Italie. La contre-réforme scolaire est approuvée. La résistance reste nécessaire

sciopero-5-maggio-770x516Par Sinistra Anticapitalista

En dépit du large front d’opposition du « monde de l’école » – enseignants, étudiants, élèves et parents, soutenus par tous les syndicats du secteur – contre le projet néolibéral de « Bonne école » piloté par le premier ministre Renzi, ce projet a été approuvé pour l’essentiel par le parlement. Le projet a recueilli une double majorité au Sénat, le 25 juin, et à la Chambre des députés, le 7 juillet. La mobilisation a  été significative. Elle a permis de montrer a contrario la détermination du gouvernement Renzi quant aux buts déclarés. Le projet de « Bonne école » a toutefois accru les tensions visibles au sein du Parti démocrate (PD). Dès lors, elle a participé à la perte d’audience de Renzi vis-à-vis de son électorat dont les enseignants et les salariés du secteur public constituent une partie importante.

Cela a été évident lors de la votation à la Chambre des députés du projet de « Bonne école ». Il n’a pas réuni le consensus habituel. Une opposition non négligeable au sein même du PD s’est manifestée. Evidemment n’est pas remise en cause l’orientation générale de ce parti. Il élabore et fait appliquer les contre-réformes que les gouvernements précédents – ceux de Berlusconi et ceux dit « techniques » Monti et Letta – n’ont pas réussi à mener jusqu’au bout. L’exemple de la réforme du travail nommé « Jobs Act » l’illustre (voir à ce propos l’article publié sur ce site le 11 mai 2015).

Le «nouveau» projet politique de l’un des principaux « dissidents » de Renzi – ex-membre du PD – Beppe Civati montre qu’il reste encastré dans le paradigme d’origine. Civati a choisi un nom fort éloquent pour sa formation politique : « Possibile » (« Possible »). Le but est de rassembler les forces d’une dite gauche en dehors du PD afin de constituer un pôle strictement électoral capable de capter le mécontentement des secteurs de l’électorat italien qui s’expriment entre autres par l’abstentionnisme. En réalité, ce logo partisan occulte les réelles ambitions personnelle et électoraliste de ce genre des personnages politiques. Et les thèmes politiques développés répondent à ces objectifs. Ce type de formation ne peut constituer un obstacle au renforcement de la montée de la droite xénophobe et raciste en Italie, telle que le traduit la « nouvelle » Ligue du Nord de Matteo Salvini. De la Ligue du Nord, Salvini a passé à la « Ligue nationale », un parti qui se construit à l’échelle nationale. Le capital qu’il tente de faire fructifier : l’anti-Union européenne de la droite dure, dans la lignée de Marine Le Pen avec qui il collabore, et la haine envers les migrants. Le 21 juin 2015, une centaine de délégations venant du Sud (de Latium, Pouilles, Basilicate, Sicile et Sardaigne) ont participé à la rencontre historique de la Ligue à Pontida, Province de Bergame en Lombardie.

C’est entre autres par rapport à ce péril social et politique qu’il faut saisir l’appel à la poursuite de la mobilisation du « monde de l’école » sans renoncer à la perspective d’imposer le retrait du projet de « Bonne école ». Une première victoire partielle serait importante pour contribuer à relancer une résistance à l’échelle nationale. Ainsi, l’appel lancé sur les réseaux sociaux pour un référendum abrogatif de la loi est important. Il a déjà récolté plus de 67’000 signatures parmi les enseignants, les étudiants, élèves et parents du monde de l’école. Cette initiative veut contribuer à la promotion du référendum qui, s’il était lancé, devrait récolter 500’000 signatures selon le système politique italien. Certes le projet est ambitieux. Il pourrait toutefois se concrétiser en s’appuyant sur la dynamique des mobilisations enclenchée contre ce projet. Le danger sera certes de tomber dans le piège de penser qu’une seule riposte « institutionnelle » puisse être efficace. C’est à ce genre de perspective que le Mouvement cinq étoiles du comédien Beppe Grillo ou la nouvelle formation politique « Possible » pensent. Une récupération de ce type pourrait se réaliser si une action directe assez large ne réémerge pas au début de l’automne. Nous publions ci-dessous le communiqué de Sinistra Anticapitalista. (Réd. A l’Encontre)

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Aujourd’hui, le décret-loi (DDL) [de la « Bonne école »] a été approuvé à la Chambre des députés avec une majorité limitée de 227 députés sur les 395 sur lesquels le gouvernement Renzi aurait pu compter [1].  Beaucoup des députés étaient absents ou se sont abstenus au moment du vote. On dénombre aussi des votes d’opposition parmi les députés qui composent la majorité du gouvernement. Le mouvement de l’école a mis sérieusement en difficulté le gouvernement de Renzi et le Parti Démocrate (PD). Toutefois, cela n’a pas suffi à arrêter cette « réforme » anti-démocratique de l’école qui – suite au prévisible (mais pas pour autant légitime) aval du président de la République [Sergio Mattarella] – deviendra de facto une loi.

