France. Hollande, la continuité d’une politique néolibérale

En campagne...
En campagne…

Par Camille Jouve et Patrick Le Moal

François Hollande a été élu il y a un an sans enthousiasme sur son programme: il a surtout bénéficié de l’impopularité de Sarkozy. Force est de constater que le changement attendu n’a pas eu lieu. «Nous attendons plus qu’une déclaration d’amour, nous attendons des preuves d’amour», affirmait Laurence Parisot (présidente du Medef) avant l’arrivée du Premier ministre à l’université d’été du Medef en août 2012.

Un an après l’élection, nous constatons que le gouvernement Ayrault a été un amant fidèle et attentionné. Des rares promesses du candidat Hollande qui auraient pu froisser le patronat et la bourgeoisie, rien n’est resté.

Aucune remise en cause des attaques de Sarkozy, que ce soit en matière d’immigration, de libertés publiques et de dégradation des services publics. Mais la reprise des engagements européens sur le déficit, de la doctrine libérale relative à la bataille pour la compétitivité, mènent à une politique d’austérité brutale. La mise en œuvre de l’ANI (Accord national interprofessionnel – voir les différents articles à ce propos sur le site alencontre.org) est une nouvelle attaque contre les droits des travailleurs. Sans compter la continuité de la Françafrique avec l’intervention au Mali. (voir à ce sujet l’artilce-intervention publié sur le site alencontre.org en date du 5 mars 2013 – http://alencontre.org/europe/france/pour-le-retrait-de-larmee-francaise-du-mali-et-de-lafrique.html.

Ce n’est même plus une politique social-libérale qui est à l’œuvre, c’est une politique néolibérale telle qu’elle est déclinée dans tous les pays européens. Ce qui domine est la continuité de la politique de la décennie précédente. À la crise économique et sociale qui dégrade la situation de ceux d’en bas, s’ajoute la crise politique avec l’affaire Cahuzac, qui illustre la collusion, y compris dans un gouvernement socialiste, des élites politiques et des responsables économiques dans la gestion de l’austérité. Cette crise politique majeure ne résulte pas d’une poussée ouvrière, tout en coïncidant avec une offensive de la droite et de l’extrême droite.

Tout cela nous conduit à nous opposer à ce gouvernement, à créer partout où c’est possible, avec toutes les organisations – partis, syndicats, associations – des pôles de résistance, une opposition de gauche, qui ne laisse pas le champ politique au débat entre une droite radicalisée par l’extrême droite face à ce gouvernement, qui donne une perspective à toutes celles et tous ceux qui n’en peuvent plus de cette politique d’austérité au bénéfice des capitalistes.

Des promesses de campagne non tenues

Souvenons-nous…

• de Hollande en pourfendeur de la finance, dénonçant cet ennemi qui «n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti», et qui ?a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies». La dénonciation s’est arrêtée au verbe. La réforme bancaire est de si piètre envergure qu’elle est en dessous des préconisations européennes et de ce que fait le Royaume-Uni. La finance peut poursuivre des jours tranquilles d’autant plus que le paiement de la dette a été sanctuarisé par le gouvernement.

• des «fortes critiques» du projet de pacte budgétaire européen (TSCG), de la promesse de renégocier le traité «Merkel/Sarkozy». Il n’en a rien été, l’obligation d’un déficit structurel inférieur à 0,5% du PIB a été gravée dans le marbre et, en échange, Hollande n’a rien obtenu sur la croissance. En ratifiant ce traité, les députés socialistes ont institutionnalisé le remboursement de la dette et l’austérité qui en découlent. À titre d’exemple, ramener le déficit structurel de la France à 0,5% du PIB en 2010 aurait signifié faire 87 milliards d’économies?!

