La situation en Grèce: à propos d’une rencontre internationale

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Par Emile Fabrol et Jean Puyade

Les 1, 2 et 3 mars 2013 se sont tenues à Athènes des rencontres internationales co-organisées par le Rproject-Resist-Reclaim-Revolt (où s’expriment et se groupent des forces de l’aile radicale et anticapitaliste de Syriza : DEA, Kokkino, Apo) et le Mouvement pour le socialisme-Bewegung für Sozialismus (MPS Suisse). Ont participé à ces rencontres outre des militants et personnalités de divers pays d’Europe et du monde, des délégations de Chypre, d’Italie, de l’État espagnol, du Portugal, de France (dont le NPA avec la présence d’Olivier Besancenot), des Etats-Unis (ISO). Les échanges ont été très riches et nous n’abordons ici qu’une partie limitée de ces travaux, concernant plus particulièrement la Grèce sans prétendre en rendre compte de façon complète.

Grèce: une situation économique dramatique

Bref tableau économique et social de la Grèce sous domination de la Troïka (Commission européenne, FMI, Banque centrale européenne): salaire minimum à 510 €/mois à temps plein, moins pour les jeunes 16-24 ans; diminution drastique des salaires et des retraites;, 30% de chômeurs pour la fin de l’année; 6 ans de récession; une chute de 25% du PIB; une dette qui augmente toujours; privatisations massives; hausse des impôts et des taxes.

Les solutions néo-libérales appliquées brutalement en Grèce (en œuvre cependant à des nuances près, dans toute la zone euro) engendrent une véritable paupérisation des masses populaires.

En Grèce se manifeste une résistance populaire importante tant au niveau des actions syndicales (29 journées de grève « générale » – en fait « journées d’action » – en 3 ans) qu’au niveau de l’intervention citoyenne avec le mouvement dit « des places » (comparable aux indignés de l’État espagnol, bien que moins développé) ou quelques mouvements d’autogestion dans certaines entreprises, actions de solidarité pour la survie ou encore de contestation comme celui intitulé :« Je ne dois rien, Je ne paye pas».

Cependant selon ces camarades on ne peut pas parler de «conseils», pas même de structures hybrides. La situation ne rappelle même pas non plus les années 1970 en Grèce quand se sont constitués des syndicats nouveaux. Mais cette résistance se heurte à la mise en place des mémorandums (plans d’austérité) par les gouvernements grecs successifs, qui creuse chaque fois plus le gouffre où s’enfonce l’ensemble de la société. La tension se concentre contre l’obstacle, le gouvernement aux ordres du capital et dirigé par Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie), avec le soutien du PASOK de Evangelos Venizelos et de la Gauche démocrate (DIMAR) de Fotis Kouvélis.

Pour un gouvernement de gauche

Pour la coalition d’organisations qu’est Syriza, cette situation tend, potentiellement, vers le moment où la classe dominante ne peut plus diriger comme avant et où la classe ouvrière ne peut plus supporter cette situation.

A partir de ce point de vue, Syriza considère que la résistance populaire ne peut plus se réduire à l’action de grèves dispersées, de journée de grève, de manifestations. Elle nécessite un dépassement, à construire, vers un mouvement socio-politique. En effet, pour protéger les salaires, les retraites, ou les hôpitaux publics ou l’ensemble des services publics, pour répondre aux besoins élémentaires, il faut renverser le gouvernement.

Pour Syriza, leur résultat électoral de juin 2012, alors que la coalition était plus faible au plan organisationnel que le KKE (PC, très stalinisé et sectaire), réside dans le fait qu’ils ont relevé le défi et clairement posé la perspective d’un changement radical avec un «gouvernement de gauche» qui refuse l’application du mémorandum de la Troïka. Il faut avoir à l’esprit que les Grecs utilisent le mot gauche pour désigner tout ce qui est à gauche de la social-démocratie, comme d’ailleurs dans certains pays de l’Amérique du Sud.

La dynamique qui s’est exprimée dans les élections de mai et juin 2012 c’est que les votant·e·s ont cherché à renverser le gouvernement en votant «pour eux-mêmes» et cela en effectuant le choix du vote Syriza. Pour la classe dominante la perspective d’un gouvernement de gauche – sur la base du programme de Syrysa, initial et non révisé pour l’heure – c’est la panique. C’est une perspective anormale par rapport à l’histoire du pays. Les classes dominantes et ses représentants n’ont aucune confiance dans la direction présente de Syriza comme structure pouvant contrôler un essor du mouvement de masse. Elles n’ont pas peur de Syriza en tant que tel; elles ont peur du processus d’ensemble que peut ouvrir une telle perspective.

