Royaume-Uni-dossier. Ces 6 et 7 février, les soignants engagent une nouvelle étape de mobilisation

Oxford, 6 février

Par Paul Gallagher

Les infirmières et infirmiers d’Angleterre se disent prêts à poursuivre la grève jusqu’à l’été, leur conflit avec le gouvernement ne montrant aucun signe de résolution.

Des promesses ont été faites aux piquets de grève dans tout le pays le 6 février, alors que le NHS (National Health Service) a connu la plus grande journée de débrayage de son histoire. Les membres du Royal College of Nursing [RCN – qui a engagé cette année ses premières grèves depuis 106 ans] ont débrayé dans 77 unités de soins du NHS et ont été rejoints pour la première fois par environ 10 000 ambulanciers.

Le RCN, qui est actuellement mandaté pour mener des grèves jusqu’au mois de mai inclus, a déclaré que les grèves se poursuivraient «aussi longtemps qu’il le faudra», tandis que le syndicat Unite [qui est présent dans le secteur de la santé mais a moins de membres que le RCN dans le NHS] a mis en garde contre un «cycle constant» de grèves.

Les infirmières se mettent à nouveau en grève ce mardi 7 février, les ambulanciers vendredi 10 février et les kinésithérapeutes jeudi 9, laissant les hôpitaux face à une semaine de perturbations. Des dizaines de milliers de rendez-vous et d’opérations non urgentes devraient être reportés.

Les dirigeant·e·s syndicaux sont intervenus en direction du gouvernement pour lui demande de répondre aux revendications afin d’éviter de nouvelles actions de grève, mais le gouvernement [entre autres le ministre de la Santé Steve Barclay] a indiqué qu’il ne bougerait pas sur les salaires pour 2022/23, l’un des principaux points du conflit.

***

S’exprimant lors d’un piquet de grève devant l’hôpital St Mary à Paddington, dans l’ouest de Londres, Pat Cullen, la secrétaire générale du RCN, a déclaré que les grèves des infirmières et infirmiers ainsi que du personnel soignant se poursuivraient jusqu’à ce que le gouvernement écoute leurs revendications: «Tout le monde peut voir la ténacité des soignant·e·s, ces personnes formidables qui se tiennent sur les piquets de grève aujourd’hui, et qui perdent un autre jour de salaire. Elles disent que les patients en ont assez et qu’elles aussi en ont assez. Elles ne veulent pas continuer à voir leur NHS gérer chaque jour une crise. Elles essaient de sauver leur NHS de la catastrophe et elles continueront à le faire dans la mesure où ce gouvernement les écoutera.»

Les grèves qui devaient avoir lieu au Pays de Galles lundi 6 févier ont été annulées car le gouvernement gallois a fait une offre salariale améliorée au personnel du NHS. Pat Cullen a demandé au premier ministre Rishi Sunak de rouvrir les négociations. Elle l’a accusé de vouloir «punir» le personnel de soins d’Angleterre qui est «laissé pour compte».

Sharon Graham, secrétaire générale du syndicat Unite, a déclaré qu’un échec de la réouverture des discussions salariales assurerait un «cycle récurrent d’actions de grève, ce que personne ne souhaite évidemment». Elle a ajouté: «Les salaires de cette année doivent être ajustés.»

***

Quelque 88’000 rendez-vous et opérations ont déjà été reportés en raison des grèves, avant le début de l’action de cette semaine. Les dirigeants du Trust [le NHS trust inclut quelque 219 unités de soins et participe d’une sélection des unités de soins dans le cadre d’une contre-réforme de privatisation] ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas fonctionner correctement tant que les grèves ne prendraient pas fin.

Saffron Cordery, directrice générale adjointe de NHS Providers [favorable à une sélection et à une décentralisation au nom de la dite performance], qui représente les établissements du NHS, a déclaré: «Nous nous attendons à une semaine incroyablement perturbée. J’espère qu’elle se terminera par la venue du gouvernement autour de la table afin de négocier un accord sur les salaires de cette année pour le personnel du NHS.»

Mais lors d’une visite à l’hôpital de Kingston, dans le sud-ouest de Londres, le ministre de la Santé, Steve Barclay, a semblé exclure la possibilité de parvenir à un nouvel accord sur les salaires pour l’exercice en cours. «Nous avons discuté des salaires pour l’année à venir – à partir d’avril 2022 – avec les syndicats. Je ne pense pas qu’il soit juste de revenir à l’année dernière, au mois d’avril, de manière rétrospective. Nous devrions attendre les résultats de l’organe de révision des salaires qui recueille actuellement des preuves et travailler de manière constructive avec les syndicats.» [Le ministère de la Santé n’a pas donné en temps voulu des indications à l’organe de révision. Cela revient de facto à bloquer toute négociation, ce qui est l’orientation politique actuelle du gouvernement, qui joue le pourrissement de la grève, conjointement à un renforcement de la législation anti-syndicale – réd.]