• du projet de «redressement dans la justice» par une grande réforme de l’impôt. La révolution fiscale n’a pas eu lieu. Une tranche supplémentaire d’imposition à 45% a été créée mais la taxation à 75% pour les très hauts revenus, qui ne tenait pas compte des revenus du capital, a été annulée par le Conseil constitutionnel. L’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune) retrouve son niveau d’avant Sarkozy, en contrepartie un plafonnement dans la logique du bouclier fiscal a été rétabli, de telle sorte que l’imposition directe nationale d’un contribuable ne puisse pas dépasser les trois quarts de ses revenus. La plupart des «niches fiscales» qui permettent le contournement de l’impôt sont maintenues. Pire, le maintien du gel du barème de l’impôt de Sarkozy va pénaliser 16 millions de foyers et entraînera jusqu’à 200’000 contribuables supplémentaires non imposables auparavant. Par contre, aucune mesure n’a été prise contre la fraude fiscale dont l’affaire Cahuzac a révélé l’ampleur. Elle représente de 60 à 80 milliards d’euros de pertes fiscales, soit un tiers de plus que le coût du service de la dette au nom duquel on exige tant de sacrifices de la part de la population.

Hollande en rase campagne (à Tulle, le 9 avril 2013)?
Hollande en rase campagne (à Tulle, le 9 avril 2013)?

• des modestes promesses d’une loi de «dissuasion» des licenciements, d’une loi obligeant les firmes ne voulant plus d’une d’unité de production bénéficiaire à la vendre pour empêcher son démantèlement. Deux propositions enterrées. Pourtant, les plans de licenciements dans les entreprises en bonne santé financière se sont multipliés depuis mai 2012. L’exemple le plus emblématique est sans doute celui de Sanofi. Le géant pharmaceutique a réalisé 2,2 milliards d’euros de bénéfice pour le seul troisième trimestre de 2012, alors qu’il prévoit de supprimer plus de 900 postes d’ici 2015. En janvier 2012, à Petroplus, le candidat Hollande s’indignait «Où est l’État, où est le gouvernement, où est le président de la République?». Hollande élu, les salariés de PSA, Fralib, Technicolor, Electrolux, Arcelor, Sanofi, ou encore de Virgin ont pu faire l’amer constat que l’État est au côté du patronat. En outre, avec la transcription de l’ANI en loi, il facilite les licenciements car désormais l’absence de motif économique ne permettra plus d’invalider un plan de licenciements.

• du projet de loi d’amnistie sociale pour les syndicalistes et les militants qui ont subi une criminalisation de leurs activités pendant les années Sarkozy. Cette mesure est tombée dans l’oubli pour réapparaître à l’Assemblée sous forme d’une proposition de loi du Front de gauche. Les députés socialistes l’ont d’abord vidée de son contenu, puis l’ont renvoyée aux calendes grecques, en s’y opposant avec la droite. De plus, sont maintenues par ce gouvernement s’affirmant de gauche les atteintes au droit de grève votées sous Chirac et Sarkozy, et les attaques contre les travailleurs en lutte.

• de l’intention de fermer la centrale de Fessenheim (Alsace), au-delà du refus de toute perspective de sortie du nucléaire. La fixation de l’échéance à fin 2016, début 2017, quelques mois avant la prochaine présidentielle laisse planer un doute sérieux sur la réalisation de cette décision…

• enfin, s’il est une promesse emblématique du candidat Hollande appliquée, c’est celle du mariage pour tous. Tout en regrettant que l’accès à la PMA (Procréation médicalement assistée) pour tous n’ait pas été inclus dans la loi, cette avancée vers l’égalité des droits met en relief l’engagement sur le droit de vote des étrangers aux élections locales pour l’instant sombré dans l’oubli. Il faut dire que depuis maintenant plus de trente ans, les socialistes remettent régulièrement cette promesse dans leur programme sans jamais avoir le courage de l’imposer une fois élus.

