Grèce. Macron, ses hommes d’affaires et les privatisations. La «refondation» de l’Europe?

Par Marie Viennot

La Grèce a accepté de privatiser ses ports, ses autoroutes, ses aéroports, son énergie… en échange de l’argent des créanciers. Qui en a le moins profité? Nous sommes entre Athènes et le Pirée, en haut d’une tour qui domine tout. L’Acropole, le Port, les montagnes, la vue est époustouflante…

La terrasse fait trois fois la salle de conférences où patientent journalistes, chefs d’entreprises grecs, français, chef du protocole, et agents de sécurité. Le président français et le premier ministre grec arrivent sous les applaudissements.

Emmanuel Macron va parler du processus de privatisation en Grèce qui nous occupe dans cette bulle. Sans le nommer, il va parler du Port du Pirée qui appartient dorénavant à Cosco, un groupe chinois. Il y a un an et demi, les Européens ont poussé les Grecs à vendre sans attendre la gérance totale de ce port, cette porte d’entrée stratégique vers l’Europe; ce moment, c’est un des moments précis où l’Europe a failli selon lui.

Quand les Européens ne sont pas au rendez-vous pour acheter un actif stratégique, ça n’est pas bon, dit le président Français.

Pas bon pour qui?

Pour la souveraineté européenne, a répété Emmanuel Macron plusieurs fois pendant son séjour en Grèce mais plus concrètement? Les Chinois n’empêchent pas les containers remplis de produits made in Asia d’accoster au Pirée. Au contraire, ils ont multiplié le trafic par 5…

Qui y perd? Le port du havre, m’affirme un armateur grec. Et de fait, chaque année, le trafic du Havre baisse. [Le graphique ci-dessous indique les tendances des ports à conteneurs en Europe : source Les Echos du 17 novembre 2016.]

 

 

Concurrencé au nord par Rotterdam et Anvers, le premier port français n’a rien gagné à ce que la «Route de la soie chinoise», ce grand projet, passe désormais par la Grèce. [Autrement dit, Macron plaide pour Le Havre en discourant contre les investissements chinois en Grèce.] Ses dockers non plus. Les dockers grecs, eux, ont perdu 30% de leur salaire, mais comme partout en Grèce [et ils ont perdu leurs droits syndicaux].

Dans la partie conteneurs du port du Pirée, plus un touriste, plus aucun accès et aucun signe visible d’appartenance aux Chinois. Mais le Pirée c’est du passé, le présent, c’est la privatisation du port de Thessalonique; or pour la première fois une entreprise française a gagné la compétition. Cocorico?

Ivan Savvidis

Pas vraiment, d’abord, cette entreprise Terminal Link est à 49% chinoise [tout en étant une filiale du Groupe CMA-CGM, fondé à Marseille en 1978 et un des leaders mondiaux du transport maritime par conteneurs desservant 420 des 521 ports les plus importants au monde]. Ensuite, il y a un fonds d’investissement allemand, Deutsche Invest Equity Partners GMBh, et un oligarque russo-grec dont la société est basée à Chypre: la Ivan Savvidis’ Belterra Investments Ltd. [Ivan Savvidis est déjà propriétaire du club de football de Thessalonique: le PAOK. Il a d’autres investissements en Bulgarie.] L’opération conjointe du port de Thessalonique a mobilisé 1,1 milliard d’euros et fait du port de Thessalonique le plus important des Balkans. Toutefois, «qui peut dire d’où vient le capital», me confie une analyste grec du secteur de l’énergie, «le capital, il est toujours international».

Elle m’aiguille sur le sujet du moment en Grèce, la privatisation du réseau de gaz grec, Desfa. Suprême déconvenue, si elle se confirme, un consortium franco-roumain n’est plus en lice et cela a fuité la veille de l’arrivée d’Emmanuel Macron.

A la liste des perdants des privatisations grecs il faut donc ajouter ENGIE [anciennement GDF Suez, un des leaders du secteur], la maison mère de GRT GAZ [un des deux gestionnaires de réseaux de transport de gaz en France avec TIGF], qui espérait la concession.

Et les Grecs, qu’ont-ils gagné?

Et les Grecs, s’y retrouvent-ils financièrement avec ses privatisations? Toujours pas. Le fonds chargé d’organiser ces privatisations est censé couvrir ses frais par un pourcentage de ses ventes, et depuis sa création il n’a jamais été à l’équilibre.

