Allemagne. Les trois «chanceliers» du gouvernement Scholz

Par Michael Jäger

La tâche principale du nouveau gouvernement fédéral est la transformation écologique: c’est ce qu’a dû affirmer le nouveau chancelier Olaf Scholz, SPD, dans son discours de Nouvel An. C’était déjà la tâche principale après 1998, mais seuls les Verts le percevaient à l’époque. Ils furent relégués au rang de «serveurs» par le chancelier SPD Gerhard Schröder [d’octobre 1998 à novembre 2005]. Initialement Schröder lui-même n’avait aucun plan, si bien que ses premières semaines de gouvernement furent chaotiques. «Où est Schröder?», s’est exclamée la presse, puisqu’il n’avait pas encore pris de mesures.

Jusqu’à présent on n’entend pas non plus beaucoup Olaf Scholz. Mais son cabinet donne, malgré tout, l’impression de travailler de manière très professionnelle. Et cela dès le début. Les différences entre les partis de la coalition tricolore [SPD, Verts, FDP] sont et restent évidentes, on ne cherche pas à les masquer, bien au contraire. Pourtant ils travaillent sans friction. Est-ce seulement pour l’instant? En fait, il semble plutôt que se dessine un nouveau style de relations entre les trois composantes.

Dans le plus grand calme, la plupart des ministères ont indiqué les priorités de leur travail ou ont déjà commencé à agir. On ne peut pas toutes les citer, tant elles sont nombreuses. Annalena Baerbock, par exemple, parcourt l’Europe comme si elle avait toujours été ministre fédérale des Affaires étrangères. Elle a également rendu visite à son homologue à Washington. Elle a pu faire comprendre – déjà toute diplomate qu’elle est – qu’elle reste sur ses positions, par exemple le rejet de Nord Stream 2 [gazoduc Russie-mer Baltique-Allemagne], un instrument de chantage russe à ses yeux, sans avoir à le répéter explicitement. [Elle a rencontré lundi 17 janvier le ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine, Dmytro Kuleba, puis le mardi celui de Russie, Sergueï Lavrov]. Le chancelier Scholz ne partage pas son point de vue sur Nord Stream. Mais il laisse à Kevin Kühnert, le nouveau secrétaire général de son parti, le soin de contredire publiquement Baerbock. C’est plus poli.

Nucléaire, gaz et paix

La réaction du ministre Allemand de l’Economie Robert Habeck [Vert] au projet de la Commission européenne de classer l’énergie nucléaire et le gaz parmi les énergies durables avait déjà montré que les Verts s’accommodaient du gazoduc. La Commission voulait manifestement faire plaisir à la fois à la France, dont le président n’est pas favorable au gazoduc mais qui veut encore faire construire des réacteurs nucléaires, et à l’Allemagne, où aucun réacteur nucléaire ne fonctionnera plus fin 2022, mais où le gazoduc sera en revanche en service. Robert Habeck a dénoncé le plan nucléaire, ce qui semblait déjà clore l’affaire, car il ne s’oppose pas au partenariat franco-allemand. Mais entre-temps, le gouvernement Scholz s’est tout de même mis d’accord pour protester à Bruxelles contre la labellisation de l’énergie nucléaire comme énergie de transition – tout en sachant pertinemment qu’il n’y aura de toute façon pas de majorité pour cette position. Mais ce n’est pas Habeck qui l’a annoncé, mais la ministre fédérale verte de l’Environnement Steffi Lemke. Pour le gaz, tout le monde se tait. C’est ainsi que fonctionne la nouvelle coexistence pacifique entre le SPD et les Verts.