Steve Barclay a déclaré qu’il souhaitait «travailler de manière constructive avec les syndicats» dans le cadre des discussions sur le règlement salarial de l’année prochaine. Le porte-parole officiel du Premier ministre a également déclaré que le gouvernement souhaitait regarder vers l’avant et «non vers l’arrière» lorsqu’il s’agit de négocier les salaires avec les syndicats de la santé! (Article publié le 6 février sur le site de iNews; traduction rédaction A l’Encontre)

*****

Les infirmières en grève du RCN restent déterminées à obtenir une augmentation de salaire appropriée

Cardiff, Pays de Galles, 3 février

Par Yuri Prasad and Sophie Squire

Des milliers d’infirmières et d’infirmiers ont relancé les piquets de grève lundi 6 février à l’occasion de deux journées de grève pour obtenir une augmentation de salaire. L’action du syndicat des infirmiers et infirmières RCN (Royal College of Nursing) frappe fort. Mais jusqu’à présent, le gouvernement conservateur a refusé de céder sur leur volonté de ne pas rouvrir le dossier des salaires pour 2022-23.

Les grévistes de l’University College Hospital, dans le centre de Londres, étaient enthousiastes et animés, les piquets de grève changeant les paroles de chansons pop en «nous voulons un meilleur salaire».

Victoria, une étudiante infirmière, nous a déclaré: «Je travaille pour le NHS depuis trois ans en tant qu’aide-soignante, et maintenant je suis étudiante en soins. Je vais sortir de l’université endettée et je ne serai pas assez payée pour m’en sortir.»

La suggestion de la dirigeante du RCN, Pat Cullen, selon laquelle le syndicat pourrait suspendre les grèves si les conservateurs faisaient une offre de seulement 5,5 % plus une prime unique, a suscité des discussions. C’est l’accord qui a annulé l’action prévue au Pays de Galles cette semaine (voir ci-dessous). «Nous voulons ce que nous avons demandé: le rattrapage de l’inflation [quelque 10,5%] plus 5%», nous a déclaré Helena. «Nous ne demandons que le salaire que nous avons perdu au cours de la dernière décennie. Avec la crise du coût de la vie et l’inflation qui augmente comme elle le fait, je ne pense pas pouvoir me permettre d’accepter moins. Je pense que les gens veulent continuer à se battre pour obtenir l’augmentation de salaire que nous méritons, et nous avons besoin que toute augmentation de salaire corresponde à l’inflation et à ses effets.»

L’humeur était tout aussi joviale mais déterminée au Great Ormond Street Hospital voisin, où les grévistes distribuaient du thé et des biscuits pour maintenir le niveau d’activité. Caroline, une gréviste, nous a déclaré que les infirmières font grève pour des «raisons fondamentales» et pas seulement pour le salaire. Nous voulons pouvoir faire le travail que nous aimons et avoir le sentiment de pouvoir le faire bien. Nous voulons avoir l’impression de rentrer chez nous chaque jour en ayant travaillé au mieux de nos capacités. Mais nous n’avons plus ce sentiment. On a juste l’impression de survivre. Nous voulons avoir de l’espace pour nous changer au travail et prendre une douche. Des collègues se sont fait voler les roues de leur vélo parce qu’il n’y a pas de sécurité. Il n’y a pas de place réservée pour se garer, et même s’il y en avait, les infirmières ne pourraient pas se le permettre [car elles sont payantes].»

De nombreuses infirmières ont été inspirées par la grève de masse de mercredi 1er février [appelé par le TUC pour dénoncer la législation anti-grève et anti-syndicale en préparation]. Mais il y a eu un débat sur la question de savoir si les syndicats de la santé devaient se coordonner avec d’autres.

Certains ont dit que cela risquerait de détourner l’attention du NHS. Mais l’infirmière Gemma a déclaré qu’elle pensait qu’il était important que les travailleurs et travailleuses de différents secteurs se rassemblent. «Je pense que nous sommes au début de nos grèves et que nous avons besoin de tout le soutien que nous pouvons obtenir. Je pense que faire grève ensemble avec d’autres groupes de travailleurs et travailleuses pourrait être important.»

Caroline a ajouté que les infirmières n’abandonneront pas leur combat pour sauver le NHS. «L’ambiance est vraiment bonne dans notre hôpital. Les gens veulent continuer à se battre.»

***

L’accord du Pays de Galles met les grèves en péril

Les dirigeants syndicaux ont annulé les grèves prévues par les infirmières et les ambulanciers au Pays de Galles la semaine dernière. Le gouvernement travailliste gallois a fait une offre misérable de 1,5% supplémentaire sur le règlement salarial de cette année [qui était de 4 à 5% avec un effet rétroactif à avril 2022]. Et il a ajouté 1,5% supplémentaire, mais seulement pour la période avril 2022-avril 2023.

