Grèce. Des «mines» sur le chemin de la «success story» mémorandaire

g150627bPar Panos Kosmas

Au nombre de 127 s’élevaient les conditions exigées pour la première évaluation du troisième programme mémorandaire [1]. Le parlement en a ratifié 112 et elles sont en train d’être appliquées. Selon le planning, 15 restent à être présentées au parlement en septembre. Selon le planning, 81 sont encore requises pour compléter la deuxième évaluation, en octobre 2016. Ces 127 plus 81 exigences, façonnant le pillage mémorandaire, représentent 93% de mesures requises. En effet – toujours selon le planning initial du troisième mémorandum – moins de 20 nouvelles mesures sont requises en 2017 et en 2018.

Donc, en conclusion, avec les paquets des mesures de ce printemps, le processus de l’adoption du troisième programme mémorandaire sera – pour l’essentiel – complet! Ce fait nous donne la mesure de l’importance de cette période, la mesure de la gravité de la bataille à mener contre ces «paquets» de mesures.

Les plans mémorandaires

Si ces chiffres nous donnent une image «macroscopique» et «quantitative» de la vitesse avec laquelle les mesures du troisième mémorandum sont ratifiées et appliquées, la dimension qualitative n’en est pas moins importante. Entre les 15 préalables exigés – qui restent de la première évaluation – et les 81 de la deuxième, il y a des mesures qui sont d’une importance critique pour le programme mémorandaire. Elles constituent des piliers du programme de dévaluation interne.

  • Le travail. Même si les exigences du FMI ne seront pas adoptées dans leur totalité (exigence de l’abolition du 13e et du 14e salaire [2] dans le secteur privé, nouvelle réduction des salaires, etc.), le coup porté aux droits du travail sera lourd. Son enjeu, entre autres, est l’existence et le type de conventions collectives, le droit de grève, etc., puisque ce sera la fin des derniers obstacles face aux abus du patronat.
  • Les privatisations. Il s’agit de finaliser les procédures de nomination de la direction dudit «superfonds» de liquidation de la propriété publique [EDHK: «Société des Participations Publiques»] et le transfert à ce fonds des droits de l’Etat sur le réseau de la propriété publique. Sont déjà transférés: l’OASA [pour l’explication des acronymes, voir la note 3], l’OSY, la STASY, l’OSE, l’OAKA et l’ELTA. Avec la «deuxième vague» seront transférés l’EYATH, l’EYDAP, la KTYP, l’ELBO, l’ATTIKO METRO, le DEI, l’ADMIE et l’EAB. Ainsi est mise en place – avec l’objectif de préparer la population – la liquidation «automatique» de la propriété publique sans aucun contrôle.
  • La «libéralisation absolue» du marché de l’énergie implique la «libération» du marché du gaz, la séparation de l’ADMIE et le passage de 20% au moins de la DEI à un investisseur stratégique. L’application au marché de l’électricité du modèle européen de «libéralisation» («target model»: modèle opérationnel cible) et l’obligation pour DEI de conduire des négociations «flexibles» avec les entreprises qui sont des consommateurs industriels d’électricité (c’est-à-dire de prendre en compte «le coût et le profil de consommation» de chaque unité).
  • La finalisation du contrôle des banques par des fonds étrangers et des spéculateurs. Les nouvelles directions nommées vont avoir l’obligation de gérer la grande épuration du secteur des «prêts rouges» (avec leur vente graduelle à des «distress funds» qui réunissent des dettes de sociétés en faillite ou au bord de la faillite, opèrent des restructurations et cherchent à revendre avec un profit important les obligations acquises à un prix fort bas).

Il est évident que ce n’est pas seulement la multitude de mesures qui crée le sentiment de vertige, mais aussi leur importance et leur gravité.

Et les possibles mines sur ce chemin

Bien sûr le gouvernement continue d’avoir confiance et de fonder ses espérances il ne peut pas faire autrement sur le succès de sa stratégie de mensonges et de simulations. Les fronts qu’il ouvre, soit par sa propre initiative, soit par sa tolérance, renvoient toujours au mythe suivant: «nous faisons des efforts, nous menons des batailles, nous sommes obligés de voter ces mesures, mais nous avons besoin de gagner du temps pour commencer, petit à petit, d’en compenser les conséquences néfastes». Ces nouvelles «batailles» sont: le notoire «cas Andrea Georgiou» [4] (qui permettrait un fort improbable allégement des mesures mémorandaires suite à une réévaluation des données sur le déficit public!); la vente des licences de chaînes de télévision (où fermer le MEGA [5] et donner une chaîne à Marinakis [6] devrait être considéré comme une «épuration» du secteur qui ne payait quasiment pas ses impôts!); la circulation de rumeurs d’élections précoces pour le printemps… puis le déni des rumeurs ayant trait à ces élections (le sous-entendu étant que si la «résistance» dépasse les limites, le gouvernement va faire, encore une fois, le colpo grosso des élections).

