Grèce. Après l’Eurogroupe, la presse grecque et les partis «déchiffrent»

Le ministre des Finances Euclide Tsakalotos

Par Sotiris Siamandouras

Lors la réunion de l’Eurogroupe, le 20 février 2017, les quatre «institutions» (la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et le Mécanisme européen de stabilité) ainsi le gouvernement de la Grèce disent avoir trouvé un accord. Mais pas exactement, du moins pas encore, ce qui permet aux médias et aux partis politiques grecs de diffuser des versions assez disparates de la réalité.

Le gouvernement, dans son communiqué de presse et dans le journal du parti de SYRIZA (Avgi – L’Aube), présente une version triomphale. Le quotidien écrit qu’il s’agit de la fin de l’austérité – «il n’y aura pas un euro de plus d’austérité». Une formule que Tsipras avait déjà affirmée précédemment. Il salue le retour (le 28 février 2016) des experts des institutions à Athènes pour conclure la seconde revue d’application du programme (troisième mémorandum) qui, de fait, conditionne le versement des sommes nécessaires au «remboursement» à la BCE, à l’échéance de juillet 2017. Avgi souligne l’ouverture de la possibilité de «mesures compensatoires» après 2019 et annonce un programme de création de 100’000 emplois d’un montant de 3 milliards. Il passe sous silence le reste.

Le Journal des rédacteurs ­­– un journal qui a le statut d’une coopérative et qui est actuellement assez proche de SYRIZA – présente une image moins triomphale, mais toutefois positive. Le journal écrit que «les institutions reviennent», un commentaire que le lecteur pourrait interpréter comme favorable. Il fait état d’un «accord politique», but fixé par le gouvernement, et le qualifie comme un accord de «juste milieu». Il souligne de même les mesures dites compensatoires, mais ne cache pas que le gouvernement a accepté de pré-légiférer des mesures austéritaires après 2018.

Aux antipodes, le principal parti de l’opposition – la Nouvelle Démocratie (ND) – accuse le gouvernement qu’«ils se foutent du peuple grec encore une fois». La ND met question même l’existence d’un accord réel, puisque «tout est renvoyé au futur», malgré «les concessions, les mesures douloureuses et les défaites additionnelles du gouvernement». Kathimerini, quotidien (comme son nom l’indique) historique de la droite, suit une approche un peu moins agressive. La satisfaction des classes possédantes transparaît face à ce que Jeroen Dijsselbloem affirme: «Il y aura un changement dans le dosage des politiques (policy mix) en s’éloignant de l’austérité et en mettant plus l’accent sur des réformes en profondeurs.» Le quotidien écrit qu’il s’agit d’un «accord de principe» qui est devenu possible suite à l’engagement du gouvernement grec (Syriza-ANEL) de pré-légiferer – un nouveau mot qui vient enrichir le newspeak ­– des mesures pour 2019. Certes, elles ne sont pas encore totalement clarifiées, mais comportent la réduction additionnelle du montant des retraites, un abaissement du seuil du revenu annuel soumis à l’impôt et une dégradation accrue de ce qui reste comme «droit du travail» (présentée comme une réforme du «marché du travail»).

Ta NEA (Le Nouvelliste), journal historique du «centre démocratique» – qui se trouve aujourd’hui proche de la «Coalition démocratique» [1] – critique sévèrement le gouvernement de n’avoir rien accompli si ce n’est prévoir (pré-légiférer) des mesures encore plus rigoureuses. La critique est similaire à celle faite par Kathimerini, à la différence qu’elle met plus en relief les conséquences en matière de droit du travail.