Cela signifie que le salaire total n’augmentera que de 5,5% – et que le 1,5% supplémentaire sera à nouveau enlevé en avril 2023. Honteusement, le RCN et le grand syndicat des ambulanciers, le GMB [syndicat issu d’un processus d’unification initié en 1982 et renforcé en 1989], se sont empressés de suspendre leur grève dans le Pays de Galles.

La dirigeante du RCN a ensuite compliqué la situation. Elle a déclaré que si le gouvernement de Westminster présentait une offre similaire [à celle du Pays de Galles], elle suspendrait également les grèves en Angleterre. C’est une énorme concession qu’aucun syndicaliste sérieux ne devrait faire dans le feu de l’action.

Chaque gréviste vous dira que 5,5% ne fera rien pour mettre fin à la crise du recrutement et de la fidélisation des soignants. Et cela n’aidera guère les salariés de la santé qui cherchent payer leurs factures toujours plus élevées [des statistiques indiquent qu’un grand nombre de soignants ont recours aux banques alimentaires, ce qui est nouveau et révélateur de la crise du secteur hospitalier et de soins – réd.].

Ces décisions et déclarations doivent être un avertissement pour tous les grévistes: de nombreux dirigeants syndicaux veulent trouver un moyen de sortir de la grève. Et pour certains, n’importe quel accord fera l’affaire.

Dans toute l’Angleterre, les ambulanciers des syndicats GMB et Unite ont également fait grève lundi 6 février. «C’est un grand jour pour nous et les gens ici restent très positifs par rapport à la grève», a déclaré Ben, représentant syndical du GMB à Brighton. Il s’est montré cinglant à l’égard de tout accord similaire à celui conclu au Pays de Galles. «L’offre d’un 1,5% supplémentaire plus 1,5% non consolidé est plat de lentilles pour gagner du temps. Nous avons besoin d’une proposition adéquate, à la fois maintenant et à l’avenir. Mais le fait qu’un gouvernement ait négocié avec les syndicats est un pas dans la bonne direction. C’est la force de nos grèves qui leur a forcé la main. Le gouvernement n’a aucune stratégie. Ils ont parié que la population se retournerait contre les grèves de la santé, mais en fait, elle est restée fermement de notre côté. Maintenant, les conservateurs attendent que de nouvelles lois viennent faire obstacle aux grèves, mais cela ne fera que renforcer la détermination des gens.»

En bas de la rue, à l’hôpital Royal Sussex County, l’ambiance était joyeuse. «Les infirmières unies ne seront jamais vaincues», était le chant qui résonnait sur le site.

Une centaine de grévistes ont formé un piquet de grève à l’hôpital d’Aintree, à Liverpool. A Dorchester, dans le sud-ouest de l’Angleterre, les infirmières en grève ont signé une déclaration de solidarité pour leurs collègues grévistes de la station d’ambulance de Weymouth.

Jusqu’à 60 infirmières ont formé un piquet de grève à York, où les militant·e·s locaux signalent une présence moins importante que lors des grèves du mois dernier.

Dans un piquet de grève «relativement calme» à Oxford, Ian, membre d’Unison et du RCN, était en colère contre la proposition du syndicat de suspendre les grèves pour une offre minable. «Les infirmières et infirmiers ne se contenteront pas de cela. Mon loyer vient d’augmenter de 40 livres, et je n’ose pas regarder mes factures d’énergie. Une minuscule augmentation de salaire ne permettra même pas de compenser quelque peu la crise du coût de la vie. Mais les déclarations de certaines directions envoient un message inquiétant aux membres, à savoir que les dirigeants ne sont pas totalement engagés.»

Sur le piquet de grève du syndicat des ambulanciers GMB à Chesterfield, James, partisan du Socialist Worker, rapporte: «Deux sujets de conversation seulement ce matin. Un: la conclusion de la série Happy Valley de la BBC [série abordant entre autres la crise sociale], que tout le monde a aimée. Deux: l’accord avec le Pays de Galles, que tout le monde a trouvé merdique.»

A l’hôpital Guy’s de Londres, la dirigeante du RCN, Pat Cullen, a dû faire face à des questions difficiles concernant sa proposition de suspendre les grèves en Angleterre si le gouvernement conservateur faisait une offre. Elle a insisté sur le fait que les membres auraient le «dernier mot».

Jess Austen, une infirmière en grève à l’hôpital Conquest de Hastings, nous a déclaré: «L’approche du RCN est inefficace et trop polie. J’aimerais voir un débrayage prolongé dans toutes les unités de soins en même temps. Nous voulons absolument établir des liens avec les autres syndicats. Nous voulons être tous dehors ensemble.» (Article publié le 6 février 2023 par Socialist Worker; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*