Serbie. Le président et les réseaux criminels

Le président qui «met en musique» la Serbie

Par Stéphane Surprenant (traduction)

«Vous m’étranglez… Vous m’étranglez! Je n’ai rien fait!», crie un jeune manifestant anti-Vucic, alors qu’un groupe de baraqués le traîne par le cou. Les mêmes se tournent alors vers une journaliste de Danas, qui essaie d’interviewer un homme âgé tenant une pancarte hostile au gouvernement: «Arrêtez de prendre des photos ou je saisis votre téléphone», ordonne l’un des individus, avant d’emmener la journaliste à l’écart. Un homme tient un photographe par le cou, tandis qu’un autre lui retient les bras pour l’empêcher de prendre des photos des manifestants…

Après ces incidents, le Président Alexandar Vucic [Parti progressiste serbe (SNS), président de la République depuis mai 2017; président du gouvernement de la Serbie de 2014 à 2017; et antérieurement avait été un ministre de l’information très qualifié pour fermer des chaînes de TV] a d’abord présenté ses excuses, puis il a justifié ces violences, arguant que ces hommes avaient assuré la sécurité [1].

Dans un communiqué officiel, le Parti progressiste serbe (SNS) a critiqué les médias ayant rapporté ces violences, les accusant de couverture biaisée: «Ce sont les mêmes médias qui attaquent le service de sécurité du SNS, chargés d’empêcher les manifestants de perturber la cérémonie, qui ciblent ouvertement les gardes et les dépeignent comme une bande de brutes monstrueuses ». Un député du SNS, Vladimir Djukanovic, a même tweeté: «Soutien total aux gars qui ont déplacé les provocateurs du rassemblement légal du SNS». Les victimes ont par la suite déclaré qu’aucun des agresseurs n’avait décliné son identité, ni ne portait le moindre insigne prouvant qu’il appartenait à un service d’ordre officiel.

• En Serbie, les collusions entre criminels et hommes politiques remontent à la désintégration de la Yougoslavie, au début des années 1990. Zeljko Raznatovic, alias Arkan, avait recruté les membres de sa milice des «Tigres» parmi les hooligans de Belgrade. Arkan a été abattu le 15 janvier 2000, mais les hooligans ont continué à jouer un rôle important dans la politique serbe. Le journal KRIK a montré que les relations entre le gouvernement serbe, les milieux criminels et les bandes de hooligans n’ont pas cessé avec l’arrivée d’Aleksandar Vucic, le nouveau président soi-disant «pro-occidental». En effet, un homme portant une chemise bleue, photographié en train de tenir le bras d’un manifestant lors de la cérémonie d’investiture, est un associé de l’une des figures les plus connues du milieu interlope serbe. Les hommes de «Salé le Muet».

D’après son profil Facebook, Borko Aranitovic – qui travaille parfois comme gardien de sécurité sur des péniches-discothèques de Belgrade – est un proche de la bande d’Aleksandar Stankovic, un caïd assassiné en octobre 2016, plus connu sous le sobriquet de «Salé le Muet» (Sale Mutavi). Stankovic avait été reconnu coupable de diriger un groupe criminel impliqué dans le trafic de drogue. Il était également le chef des Janjicari (les «Janissaires»), un groupe de hooligans violents associés au club Partizan.

Des journalistes ont identifié Borko Aranitovic en comparant les photos de son profil Facebook avec celles de l’investiture. Il s’agit clairement de la même personne: un jeune homme aux traits durs, un grain de beauté sur le menton et ce qui semble être une cicatrice sur la tête. D’autres photos sur Facebook le montrent portant l’uniforme du service de sécurité du «Freestyler», une boîte de nuit située sur une barge amarrée sur la Save.

Borko Aranitovic apparaît en outre en compagnie d’hommes de la bande de «Salé le Muet» sur la vidéo d’une caméra de sécurité montrant le passage à tabac de Zoran Jaksic, l’un des chefs du groupe America, un ancien escadron de la mort reconverti en réseau international de trafic de drogue. Zoran Jaksic est actuellement en procès au Pérou pour trafic de drogue. La vidéo du passage à tabac, filmée par quelqu’un qui rit, a été publiée par les quotidiens Kurir et Blic [qui a été lancé par Ringier éditeur du Blick helvétique]. Kurir affirme que la voix entendue est celle de Nenad Vuckovic, membre de la Gendarmerie, une unité d’élite de la police serbe.

Les liens entre Nenad Vuckovic et «Salé le Muet» ont été largement démontrés. Le nom de Nenad Vuckovic apparaît dans une plainte criminelle déposée contre deux officiers de l’armée, soupçonnés de les avoir laissés, lui et «Salé le Muet», utiliser un stand de tir, des armes et des munitions de l’armée pour s’exercer. Quand «Salé le Muet» a été assassiné, une notice nécrologique signée par un certain «Vucko» disait: «Dernières salutations à mon meilleur ami». Peu après, une photo montrant les deux hommes encourageant le Partizan lors d’un match apparaissait dans les médias. Le ministre de la Police de la Serbie, Nebojša Stefanovic, n’a pourtant vu aucun problème dans ces relations entre un policier et une figure de l’underground, expliquant aux journalistes qu’«encourager la même équipe de foot n’est pas une violation de la loi». (Publié le 27 juillet 2017, sur Le Courrier des Balkans; titre raccourci par la Réd. de A l’Encontre)

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[1] Avant l’élection à la présidence, Aleksandar Vucic a fait la démonstration de ce qui s’appelle aujourd’hui le «pragmatisme». Autrement dit une diplomatie verbale et une figuration qui se fiancent (mais ne se marient pas officiellement) avec une disposition politique effective qui, elle, donne le signal nécessaire au courant hypernationaliste serbe que ce soit au moyen de l’opération du train (en janvier 2017) devant entrer au Kosovo (dont la direction mafieuse s’adapte aussi au pragmatisme revu et corrigé mode Union européenne), train recouvert de slogans nationalistes, ou encore son soutien, en sous-table, à Republika Srpska (enclave politique en Bosnie-Herzégovine) lors de sa «fête nationale, sans mentionner les liaisons militaires avec la Russie de Poutine. Le Monde du 2 avril 2017 citait un journaliste de Belgrade: «Cette position d’équilibre permanent permet à Vucic de maintenir aux yeux des Européens son image de garant de la stabilité, tout en se posant en protecteur des Serbes de toute la région.» (Réd. A l’Encontre)

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