Pourtant, le chemin emprunté par le gouvernement est miné. Le passage de la «théorie» (l’adoption des mesures) à la «pratique» implique la prise de conscience plus aiguë par les couches populaires des conséquences des mesures sur leur revenu, sur leurs droits à la sécurité sociale, sur leur vie en général. Et aussi le constat que les mensonges du gouvernement et ses manœuvres en termes de communication ne marchent plus; et commencent même à avoir un effet boomerang. Les retraités ont compris lors de leur arrivée devant les guichets automatiques des banques la valeur de l’«engagement» gouvernemental selon lequel les retraites ne seraient pas abaissées. Des dizaines de milliers de débiteurs des autorités fiscales et des banques ont fait l’expérience des «soins» qui leur sont apportés par les mécanismes de mise en faillite obligatoire, par la vente aux enchères, etc. Et bien sûr, les chômeurs restent au chômage. Les abus du patronat deviennent la règle et les revenus sont écrasés.

Dans ce contexte, les espoirs dans les promesses du gouvernement d’une quelconque compensation à l’occasion d’un retour à la croissance sont annulés.

Les données définitives concernant le PIB pour les deux premiers trimestres de 2016 montrent une récession accrue par rapport aux estimations initiales: 1% pour le premier trimestre et 0,9% pour le deuxième.

Que les choses ne vont pas bien est démontré aussi, en partie, par quelques données qui concernent le mois de juillet 2016:

  • Hausse du chômage de 2,28%.
  • Chute du commerce de détail de 6,4%.
  • Le nombre des permis de construction a chuté de 31,9%.
  • L’indicateur du climat économique a chuté pendant le deuxième trimestre de 2016.

Mais le facteur le plus important est la façon dont la société et l’économie réagissent au tsunami des taxes/impôts pendant le premier semestre de l’année.

  • En ce qui concerne la TVA, au lieu d’encaisser 5,5 milliards d’euros l’Etat grec en a collecté seulement 4,5 milliards – c’est-à-dire 18% de moins!
  • Pour ce qui a trait à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, dans une période où elles n’avaient pas à payer des taxes importantes, le gouvernement a collecté 272 millions euros de moins que le montant prévu, c’est-à-dire qu’on a un écart de 25%!

Si on a les mêmes écarts pendant la période septembre-décembre, où l’objectif est de collecter environ 21,5 milliards d’euros, le programme va imploser et la prise «automatique» des mesures va faire son entrée en scène triomphale…

Le gouvernement par ses actions laisse croire qu’il va faire traîner l’«évaluation» jusqu’en décembre. Durant ces mois, des couches importantes de la société vont tirer des conclusions sur les promesses fallacieuses du gouvernement concernant les «compensations». L’automne et l’hiver pesant de 2016 vont disséminer des mines sur le chemin de la «success story» du gouvernement illustrée par la possibilité de mettre en œuvre, effectivement, le programme mémorandaire. La possibilité de le mettre en cause par la mobilisation reste donc ouverte. (Article publié sur le site de DEA le 31 août 2016; traduction de grec par Sotiris Siamandouras; notes du traducteur)

_____

[1] L’application des mesures mémorandaires est évaluée (à chaque fois) avant le décaissement de la somme nécessaire pour le refinancement de la dette grecque; autrement dit pour renvoyer la somme aux créanciers.

[2] Ces sont les primes de Pâques et des vacances d’été. Malgré l’existence de ces «salaires», les gains nets annuels moyens d’un célibataire, enployé à 100%, selon Eurostat, s’élevaient à 15’125 euros, quand le même salaire en Allemagne était de 27’782 euros.

[3] OASA est une société anonyme grecque, responsable de tous les types de transport en commun dans l’agglomération d’Athènes, du Pirée et de leurs banlieues.

OSY est une filiale de l’OASA qui exploite les transports en commun routiers.

STASY est une autre filiale d’OASA qui exploite les transports en commun: le métro et le tram.

OSE est la compagnie nationale des chemins de fer grecs.

