Les syndicats hésitent. Ils se donnent quinze jours

Par Mathieu Magnaudeix

Pas facile de se mettre d’accord à huit organisations [Intersynidcale], même après la journée «exceptionnelle» de mardi 7 septembre. Il aura fallu près de quatre heures aux syndicats, mercredi, pour arrêter une nouvelle date de grève contre la réforme des retraites. Ce sera le 23 septembre 2010, après l’examen du texte à l’Assemblée nationale et avant son passage au Sénat. «Il est indispensable que la mobilisation se poursuive et s’amplifie», a estimé Marcel Grignard (CFDT). Selon le communiqué commun [voir-ci-dessous], la réforme du gouvernement reste «injuste et inacceptable».

Entre-temps, les syndicats appellent le 15 septembre, jour du vote à l’Assemblée, à une «journée forte d’initiatives et d’interpellations des députés, des membres du gouvernement et du Président de la République dans les départements et les circonscriptions», dont les modalités restent à définir.

Unanimes, les organisations de salariés estiment que les ouvertures du chef de l’Etat sur la pénibilité, les polypensionnés et les carrières longues, annoncées mercredi en conseil des ministres, s’apparentent à du «bricolage» (CFDT) ou à des «mesurettes» (FO – Force ouvrière dont le secrétaire général est Jean-Claude Maiily). Mercredi, Nicolas Sarkozy l’a martelé: pas question de revenir sur le report de l’âge légal de 60 à 62 ans, ni sur le passage de l’âge où la décote s’annule de 65 à 67 ans. Deux dispositions qui cristallisaient mardi la colère dans les cortèges.

Exit pourtant, le scénario-éclair d’une grande mobilisation dès la semaine prochaine, qui pourtant semblait tenir la route mardi soir, dans l’enthousiasme de la manifestation. Mercredi matin (8 septembre 2010), plusieurs dirigeants évoquaient même une journée de grève dès le 15 septembre. La CGT faisant face à la pression insistante d’une partie de ses unions départementales, partisanes de grèves reconductibles dès la semaine prochaine. Mais, face à l’enjeu, les syndicats ont semble-t-il pris peur. Craignant de tout perdre en cas de mobilisation moindre la semaine prochaine, la plupart ont préféré temporiser.

Défendant l’idée d’une grève rapide mais aussi d’un retrait du texte gouvernemental, Sud et Force ouvrière n’ont donc pas signé le texte de l’intersyndicale, mais n’excluent pas de le faire dans les prochains jours. «Nous souhaitions une suite très rapide à la journée du 7 pour construire un rapport de force, déplore Annick Coupé de Sud. Nous n’avons pas été entendus, mais restons dans l’intersyndicale.». FO est sur la même ligne.

Renoncement?

S’agit-il d’un renoncement? Les syndicats balaient l’idée. «Le 23, bon sang, c’est dans quinze jours, ce n’est pas loin!», dit Nadine Prigent (CGT). Visiblement, ils pensent avoir fait le plein hier et doutent qu’une telle performance puisse être rééditée dans un délai rapide. «Aviez-vous peur de ne pas mobiliser la semaine prochaine?», demande un journaliste. «Oui, oui…» acquiesce Nadine Prigent. «Il y a des conditions à créer pour une mobilisation qui compte.» «On a un vrai problème, confirme Jean Grosset (Unsa). Pour peser sur le gouvernement, il faut une mobilisation plus importante, plus large, avec d’autres secteurs.»

La majorité des syndicats (CFDT, CGT, Unsa, mais aussi la CFTC (chrétien) et la CGC (cadres) a donc préféré la jouer très prudent. «Ceux qui sont déjà mobilisés appartiennent aux secteurs où nous sommes organisés, estime Nadine Prigent. Mais vu le monde du travail d’aujourd’hui, nos propres capacités et notre implantation syndicale, il faut bien quinze jours de délai si on veut franchir une étape supplémentaire.»

Un véritable aveu de faiblesse, comme un retour à la réalité du syndicalisme français après le triomphalisme de la veille. Une confirmation aussi, de ce que le temps politique va plus vite que celui des grosses machines syndicales. Et a fortiori d’une intersyndicale à huit, qui doit intégrer les desiderata, les positions et les postures des uns et des autres.