Des mesures en demi-teinte qui ne reviennent pas
sur les attaques de la période Sarkozy

• Immigration. En matière d’immigration, Hollande procède comme ses prédécesseurs socialistes… Le gouvernement est ainsi revenu sur un certain nombre de mesures prises sous Sarkozy (comme celles concernant les enfants sans-papiers, les étudiants étrangers ou encore l’AME – Aide médicale de l’Etat) mais non sur la totalité, ce qui provoque à long terme une dégradation constante des droits des migrants. Le maintien de l’usage de la circulaire et du cas par cas pour les régularisations ainsi que le nombre d’expulsions de sans-papiers depuis un an (le même que sous Sarkozy) sont les signes manifestes d’une droitisation du PS sur les questions d’immigration.

• Sécuritaire. Il n’est plus question aujourd’hui de la volonté de limiter les contrôles d’identité au faciès grâce à la délivrance d’un récépissé et l’abrogation des peines planchers. Au contraire, Manuel Valls (ministre de l’Intérieur), entre autres, au travers des démantèlements des camps de Roms, de sa gestion des émeutes d’Amiens, de la création des zones de sécurité prioritaire, ne cesse de donner des gages d’une continuité avec la politique sécuritaire de Sarkozy de criminalisation de la misère.

• Éducation. En matière d’éducation, le ministre, Vincent Peillon, n’a eu de cesse de prétendre qu’il s’agissait de la priorité du gouvernement… Or, passé l’effet des premières annonces (rétablissement d’une formation pour les enseignants, rétablissement de l’évaluation par l’inspection pédagogique, création de postes…), la plupart des mesures sarkozystes restent en vigueur bien qu’elles aient constitué des régressions sans précédent pour le service public de l’éducation (livret de compétences, socle commun, réforme du lycée, fichage des élèves…). Pire, la loi d’orientation et de refondation de l’école, le décret sur les rythmes scolaires, et la loi Fioraso pour le supérieur, détériorent encore plus ce secteur.

Des décisions néolibérales en chaîne

Comme en Grèce, en Espagne, en Espagne, le gouvernement Hollande ajoute de l’austérité à l’austérité avec pour conséquence une accentuation de la récession, une augmentation du chômage et une paupérisation des populations. TVA sociale (, ANI, protection sociale, budget d’austérité, tous les ingrédients d’une politique néolibérale sont là.

• Compétitivité. Dans les «60 engagements pour la France» du candidat François Hollande, le mot de compétitivité n’apparaissait qu’une fois et le «?coût du travail?» n’était même pas évoqué. Une fois l’élection passée, il en a été tout autrement.

Le gouvernement a remis au goût du jour la doctrine libérale qui voit dans le déficit de compétitivité de la France un coût trop élevé du travail. Cette reprise s’est traduite, dès novembre 2012, par le pacte de compétitivité qualifié de véritable «?big bang économique salvateur?» par Laurence Parisot. Sarkozy lui-même n’aurait osé faire plus beau cadeau au patronat?: sous forme de baisse d’impôts, les entreprises récupèrent 20 milliards d’euros. Le financement sera assuré par une nouvelle réduction des dépenses publiques et par une hausse de la TVA. C’est le retour de la «?TVA sociale?» de Sarkozy que le candidat Hollande avait qualifié le 30 janvier 2012 de mesure «?inopportune, injuste, infondée et improvisée?», insistant sur le fait que «la compétitivité est un faux prétexte»…

• Accord national interprofessionnel – Loi dite de «?sécurisation de l’emploi?». Dans la logique néo­libérale, François Hollande sommait, en septembre 2012, les «partenaires sociaux» de conclure dans les trois mois un «accord gagnant-gagnant» en matière de droit du travail. Le 11 janvier 2013, le patronat, CFDT, CFTC et CGC signaient l’Accord national interprofessionnel (ANI). Qualifié de «succès du dialogue social» par le président, l’accord a été retranscrit dans la loi en avril 2013. Non seulement cet accord est illégitime car signé par des syndicats qui représentent une minorité de salariés (48%) mais il est inique car il consacre des régressions sociales majeures et officialise le chantage à l’emploi. Les licenciements économiques vont être considérablement facilités et accélérés, la mobilité forcée est rendue possible, les salaires vont pouvoir être réduits, les droits des représentants du personnel et les possibilités de contestation des salariés sont diminués. En échange, les salariés reçoivent des miettes, conditionnelles, soumises à dérogation et reportées à plusieurs mois ou années (complémentaire santé, droits rechargeables à l’assurance chômage, CDD, temps partiel…). Avec cet accord devenu loi, le gouvernement socialiste apporte sa pierre au chantier de destruction du code du travail mis en œuvre par les gouvernements précédents. Il met en œuvre la logique du Medef selon laquelle faciliter les licenciements et baisser les salaires revient à inciter les entreprises à embaucher et donc à relancer l’économie. Une logique dont l’absurdité est démontrée chaque jour par les chiffres du chômage. Par contre, la flexibilité permet bien de maintenir les taux de profit du patronat.