Enfin, le paysage de la presse grecque ne serait pas complet sans Rizospastis (Radical), le quotidien du Parti communiste (KKE). Le journal y voit «un accord de principe sur des nouvelles mesures anti-populaires et des mémorandums du jour d’après» et dénonce la tentative du gouvernement de «duper le peuple encore une fois». Le parti appelle à une journée de mobilisation. Ainsi PAME («front de masse» du KKE) a organisé une manifestation le mardi 21 février. Le secrétaire général du KKE (en fonction depuis avril 2013), Dimitris Koutsoumbas, a déclaré à cette occasion: «Les gens ne peuvent plus supporter de nouvelles mesures contre les revenus, contre leur vie même et celle de leurs enfants. Ici se trouve l’espoir, la lutte, la lutte en accord avec le Parti communiste, afin de préparer une meilleure vie pour nous, pour nos enfants, pour tout le peuple grec.» Antérieurement, Dimitris Koutsoumbas déclarait sur les ondes de la radio du parti: «La monnaie pourrait être l’euro en même temps que la drachme. Une monnaie à l’intérieur et une autre à l’extérieur du pays.» [2] Une mobilisation antérieure à la réunion de l’Eurogoupe n’a pas été envisagée et l’orientation reste celle d’une auto-affirmation partisane.

Pour mieux déchiffrer la situation, nous avons demandé l’opinion d’un économiste de la gauche radicale. Petros Stavrou nous dit que «le dit “préaccord” n’échappe pas au caractère spécifique du troisième mémorandum par rapport aux deux autres. Tandis que les mémorandums antérieurs avaient impliqué l’application d’une politique rigoureuse d’austérité et une stratégie de dévaluation interne (baisses des revenus, augmentations des impôts, etc.) sans précédent, le troisième mémorandum fait le lien entre cette politique de dévaluation interne et un mécanisme secondaire de redistribution de revenus des classes populaires vers les possédants. L’aggravation de la dévaluation interne détruit les revenus et crée la nécessité: 1° de réduire les retraites, puisqu’elles ne peuvent pas être financées par des salaires compressés; 2° d’élargir chaque fois la base d’imposition des revenus annuels les plus bas. Le but de ce mécanisme est un transfert des revenus du bas de l’échelle vers les classes les plus riches. Ces dernières ne vont pas, bien sûr, investir ces ressources, ils vont les stocker. Donc, ce “préaccord” continue dans la direction de la création et du fonctionnement de ce mécanisme. A ceux qui doutent de cette version, il faut rappeler la fin d’un autre “préaccord”, celui de février 2015, qui a pavé la rue au troisième mémorandum.» [3]

Pour sa part, Antonis Ntavanellos, un des animateurs du Réseau Rouge, de DEA – qui est une composante de l’Unité Populaire – ajoute: «Le gouvernement Tsipras-Kamenos (Syriza-ANEL) vient de signer toutes les exigences des créanciers pour éviter la chute immédiate et rester au pouvoir, sans souci pour les conséquences politiques et sociales néfastes de cet accord misérable. Le gouvernement a accepté de “pré-légiferer” des mesures additionnels d’austérité, qui seront appliqués après le 1er janvier 2018, et au plus tard le 1er janvier 2019: réduction radicale du niveau de revenu annuel qui échappe à l’imposition, réduction des retraites, doublement du pourcentage des licenciements “légaux”. Le mécanisme des coupures automatiques s’inverse: sur la base de l’austérité pré-légiferée, le gouvernement aura le droit de prendre quelques mesures compensatoires (qui concernent principalement le “soulagement ” des… entrepreneurs des impôts et des contributions) seulement si l’Eurostat confirme statistiquement, en début 2019, l’existence d’un surplus primaire [avant paiement du service de la dette] de 3,5% du PIB en 2018!» (21 février 2017)

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[1] La Coalition démocratique est une coalition politique formée le 30 août 2015 en vue des élections législatives grecques de septembre 2015. Elle regroupe aujourd’hui le Mouvement socialiste panhellénique (PASOK), la Gauche démocrate (DIMAR, ancienne scission de SYRIZA à sa droite) et le Mouvement des socialistes démocrates de l’ancien Premier ministre Giórgos Papandréou. Une coalition qui se donne pour objectif de passer la barre des 3% pour obtenir des élus.

[2] Des extraits de cet entretien sont disponibles sur iskra.gr: https://goo.gl/ZuYU7n.