Une précision concernant ce «gouvernement de gauche» : ce n’est pas quelque chose que la bourgeoisie peut accepter comme en 1981 en France. C’est un point de départ pour stimuler l’intervention de la classe ouvrière dans une perspective socialiste et, cela, dans le contexte d’une crise économique, sociale et politique d’ampleur De plus, Syriza considère que leur résultat électoral a, également, été rendu possible parce que pour le KKE et Antarzya _ pour des raisons différentes – il n’était pas possible «changer la situation maintenant». Donc, l’objectif de renverser le gouvernement n’était pas présent. Pour ces forces, la classe ouvrière et des alliés n’étaient pas prêts à affronter la politique imposée par les mémorandums. Ils se sont, donc, retrouvés à côté des besoins de la phase politique.

Deux objections au gouvernement de gauche

La question du gouvernement de gauche suscite deux grands types d’objections majeures venant de deux côtés différents. La première: un tel gouvernement n’aurait pas « une assise assez large » ce qui conduirait inévitablement à l’échec. La seconde, un «gouvernement de gauche» finirait tôt ou tard par gérer le capitalisme.

La première objection consiste à prendre la voie de la concession au Capital et à ses représentations politico-institutionnelles car il n’existe aucune force politique susceptible de s’allier à la gauche. La seconde objection fait l’impasse sur les objectifs d’une transition spécifique et du besoin immédiat de faire tomber les murs afin d’ouvrir un chemin à l’intervention du mouvement ouvrier et populaire. Certes reconnaissent les organisateurs du Rproject, il y a une part de vérité dans la seconde objection mais l’expérience historique doit permettre de les surmonter.

La carte de l’autoritarisme et l’usage d’Aube dorée

Pour Syriza, qui subit une campagne médiatique hostile massive, à l’échelle nationale et internationale (en priorité menée par les médias électroniques et les pressions multiples des institutions diverses) il existe des risques de réactions brutales en utilisant les néo-nazis de l’Aube dorée.

Pour l’instant le gouvernement de droite de Samaras tente de tenir jusqu’à la fin de l’année avec une coalition hétérogène, hétérogène aussi dans chacune de ses composantes et d’éviter au maximum de nouvelles élections rapprochées. Ils espèrent commencer à sortir de la crise et pouvoir réorganiser un parti pro-européen (pro-UE) – au travers d’une fusion des forces de la coalition gouvernementale et au-delà  – en mettant, comme en Italie en 1947/48, tout le camp en faveur de la bourgeoisie dans une même formation. Ce qui leur permettrait de gagner des élections futures. Mais si le gouvernement est contraint d’adopter une nouvelle vague de coupes dans les salaires et les retraites, peut-il survivre? Or, ces coupes tombent actuellement. En même temps, le gouvernement s’est engagé dans un comportement autoritaire prenant de nombreuses décisions en dehors du parlement, par une politique de décrets et d’application des ordres de la Troïka.

520x347xprotovathmiasomateia.jpg.pagespeed.ic.gpK5_7XsEvLa question d’une transition anticapitaliste

La question centrale c’est de répondre à ce vers quoi tend toute la situation : il faut un gouvernement de gauche.

Concernant le programme beaucoup de choses ont été dites. Mais manifestement la discussion se poursuit – avec des débats durs, renvoyant aux heurts de classes – dans Syriza. Les mesures que prendrait un gouvernement de gauche doivent être celles qui sont avancées dans les secteurs en lutte et exposé comme l’illustration d’une méthode pour une bataille politique dans tous les secteurs. Il n’y a pas eu un exposé détaillé centré sur l’analyse ou la rédaction du programme. Il apparaît que le gouvernement de gauche (dont la formation est proposée aussi, rappelons-le, au KKE et à Antarzya) mettrait en œuvre :

• Supprimer les mémorandums et les mesures d’austérité ;
• Pas un sacrifice au nom de l’Euro;
• Augmenter les salaires et les retraites au niveau où ils étaient il y a trois ans;
• Revenir sur toutes les privatisations et engager les renationalisations (par exemple le port du Pirée cédé à la firme chinoise COSCO);
• Défendre et financer seulement l’école publique;
• Refuser de payer les intérêts de la dette, exiger la radiation de la dette, engager la taxation du capital (qui ne paye presque pas d’impôts), arrêter les dépenses d’armement;
• Réaliser la nationalisation du crédit et constituer une seule banque nationale publique, placée sous contrôle social.

Comme l’a dit le premier intervenant (dirigeant de DEA) et c’était la préoccupation des intervenants grecs: « On peut dire que c’est un programme limité. Or il s’agit d’un programme de transition concret, dans la situation concrète présente, vers une transition socialisante. » L’ouverture de cette dynamique exige une bataille politique car la situation exerce une forte pression sur la direction de Syriza.