Robert Habeck n’a pas réussi à devenir ministre fédéral des Finances, mais il a fait de Sven Giegold l’un de ses secrétaires d’Etat. Sven Giegold est le cofondateur d’Attac, un spécialiste des finances qui siégeait jusqu’à présent au Parlement européen pour les Verts. Il est l’homme qui a déclaré il y a deux ans, lors du congrès des Verts à Bielefeld, qu’il ne s’agissait pas seulement de repeindre le capitalisme en vert, mais de fixer des limites à la croissance: il faut donc «une politique de liberté vers le moins». Le ministère de l’Economie n’en parle pas pour l’instant, mais Cem Özdemir, le ministre fédéral vert de l’Agriculture, l’a déjà fait et a déclenché un premier débat qui se poursuit encore. Steffi Lemke a annoncé vouloir renforcer le droit à l’obtention de pièces détachées afin de ne pas être contraint d’acheter sans cesse de nouveaux appareils électriques.

Steffi Lemke veut également faire enlever les munitions de la Seconde Guerre mondiale qui sont enfouies en mer. L’ancien gouvernement fédéral n’avait pas voulu le faire. Les armes sont également un thème des premières semaines du gouvernement «tricolore». Annalena Baerbock demande une loi plus stricte sur les exportations d’armes. Robert Habeck affirme que le nouveau gouvernement n’est pas responsable des gigantesques livraisons d’armes à l’Egypte approuvées rapidement par le gouvernement Merkel alors qu’il n’était plus que gestionnaire, soit un jour un jour avant que Scholz ne devienne chancelier! Or, l’Egypte est en guerre en Libye et au Yémen. Mais le gouvernement l’est bel et bien dans la mesure où Scholz faisait déjà partie de l’ancien gouvernement, et ce en tant que vice-chancelier. De ce point de vue, la prise de position de Robert Habeck souligne un trait étrange du gouvernement Scholz: il se comporte jusqu’à présent comme s’il était composé de trois chanceliers et de leurs réseaux ministériels. Ainsi, Habeck est évidemment en réseau avec Baerbock, mais celle-ci l’est également avec Claudia Roth, la ministre d’Etat verte de la Culture à la Chancellerie, bien qu’il existe également un département de la Culture au ministère des Affaires étrangères.

Habeck a également souligné sa prétention à être l’un des «chanceliers» en déclarant que la transformation écologique ne pouvait pas être réalisée du jour au lendemain. Implicitement, cela signifie qu’elle aurait pu commencer depuis longtemps – pendant la longue période que Scholz a déjà passée au gouvernement. Cette semaine, Habeck a présenté son «plan sur la protection du climat». Un programme d’urgence doit faire avancer vigoureusement la transition énergétique avant la fin de l’année 2022. Le rôle de Habeck est de fixer les grandes lignes. S’il y a des divergences avec le SPD et le FDP, il les réglera en privé et laissera à d’autres le soin de les exprimer ouvertement.

Christian Lindner [ministre des Finances, FDP] rend également son rôle de «chancelier» assez clair. Comme son FDP ne veut pas assouplir le frein à l’endettement et ne veut pas taxer davantage les super-riches, il a présenté, afin d’obtenir malgré tout de l’argent pour des investissements écologiques de l’Etat, un budget supplémentaire dans lequel les fonds d’aide non utilisés liés à la pandémie sont réaffectés à l’écologie. Il a ainsi reconnu que de tels fonds publics sont en tout cas nécessaires, et pas seulement des fonds privés, comme il l’avait suggéré avant l’entrée du FDP dans ce gouvernement. En dehors de cette question, qu’il ne peut pas éviter en tant que ministre fédéral des Finances, il aime aussi s’étendre sur la politique face au coronavirus ou féliciter son camarade de parti Volker Wissing [ministre des Transports et du Numérique] pour sa volonté de maintenir la diversité des formes de mobilité, et bien sûr la «liberté« des chauffards sur les autoroutes – pas de limite de vitesse –, car, selon le truculent ministre fédéral des Transports, «nous ne devons pas exiger trop de qui que ce soit». Christian Lindner veut en outre mener une «véritable discussion sur l’avenir» avec la CDU, dont son parti ne s’est absolument pas éloigné. Lindner ne partage visiblement pas la perspective de Scholz, qui ne cesse d’affirmer qu’il veut gouverner longtemps avec la coalition tricolore.