[3] Romaric Godin, dans La Tribune, en date du 21 février 2017, écrit à propos des résultats de la réunion de l’Eurogroupe du 20 février: «Très clairement, donc, les créanciers entendent poursuivre la politique menée depuis 2010 en continuant à l’aggraver. Désormais, le troisième mémorandum signé en août 2015 ressemble de plus en plus à une boîte de Pandore d’où surgissent chaque année de nouvelles mesures d’austérité. Et il ne faut pas compter sur les effets «compensatoires» des mesures de «croissance»: ces dernières seront forcément limitées par la marge de manœuvre budgétaire (qui n’est pas certaine d’être chaque année aussi vaste que celle de l’an dernier) et, surtout, de la bonne volonté des créanciers. Il ne s’agira que de «propositions» helléniques qui devront être validées et acceptées par les créanciers. Pas question donc de refaire l’opération de la fin de l’année dernière avec la prime sur les retraites qui avait été une décision unilatérale.

Or, selon Le Monde qui cite des sources européennes, «pas question pour les Grecs d’avancer leurs propres réformes tant qu’ils n’auront pas donné toutes les assurances aux créanciers que l’excédent primaire sera d’au moins 3,5% en 2018 et 2019». Et, depuis 2010, tout est dans cette question de «confiance» utilisée par l’Eurogroupe pour obtenir davantage d’Athènes. Autrement dit, Athènes devra attendre pour relancer l’activité, pas pour faire l’austérité. C’est dire si l’on peut douter des déclarations de Michel Sapin [ministre des Finances du gouvernement Hollande] selon lesquelles la Grèce est sortie de la logique austéritaire.

Et de conclure: «Côté grec, la victoire est donc particulièrement amère, même si le gouvernement affirme avoir tenu ses «lignes rouges». Il jure aussi que, pour tout euro de mesures additionnelles, il y aura un euro de «mesures compensatoires» sous forme de baisse d’impôts sur la propriété foncière, sur les sociétés ou sur la valeur ajoutée. Une ligne de défense peu crédible en Grèce compte tenu des capitulations répétées du gouvernement Tsipras, mais aussi des conditions posées par les créanciers. Comment ces derniers accepteraient-ils des baisses d’impôts alors qu’ils exigent des hausses pour séduire le FMI? Bref, tout ceci semble peu sérieux.» (Réd. A l’Encontre)

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Post-Scriptum

Karolina Tagaris, journaliste auprès de l’agence Reuters (20 février 2017), décrit la situation de la retraitée grecque Dimitra. Cette dernière dit qu’elle n’a jamais imaginé une vie réduite à des aides alimentaires: du riz, deux sacs de pâtes, un paquet de pois chiches, quelques dattes et une boîte de lait pour le mois. A 73 ans, Dimitra – qui elle-même a aidé les personnes désargentées en tant que serveuse dans un centre de distribution alimentaire de la Croix-Rouge – fait partie aujourd’hui du nombre croissant de Grecs qui ne peuvent survivre. Dimitra affirme «qu’une telle situation ne lui a même jamais traversé mon esprit de toute sa vie». Elle accepte de le raconter, tout en refusant de donner son nom car la stigmatisation de ceux et celles qui reçoivent une aide existe encore: «J’ai vécu frugalement, je n’ai jamais été en vacances. Rien, rien, rien.» Maintenant, plus de la moitié de son revenu mensuel de 332 euros va à la location d’un petit appartement à Athènes. Le reste: payer les factures de base. «Je ne pense pas qu’il existe une seule personne, dit Dimitra, qui ne craint pas pour le futur.» Agkisalaki, elle, n’a pas droit à une pension parce que son contrat a pris fin lorsque l’âge de la retraite a été relevé à 67 ans, selon les exigences du programme mémorandaire. Elle n’a pas pu trouver de travail, dit-elle. Une partie de la pension de son mari, qui a passé de 900 euros à 600 euros, est destinée aux deux familles: celle de son fils et de sa fille. En échange du bénévolat dans un centre d’assistance alimentaire, Agkisalaki reçoit des aides alimentaires. Elle les partage entre sa fille au chômage et son fils. «Nous végétons», dit-elle, en s’asseyant au bout d’une  longue table en bois, pour le prochain repas fait de soupe de haricots, de pain, d’œuf, d’un bout de pizza et d’une pomme. «Nous subsistons, la plupart des Grecs ne font que subsister.» (Rédaction A l’Encontre)

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