuille de route indique bien trois côtés (la Constitution, la Présidence de la république et l’Assemblée des députés), il importe de réaliser que toute déstabilisation d’un côté aura inévitablement des conséquences sur les deux autres.

Le peuple a besoin de comprendre où est la sécurité [3] et où est l’Etat! (Publié dans le quotidien El Watan, le 11 décembre 2015. Traduit et annoté par Hany Hanna pour A l’Encontre)

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[1] Le Wafd est le seul parti égyptien dont l’origine remonte à l’époque précédant la révolution de 1952. Fondé en 1919 dans le but de lutter pour l’indépendance de l’Egypte et pour l’adoption d’une constitution démocratique, il est dissous comme tous les autres partis par le pouvoir nassérien. Autorisé à nouveau sous Sadate, il s’affronte brièvement au pouvoir avant d’être apprivoisé sous Moubarak.

[2] La Coalition du soutien de l’Etat est le groupe parlementaire que tente actuellement de construire le général Seif El Yazal, tête de liste de Fi Hob Misr (Pour l’amour de l’Egypte), principale liste des partisans de Sissi. Ce groupe a l’ambition de regrouper plus de 400 députés sur 550, soit la majorité des 2/3 requise pour la modification de la constitution. Tout comme le maréchal Sissi, le général Seif El Yazal est un ancien des Renseignements militaires.

[3] A propos de sécurité des tensions s’expriment entre un secteur du capital privé qui doit faire face à la position monopoliste de la hiérarchie militaire qui accapare des travaux, sans appel d’offres et, au mieux, sous-traite à un prix contesté des travaux à des entrepreneurs.a (Réd. A l’Encontre)

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