Sous l’effet de cette loi, des centaines des milliers de salarié·e·s précaires risquent de ne pas voir leurs contrats renouvelés. Ceux et celles qui seront embauchés avec un contrat à temps déterminé – un droit qui était déjà garanti par la norme européenne [2] – seront soumis toute de suite au chantage des directeurs d’école gendarmes qui pourront choisir les enseignant·e·s à partir des « listes territoriales » et sur la base de leur curriculum. De plus, les directeurs auront aussi la possibilité de se séparer, après trois ans, des enseignant·e·s jugés « indésirables ».

Comme c’était le cas avec le Jobs Act, en utilisant la rhétorique autour de la précarité on frappe avant tout les jeunes salarié·e·s en les condamnant ainsi à une condition de précarité à temps indéterminé et en péjorant progressivement leurs conditions de travail. Le gouvernement Renzi a aussi trompé pour la énième fois l’opinion publique en présentant cette loi comme étant urgente afin d’embaucher les précaires tandis que depuis septembre ce sont seulement les enseignant·e·s qui entrent dans le règlement en vigueur qui vont entre embauchés. Les autres doivent attendre, malgré une nomination symbolique, l’année scolaire 2016-2017.

Grâce à cette loi, les dirigeants scolaires disposent d’un pouvoir de chantage permanent vis-à-vis de tout le personnel de l’école. Cela est possible à travers un mécanisme qui ressemble à l’ancien « chiamata diretta » [appel direct des embauchés] qui était déjà proposé par le dernier gouvernement Berlusconi [7 mai 2008 – 16 novembre 2011] ou par un système arbitraire d’évaluation du travail d’enseignement dans le but de stimuler la concurrence des établissements scolaires sur le marché, en ouvrant ainsi la porte au financement privé. N’en déplaise à la liberté et au pluralisme de l’enseignement qui devraient caractériser un système d’éducation publique…

imagesGrâce à cette loi les établissements scolaires vont fonctionner de manière de plus en plus autoritaire. Les organes collégiaux seront affaiblis et la participation des membres du « monde de l’école » (les étudiants avant tout) sera remise en cause. Enfin, le rôle contractuel des syndicats est davantage compromis en termes de représentation, que ce soit à l’échelle des établissements ou sur le plan national.

Par cette « réforme » le gouvernement Renzi a attaqué l’une des catégories des salariés la plus combative dans la période actuelle. Les enseignants avaient en effet réussi à bloquer les projets de contre-réformes avancées au nom des politiques d’austérité des gouvernements Monti [16 novembre 2011 – 28 avril 2013] et de l’ex-ministre de l’éducation Profumo [3]. Ils étaient à la tête des grandes mobilisations contre la réforme Moratti et Gelimi [4]. Renzi pense faire comme Margaret Thatcher contre les mineurs anglais dans les années 1980 dans le but de détruire la résistance des secteurs les plus combatifs de la classe laborieuse et de faire passer sans la moindre opposition les coupes budgétaires et les politiques d’austérité européennes.

Face à une telle situation, il est nécessaire que les salarié·e·s de l’école continuent la mobilisation en automne en utilisant toutes les formes de protestation possibles contre cette « réforme » en partant du boycott des activités scolaires jusqu’à l’implication des étudiants et de la société dans son ensemble en nom de la défense de l’école publique, démocratique, laïque et de qualité.

Mais pour infliger une défaite au gouvernement Renzi et aux politiques d’austérité qu’il met en place, la mobilisation d’une seule catégorie des salariés ne suffit pas. Il est nécessaire d’unir les luttes à partir de celles contre la « réforme » de l’administration publique [qui est en phase de préparation], contre les nouvelles coupes budgétaires et la volonté de précariser davantage le travail des chercheurs et chercheuses de l’université, contre l’application du Jobs Act et pour le rétablissement d’un système de retraite fondé sur la répartition afin de permettre une vie digne suite à une vie de travail. Est nécessaire une mobilisation de toute la classe laborieuse en partant d’une accumulation de forces des secteurs les plus dynamiques, afin d’aboutir à une grève générale qui puisse faire tomber le gouvernement Renzi et rompre avec les politiques d’austérité.

