«Les grèves ont fait mal à Ryanair»

Par Bernard Padoan
(avec AFP)

«C’est la faute aux grévistes (et un peu aussi au pétrole)». Voilà, en substance, le message adressé ce lundi par la compagnie aérienne Ryanair aux marchés. Dans un communiqué, le transporteur irlandais à bas coût a dit s’attendre désormais à un bénéfice net entre 1,10 et 1,20 milliard d’euros pour son exercice 2018-2019 (achevé fin mars), contre une précédente estimation entre 1,25 et 1,35 milliard. On est bien loin du résultat net de 2017-2018, qui pour rappel se montait à 1,45 milliard d’euros. Pour Ryanair, l’explication de ce «profit warning» tient en un facteur: les grèves du personnel.

Il est vrai que la compagnie fait face à un mouvement social inédit depuis plusieurs mois de la part de ses pilotes [souvent ayant un statut d’auto-entrepèreneur] et son personnel de cabine, pour réclamer de meilleures conditions de travail. Vendredi dernier, Ryanair a été contrainte d’annuler 250 vols en raison d’une nouvelle grève dans plusieurs pays européens, dont la Belgique, du personnel de cabine et des pilotes.

Une grève qui s’inscrivait dans la continuité d’un mouvement social entamé cet été avec deux vastes mouvements coordonnés: chez le personnel de cabine fin juillet (600 vols annulés, 100 000 passagers touchés) puis chez les pilotes en août (400 vols annulés, 55 000 passagers touchés). Ryanair avait aussi dû annuler 150 vols en Allemagne le 12 septembre en raison d’une grève des pilotes et du personnel.

Ryanair souligne que les récents mouvements de grève [1] ont entraîné une réduction du nombre de passagers transportés et des tarifs proposés au cours du deuxième trimestre (juillet-septembre). La compagnie, qui n’a eu pourtant de cesse de minimiser ces mouvements sociaux, s’attend à un troisième trimestre morose, au cours d’une période clé qui comprend la période des vacances d’octobre et de Noël. Elle juge en particulier que la crainte de nouvelles grèves a affecté la confiance des consommateurs, qui sont plus hésitants à réserver des vols Ryanair. La compagnie mentionne en outre les coûts liés à la prise en charge des clients qui ont été privés de vols à cause des grèves. Et enfin, elle relève une augmentation de ses prix du kérosène, dans la foulée de la hausse des cours du pétrole.

«La confiance des clients, les réservations et les tarifs au troisième trimestre sont affectés (…) dans ces cinq pays où des grèves inutiles [sic] se sont répétées», à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne et le Portugal, a dénoncé le directeur général Michael O’Leary. En conséquence, «nous avons décidé de réduire nos capacités pour l’hiver 2018 (de 1%)» , en fermant deux bases en Europe, une au Pays-Bas (Eindhoven) et une en Allemagne (Brême), et en réduisant l’activité d’une autre base allemande (Niederrhein), le tout à partir du 5 novembre 2018. Ryanair explique qu’elle va engager des consultations avec ses pilotes et personnels de cabine afin de limiter les suppressions d’emplois. Elle prévoit de proposer des affectations vers d’autres bases et des congés non rémunérés.

Dans ces conditions, Ryanair s’attend à transporter sur son exercice moins de passagers que prévu, à savoir 138 millions, contre 139 selon un précédent objectif. Surtout, la compagnie prévient qu’elle n’exclut pas d’abaisser à nouveau ses prévisions de bénéfice en cas de nouvelles perturbations d’ici fin décembre. De quoi fâcher les investisseurs: à la Bourse de Londres, le titre de Ryanair a chuté de 12,81% à 11,43 euros. Signe de la défiance envers le groupe, le titre a perdu 25% depuis le début du mois de juillet. (Article publié en date du 2 octobre 2018 par le quotidien Le Soir, https://journal.lesoir.be/, reproduit avec autorisation de l’éditeur)

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Claude Rolin, le 28 septembre 2018

[1] Dans un entretien accordé à France culture – le vendredi 28 septembre 2018, lors du journal d’information de 12h30 – par Claude Rolin, député européen du parti belge Centre démocrate humaniste (qui est membre du groupe du PPE au Parlement européen) et vice-président de la Commission emplois et affaires sociales, ce dernier soulignait que la grève «paneuropéenne» était «le seul moyen» pour mettre en question la politique de la compagnie qui «joue sur les différences de législation entre les Etats». Et pour cela, elle se base sur des contrats irlandais «de façon à éviter des éléments de sécurité sociale, de droit du travail et la façon de payer les gens». C. Rolin indique que près de 50% du personnel de cabine dépend de contrats d’intérimaire et dépend donc de sociétés d’intérim. Et une «partie non négligeable des pilotes sont des indépendants, c’est ce qu’on appelle en termes juridiques des faux indépendants. C’est-à-dire des gens qui n’ont pas un statut de salarié pour la compagnie, mais qui n’ont qu’un seul employeur, la compagnie Ryanair». Il est favorable à des sanctions contre cette société. Il conclut que ces pratiques patronales sont «dignes d’un autre siècle». Claude Rolin décrit la politique répressive contre les activités syndicales et aussi la crainte qui pousse des salarié·e·s à refuser, par exemple, un entretien à une radio lors de la grève, de peur d’être licencié.

On peut se poser une question: est-ce des «pratiques d’un autre siècle» ou plutôt celles qui prennent leur essor dans ce XXIe siècle? La réponse à la question est fournie par la multiplication de telles pratiques, dans tous les pays: soit des statuts précarisés de plus en plus nombreux – ayant diverses formes – du salariat de ce XXIe siècle. (Rédaction A l’Encontre)

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