Les débats internes à Syriza

Il y a dans Syriza une tendance de «droite» dirigée par une personnalité connue – qui compte 2 à 3% des voix du «parti» – mais qui tire sa force de ses liens avec des secteurs du capital grec, construits durant la période de l’URSS ou des affaires économiques d’intérêt commun existaient. Cette tendance est, pour l’heure, quand même à «gauche» de ladite gauche gouvernementale en Europe, ne serait-ce qu’à partir de son approche de reconstruction nationale en rupture avec la politique de l’UE et e la Troïka. Le «Centre» est la tendance la plus forte dont des secteurs cherchent une ouverture vers DIMAR  (qui a quitté Syriza et est politiquement au centre gauche) et, y compris, avec des «sortants» du Titanic PASOK. Mais ce tournant n’est pas consolidé et tout est en mouvement au sein de Syriza. Il  existe aussi une gauche qui va bien au-delà des 25 % obtenus lors des dernières élections internes (pré-Congrès) et qui est en phase avec ce que pensent un secteur large des salarié·e·s et des jeunes.

D’après les organisateurs membres du « bloc de gauche » de Syriza qui a obtenu ces 25,7% – et qui étaient les organisateurs de ces journées de mars 2013 – auxquelles ont assisté la plupart des courants dans Syriza, il n’est pas possible d’attendre ce que fera le centre. Il faut faire pression et combattre sérieusement dans Syriza, C’est dans ce sens qu’ils ont présenté, lors du pré-congrès, une liste face à la direction, alors que d’autres secteurs de la gauche révolutionnaire ont préféré une position moins offensive., plus conciliante. Il faut insister sur les luttes et pas attendre les résultats électoraux, il faut mettre sur la table la question du gouvernement donc du pouvoir. Les camarades ouvrent, dans un esprit de débat franc et loyal, la discussion dans Syriza, comme ils l’ont fait dans ces journées: Pour eux ce gouvernement de gauche est un point de départ pour stimuler une mobilisation des travailleurs et travailleuses vers une transition socialiste.

Un intervenant de DEA ajoute que Syriza n’est pas une force politique comme les autres (dans le sens des formations politiques du passé). Dès lors, s’il faut se garder de toute démagogie, il convient de prendre des engagements fermes et de s’y tenir. Le même considère qu’il est temps de cesser d’être à la traîne des directions syndicales, qui sont, de fait, nommées par les partis du «passé récent» de l’histoire politique grecque et qui sont ébranlées par la crise socio-économique et les décisions de «leur parti».

Interventions dans le mouvement social

Ces polémiques seront illustrées dans le débat sur le mouvement syndical. En Grèce les syndicats sont directement sous domination de partis politiques (Nouvelle Démocratie, PASOK) et ils sont divisés en deux confédérations l’une dans le privé (GSEE) l’autre dans le public (ADEDY). Les branches professionnelles des fédérations ont une tendance lourde à ne défendre que les salariés en contrat à durée indéterminée avec conventions collectives (même si ces dernières sont réduites de plus en plus). Alors que se développe le chômage de masse, la précarité et les sociétés de location de personnel (travail intérimaire), ces travailleurs se retrouvent donc hors du champ syndical organisé. Situation qui favorise grandement la politique gouvernementale qui agresse les branches professionnelles les unes après les autres. Le KKE développe une sorte de «front de masse» – le PAME – qui agit de manière séparée, même si, dans la dernière période, des convergences ponctuelles se sont établies.

Pour les divers intervenants, il est urgent de rompre avec le respect du légalisme dans les syndicats. Si le syndicat est un besoin vital pour que les travailleurs se fédèrent, le syndicat doit correspondre aux formes que prend le travail ou l’absence de travail. En outre, l’intervention dans les autres formes de mouvements sociaux doit se développer pour tendre vers ce mouvement social et politique évoqué plus haut. Ces mouvements sont (liste non limitative) : mouvement des places qui, comme dans l’État espagnol, s’est délocalisé dans les quartiers; les entreprises en autogestion; les actions anti-corruption ou encore celles rétablissant l’électricité pour les familles à qui elle a été coupée, sans mentionner la récente et nouvelle mobilisation des paysans et les luttes de la jeunesse étudiante. Auxquelles s’ajoutent, les luttes des retraités, des handicapés, des travailleurs et travailleuses des municipalités ou des mouvements qui s’oppose à la destruction de l’environnement en ouvrant des mines d’extraction d’or.

Epilogue

La gauche radicale et anticapitaliste doit s’engager dans une démarche internationale qui dépasse le stade de la nécessaire solidarité face à l’agression des forces du capital. Ce qui a traversé ces rencontres c’est l’exigence d’un travail commun avec un objectif commun: mettre un terme à la catastrophe capitaliste et ouvrir une perspective socialiste.

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