Scholz a peu parlé

Le ministre fédéral de la Justice FDP Marco Buschmann fait partie du réseau de Lindner au sein du gouvernement et a déjà proposé plusieurs projets, dont la fin de la conservation des données. Avec la ministre fédérale de l’Intérieur, Nancy Faeser, du SPD, il veut évaluer toutes les lois sur la sécurité sous l’angle des droits des citoyens. Le tempo imposé par ce nouveau gouvernement est vraiment époustouflant, si bien que l’ère Merkel apparaît rétrospectivement comme une période d’immobilisme.

Parmi les ministres du SPD, Karl Lauterbach, ministre fédéral de la Santé, est le membre du cabinet dont la nomination était la plus attendue par les personnes interrogées dans le cadre du baromètre politique de la chaîne de télévision publique ZDF. Pour le reste, le SPD a repris comme principaux ministères non seulement celui de l’Intérieur, mais aussi celui de la Défense. Dans ces domaines, qu’il considère comme les centres du pouvoir gouvernemental, il s’agit principalement d’assurer la continuité politique, mais il met également en évidence de petites différences par rapport à l’ancien gouvernement. Ainsi, la ministre fédérale de la Défense Christine Lambrecht n’achètera peut-être pas d’avions de combat F-18 américains, comme cela était prévu, parce qu’elle cherche, comme elle le dit, «une solution européenne».

Le SPD compte également dans ses rangs le ministre fédéral du Travail Hubertus Heil, le seul avec Scholz à avoir déjà fait partie du gouvernement précédent – sa mission est de mettre en place le salaire minimum de 12 euros –, et la ministre fédérale du Logement Klara Geywitz, qui veut procurer aux bénéficiaires de l’allocation de logement une subvention unique d’au moins 135 euros en raison des frais de chauffage.

Scholz, en tant que chancelier, n’a encore presque rien dit. Il ne faut toutefois pas s’attendre à ce qu’il «sévisse» prochainement comme Schröder autrefois. Même s’il en avait l’occasion: contrairement à Schröder, il ne peut plus intimider les Verts, car ces derniers pourraient à tout moment se tourner vers la CDU/CSU, et encore moins le FDP et cela pour la même raison. Il cherchera avant tout son rôle dans la politique étrangère et ne se laissera pas contester par Annalena Baerbock (et ce n’est pas faux non plus). Pour le reste, il semble vouloir être une sorte de deuxième président fédéral, au sein même du cabinet gouvernemental, qui demande sans cesse aux gens d’avoir du «respect» les uns pour les autres (et ce n’est pas faux non plus). Il pense certainement qu’il n’a pas besoin d’en faire plus pour être, selon le modèle éprouvé de Merkel, celui qui profitera avant tout du succès du travail des ministères, c’est-à-dire être réélu chancelier.

Scholz va-t-il plutôt favoriser la transition écologique ou plutôt la freiner? Et que fera le «chancelier» Habeck si Scholz y fait obstacle? On peut se demander si Habeck a déjà trouvé le temps, au cours de ces premières semaines de gouvernement, d’attirer l’attention sur les obligations écologiques du ministère des Transports, désormais dominé par le FDP. Tout bien considéré, on peut dire que c’est une chance pour les Verts que Baerbock ne soit pas devenue chancelière, car elle n’aurait pas eu d’autre choix que de gouverner avec le SPD et le FDP. L’échec écologique de ce gouvernement, s’il se serait produit, n’aurait alors pas été imputé à Scholz, mais à elle. Et cet échec pourrait fort bien se produire, car les trois «chanceliers» s’orientent avant tout vers l’innovation technique et beaucoup moins vers un changement des habitudes et des incitations de consommation dans le capitalisme. Le meilleur mot de Habeck jusqu’à présent a été celui de «gouvernement apprenant». Même si l’on doute qu’il soit vraiment capable d’apprendre: il s’agit en tout cas d’une expérience importante. (Article publié sur le site Der Freitag, le 13 janvier 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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