Au premier trimestre 2017, il a perdu plus de 1 175 000 d’euros. Un jour peut-être ce sera rentable… en attendant, ce fonds continue d’embaucher des conseillers financiers ou légaux. Six anciens «conseillers» de ce fonds font l’objet de poursuites, dont un Italien, un Slovaque et un Espagnol. L’acte d’accusation donne le chiffre de 500 millions d’euros de «pertes» pour l’Etat grec lors de 28 ventes mal menées. [Ce fut d’ailleurs un des sujets de «discussion» lors de la réunion de l’Eurogroupe de juin 2017.] Nous posions la question suivante en en janvier 2016: «C’est aussi un test pour l’Union européenne. Est-ce stratégique de laisser un groupe chinois posséder 100% d’un port qui est l’une des portes d’entrée de l’Europe? A ce jour (12 janvier 2016), aucune autorité européenne ne s’en est en tout cas émue.»

Dernier perdant, Tsipras en 2019?

Le dernier perdant de ses privatisations en Grèce c’est sans doute Alexis Tsipras, le premier ministre grec. Car c’est depuis 2015 que les privatisations commencent vraiment, depuis qu’il est au pouvoir, plus exactement à la tête du gouvernement. Sous la pression des créanciers certes, mais aux prochaines élections on pourra dire que c’est sous Syriza qu’on a le plus privatisé en Grèce… Pas très vendeur, quand on se dit de gauche. (F.C. le 9 septembre 2017)

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«Je n’accepte pas l’invitation à être présent aujourd’hui à la profanation de la Pnyx»

Par Manolis Glézos

La France, son peuple, les luttes du peuple et ses représentants ont toujours été les bienvenus pour le peuple grec.

Manoulis Glézos face à la «police anti-émeute» en 2014 à Athènes….

Je me souviendrai toujours de l’énorme contribution de la France officielle, sous le Général de Gaulle, et du peuple français, qui ont empêché l’exécution des peines de mort qui nous avaient été infligées par le régime grec qui a suivi la guerre civile.

Mais, la visite d’aujourd’hui [de Macron] présente une différence majeure.

Aujourd’hui, c’est le droit du plus fort qui s’impose. La Grèce impuissante, grâce aux mémorandums, accueille en tant qu’investisseurs l’invasion financière la plus cynique, en la personne d’un groupe [40 industriels et hommes d’affaires] qui accompagne le président français.

Les infrastructures qui n’ont pas encore été cédées sont dans la file d’attente. Nous ne vendons pas, nous bradons.

Ils n’investissent pas, ils augmentent leur propre richesse en suçant toute trace de vie du peuple grec. Simple bilan, simples mathématiques.

Et tout cela sous le régime d’un chantage inédit du point de vue historique. Avec l’épée du maître chanteur sur la table, qu’accompagne un cynique “Vae Victis” (Malheur aux vaincus).

Rien ne peut modifier l’estime que nous nourrissons pour le peuple français. Mais nous n’accepterons pas comme faits accomplis ce qui sera convenu entre les groupes d’entrepreneurs qui accompagnent le Président de la République Française et le Premier ministre de Grèce.

C’est pourquoi je n’accepte pas l’invitation à être présent aujourd’hui à la profanation de la Pnyx [le lieu où le président Jupiter a prononcé son discours sur la «refondation de l’Union européenne]. (Athènes, le 7 septembre 2017)

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Manolis Glézos, né en 1922, est une figure de la résistance grecque face aux nazis. Le 30 mai 1941, il monta au sommet de l’Acropole d’Athènes pour dérober, avec l’aide d’Apostolos Santas, le drapeau nazi qui flottait sur la ville depuis le 27 avril 1941. Par la suite, il fut arrêté par les Allemands en 1942 et par les Italiens en 1943, et arrêté à nouveau par des collaborateurs grecs en février 1944, avant de s’échapper en septembre 1944. Il fut condamné à mort, en 1948, en pleine guerre civile par le gouvernement de droite. Grâce aux réactions internationales les peines de mort ne furent pas appliquées et transformée en perpétuité en 1950. Il fut libéré, en 1954, suite à une grève de la faim. Il fut arrêté en 1958, sous le prétexte d’espionnage, en pleine guerre froide. Il fut libéré, sous la pression internationale, en 1962. Sous les colonels il subit quatre années d’emprisonnement de 1967 à 1974 et l’exil. Lors des élections européennes, pour prendre un dernier exemple, il fut élu avec 500’000 vote de préférence. Autrement dit, sa popularité est très grande et sa lettre de refus d’avaliser la visite de Macron et son discours arrogant au Pnyx prend un sens politique et symbolique particulier. (Réd. A l’Encontre)

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