OAKA est le stade olympique d’Athènes qui a été construit en 1982 et puis complètement rénové pour accueillir les Jeux olympiques d’été de 2004. La construction initiale avait coûté 5 milliards de drachmes en 1982. Le coût de la rénovation de 2004 a été de 130 millions d’euros.

ELTA est la Poste Hellénique. Sont actionnaires: l’Etat grec et Eurobank, une des quatre banques systémiques grecques.

EYATH est la compagnie publique qui gère l’eau de Thessalonique, la deuxième plus grande ville de Grèce.

EYDAP est la compagnie publique qui gère l’eau et le système sanitaire de la capitale. Elle couvre les besoins en eau de 4,3 millions de personnes et offre l’accès au système sanitaire à 3,5 millions.

KTYP est la compagnie publique de construction d’infrastructures créée en 2013 par la fusion de trois compagnies publiques de construction et d’infrastructure: DEPANOM (construction et équipement des hôpitaux), SBO/OSK (construction et équipement du système d’éducation) et Themis Constructions (construction et équipement des tribunaux et des établissements pénitentiaires).

ELBO est l’Industrie Hellénique des Véhicules, la seule compagnie publique qui reste en ce domaine. Elle est privatisée en partie. En l’an 2000, le groupe grec Mytilineos en a acquis le 43% et le reste est allé au management en 2000. Elle était en train d’être liquidée, mais la procédure a été arrêtée en 2015. Le gouvernement grec cherche un investisseur privé étant donné l’importance stratégique de la compagnie pour l’industrie militaire grecque.

ATTIKO METRO est la compagnie de construction du métro d’Athènes, chargée aussi de son expansion aussi que de la construction du métro de Thessalonique. Depuis 2012, dans le but de devenir autonome financièrement, elle a pris aussi sous sa juridiction la rénovation des espaces publics, avec la création de zones piétonnières et la réglementation de la circulation. Elle possède le droit de participer aux programmes de recherche et de réaliser des études pour des tiers. Elle va jouer un rôle de planification dans l’expansion du tram d’Athènes.

DEI est le fournisseur historique et principal d’électricité en Grèce. L’Etat en détient encore 51% du capital, mais il a été décidé de faire tomber sa participation à 21%. Pour en faciliter sa privatisation, DEI a été scindée en deux parties: l’une concentrant les dettes (estimées à 5 milliards d’euros); la seconde récupérant les activités rentables dont le prix d’achat est estimé entre 1,5 et 2 milliards d’euros. Elle dispose de 97 centrales électriques d’une capacité de production d’électricité de 12,5 GW et compte 7,4 millions de clients pour 20’000 employés.

ADMIE, aussi appelée IPTO (Independent Power Transmission Operator SA). Il s’agit de la compagnie qui gère, maintient et développe le réseau de distribution de l’électricité.

EAB: Industrie Hellénique Aérospatiale. C’est la plus grande industrie militaire étatique en Grèce. Elle est aussi la plus importante compagnie aérospatiale en Grèce. L’Etat détient 100% de son capital. Ses profits nets, en 2014, étaient de 13,69 millions d’euros; son actif s’établissait à 932,52 millions d’euros et elle emploie 1369 salarié·e·s.

[4] Andréas Georgiou est l’ancien président de l’ Institut grec de la statistique (ELSTAT). Il est soupçonné d’avoir artificiellement «gonflé» le déficit public du pays pour l’année 2009 – avec la complicité du PASOK et de Papandréou – afin de noircir le bilan du gouvernement sortant de la droite. Ces données falsifiées auraient ouvert la voie au recours du FMI en contrepartie d’une cure d’austérité sans précédent, se prolongeant jusqu’à aujourd’hui.

[5] C’est une chaîne privée importante de la télévision grecque, très pro-mémorandaire, qui a une dette de plus de 200 millions d’euros et va arrêter de fonctionner. Les supporters de SYRIZA considèrent sa fermeture comme une victoire du gouvernement.

[6] Vangélis Marinakis est un armateur grec et propriétaire du club de football d’Olympiakos. Quelques jours après sa participation aux enchères des droits télévisuels grecs – il a acheté une licence au prix de 73,9 millions d’euros – il a été convoqué par le procureur pour son implication dans l’affaire du navire NOOR-ONE (trafic de stupéfiants) et pour sa participation à une «organisation criminelle» active dans le contrôle des résultats des matchs avec ce qui en découle pour les paris.

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