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[1] Le projet de «Bonne école» avait été adopté par le Sénat de la République, le jeudi 25 juin 2015,  avec les résultats suivants: 159 oui, 112 non et aucune abstention. (Réd. A L’Encontre)

[2] Le 26 novembre 2014, la Cour européenne de justice condamne l’Italie par rapport aux normes portant sur les contrats de travail temporaire dans le secteur de l’éducation. Elle juge que ces normes vont à l’encontre du droit de l’Union européenne. En particulière, la Cour juge « abusives » les pratiques de renouvellement illimité des contrats de précarité dans l’enseignement public. Elle conclut en invitant le gouvernement italien à embaucher définitivement les enseignants précaires après 36 mois de travail avec un contrat temporaire. L’arrêt de la cour en langue française peut être consulté en cliquant sur ce lien ici.  (Réd. A L’Encontre)

[3] Francesco Profumo a été ministre de l’Instruction, des Universités et de la Recherche (MIUR) du gouvernement Monti. Il est un professeur universitaire et au cours de sa carrière professionnelle a été membre du conseil d’administration de plusieurs entreprises et banques telles que Telecom Italia et Unicredit Private Bank. Il a aussi été le président du Centre national de la recherche italien (CNR). Sous le gouvernement Monti, il s’est fait promoteur d’un projet de loi (Décret-loi, DDL) sur l’école qui visait à introduire le concept du « mérite » tout au long du système d’éducation italien. Son projet visait principalement à établir : des plans annuels afin de garantir la participation des élèves les plus brillants aux Olympiades internationale scientifiques et humanistes ; un prix pour l’« élève ou l’étudiant de l’année » qui attribuait toute une série de facilités en vue de l’entrée à l’université (des rabais de 30% sur les frais scolaires, etc.) ; l’introduction d’un portefeuille étudiant, une sorte de « curriculum vitae » de l’étudiant disponible et consultable sur le site du MIUR afin de favoriser les « rapports avec le monde du travail » ; la transformation des certaines catégories d’établissements scolaires en collèges internationaux ainsi que l’institution d’un programme d’orientation des élèves – comprenant des tests d’aptitude, etc. – en vue de leur entrée à l’université. Son projet de loi a été nommé « DDL-mérite » et il a suscité une protestation des enseignants et élèves. (Réd. A L’Encontre)

[4] Letizia Moratti a été membre de Forza Italia (FI) – le parti historique de Berlusconi – depuis sa création jusqu’à sa dissolution le 27 mars 2009. Elle a été ministre de l’Education et de l’Instruction dans les gouvernements Berlusconi II (11 juin 2011- 23 avril 2005) et III (23 avril 2005 – 2 mai 2006) et maire de la ville de Milan (2006-2011). En tant que ministre de l’Education elle a fait la promotion d’un projet d’ensemble de restructuration du système scolaire italien qui s’est transformé en loi le 28 mars 2008.

Maria Stella Gelmini est membre de Forza Italia (FI). Actuellement, elle est députée au parlement italien (Chambre des députés) et coordinatrice de FI dans la région de Lombardie. Ella a été ministre de l’Instruction, de l’Université et de la Recherche sous le gouvernement Berlusconi IV (8 mai 2008-16 novembre 2011). En tant que ministre de l’Instruction, elle a adopté deux mesures majeures, connues sous le nom de « réforme Gelmini ». La première mesure, adoptée par le Sénat italien le 28 octobre 2008, a impliqué des coupes dans l’éducation primaire et secondaire de 7,8 milliards d’euros sur la période 2009-12. Cette mesure se base principalement sur trois points : l’introduction de l’« enseignant unique » dans l’école primaire qui substitue les trois enseignants pour deux classes prévues avant la réforme ; la réduction d’un tiers de l’horaire des cours au sein des instituts techniques et professionnels et l’introduction des tests d’évaluation à plusieurs échelons. La deuxième mesure concerne l’université et prévoit une coupe de 1,5 milliard d’euros pour la période 2009-13, le blocus du personnel sur la période 2009-11, une rationalisation interne de l’université (fusion des athénées et des facultés) ainsi que la possibilité de transformer les universités en fondations privées. Selon un article paru dans le quotidien La Repubblica, les mesures adoptées par la « réforme Gelmini » ont conduit à la perte de 87’000 places d’enseignant et 44’000 postes de personnel scolaire technique. D’importantes manifestations, des grèves et des occupations des écoles et des universités se sont déroulées tout au long de l’automne 2008. Elles ont été impulsées par le mouvement des étudiants universitaires et des écoles secondaires, le mouvement de l’Onda anomala (Vague scélérate). (Réd. A l’Encontre)

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