Sur le fond, les syndicats disent ne pas avoir l’intention de lâcher: «Le gouvernement a son calendrier, mais nous avons le nôtre.» Ils insistent sur leur unité, disent vouloir construire un mouvement «dans la durée», pour obtenir des modifications substantielles du texte. Et n’excluent pas une mobilisation un week-end d’octobre, ce dont la CGT n’a pas voulu cette fois-ci: il paraît que dans la culture maison, c’est un aveu de faiblesse…

D’ici là, ils vont sensibiliser les parlementaires. «Quand on parle aux députés individuellement, ils reconnaissent qu’il y a des injustices. Idem pour les sénateurs. Après il y a les logiques de parti… », déplore Marcel Grignard (CFDT). Mais la majorité des organisations (à part FO, la FSU et Solidaires) refuse plus que jamais d’appeler au retrait du texte. «Demander le retrait, c’est le risque de laisser penser qu’il n’y a pas de problème avec les retraites. Or nous souhaitons une réforme, mais pas celle-là», dit Jean Grosset (Unsa, réformiste). Pas question non plus de se substituer au parti socialiste, qui a choisi de ne pas polémiquer à l’Assemblée sur l’affaire Woerth-Bettencourt et de se consacrer uniquement au fond. «Engager l’épreuve de force politique, exiger le retrait du projet de loi et viser la démission du président de la République, ce n’est pas la logique de notre démarche syndicale», martèle Jean-Louis Malys. Il réfute toute idée de «deal» avec le gouvernement, qu’il soit «total ou partiel».

Derrière l’unité affichée, se cachent pourtant assez mal des divergences profondes. La CFDT n’a pas renoncé à son idée d’une remise à plat du système de retraite, et a tenu mercredi à souligner les «concessions» de Nicolas Sarkozy, comme une porte laissée entrouverte. La CGT, elle, joue la contestation frontale tout en freinant les ardeurs de ceux qui, en son sein, prônent la grève générale…

Voilà donc pour la cuisine confédérale de ce mercredi 8 septembre. Après la journée d’hier, on se dit tout de même que ces considérations stratégiques compliquées vont être assez difficiles à expliquer à ceux qui ont manifesté. Et que le grand vainqueur de ce grand jeu à huit organisations risque, in fine, d’être le gouvernement, qui espère tirer parti du calendrier très resserré qu’il a imposé.

Mardi 7 septembre, les syndicalistes interrogés par Mediapart évoquaient un élan rappelant le conflit anti-CPE. Mais entre début mars et début avril 2006, il y avait eu quatre manifestations, dont deux de très forte ampleur. Dans les états-majors syndicaux, personne ne sait aujourd’hui si une telle série est à nouveau possible en 2010.

* Cet article de Mathieu Magnaudeix est publié sur l’excellent site en ligne Mediapart, dirigé par Edwy Plenel. Un site que les lectrices et lecteurs de Suisse romande pourraient soutenir. Cela le changerait du pensum d’une lecture du Temps, fait souvent d’articles de Libération, du Soir (Belgique, pas mauvais selon les sujets), du Monde.

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Intersyndicale: communiqué commun CFDT, CFE/CGC, CFTC, CGT, FSU, UNS*

Fortes de la réussite exceptionnelle du 7 septembre les organisations syndicales considèrent que les annonces du Président de la République, qui se voulaient une réponse aux mobilisations, ne modifient pas le caractère injuste et inacceptable de la réforme proposée.

Réunies le 8 septembre 2010 elles décident de poursuivre et d’amplifier le processus de mobilisation pour obtenir des mesures justes et efficaces afin d’assurer la pérennité du système de retraites par répartition.

Elles appellent à faire du mercredi 15 septembre, jour du vote par les députés du projet de loi, une journée forte d’initiatives et d’interpellations des députés, des membres du gouvernement et du Président de la République dans les départements et les circonscriptions.

Avant le débat au Sénat elles décident de faire du jeudi 23 septembre une grande journée de grèves et de manifestations dans tout le pays (8 septembre 2010)

* A remarquer que Solidaires et FO n’ont pas signé le communiqué.

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