• Retraites. Le prochain chantier auquel Hollande va s’atteler pour combler les souhaits du Medef est celui de la protection sociale. La promesse de faire «en sorte que tous ceux qui ont 60 ans et qui auront cotisé la totalité de leurs annuités retrouvent le droit de partir à la retraite à taux plein à cet âge-là» a été tenue. Mais très peu de personnes et surtout très peu de femmes sont concernées, car cette mesure exige d’avoir travaillé quasiment sans interruption pour prétendre partir à 60 ans avec un maximum de 6 trimestres cumulés pour congé maternité, chômage ou accident du travail. Le PS avait très mollement critiqué le passage à 62 ans de l’âge de départ à la retraite. Par ce décret de novembre 2012, il confirme en fait la loi combattue par des millions de salariés en 2010. Pire, il envisage son accélération. Prévue pour 2018, elle devrait entrer en vigueur en 2017 voire en 2016! Alors qu’en 2010, le PS clamait que la réforme ne permettait pas de pérenniser le financement des retraites, le gouvernement s’apprête à mettre en œuvre la même politique, en envisageant une nouvelle réforme des retraites basée sur un allongement de la durée de cotisation et une désindexation des pensions. Comme sous la droite, seuls les salariés et les retraités seront mis à contribution, les cotisations patronales pourront ainsi être épargnées.

• Budget. La loi de finances pour 2013 a été présentée par Ayrault (Premier ministre) comme un «budget de combat». En réalité, il s’agit d’un budget d’austérité sans précédent qui s’inscrit dans l’objectif affiché par Hollande pendant sa campagne de réduire le déficit à 3?% du PIB et de se rallier au déficit structurel de 0,5% requis par la «règle d’or» du TSCG.

Ce budget programme 37 milliards d’économies qui doivent être mis en regard du paiement exorbitant du service de la dette publique soit 46,7 milliards d’euros. Les deux tiers des économies proviennent de l’impôt. Le dernier tiers, soit 10 milliards, repose sur une restriction des dépenses publiques s’ajoutant aux 2,5 milliards en moins sur les dépenses de l’Assurance-maladie. Ce sera une fois de plus sur le dos des services publics. Les 11’000 postes prévus dans les secteurs définis comme prioritaires (éducation, police, justice), seront créés au détriment des autres puisque 12’298 postes de fonctionnaires doivent être supprimés en 2013. De plus, aucune des créations de postes n’est destinée à compenser ceux perdus sous Sarkozy. Dans l’Éducation nationale, les 60’000 postes prévus sur cinq ans sont destinés à faire face aux nouveaux départs à la retraite et à l’augmentation du nombre d’élèves mais aucunement à rattraper les 80’000 postes supprimés sous Sarkozy. La MAP (Modernisation de l’action publique) qui désormais remplace la RGPP (Révision générale des politiques publiques) n’a donc rien à lui envier car elle conserve les mêmes objectifs.

Le projet de loi de décentralisation laisse augurer de la volonté du gouvernement de se décharger de certaines dépenses publiques sur les collectivités territoriales. La réforme des rythmes scolaires, repoussée à 2014 par les trois quarts des communes, est un bon exemple des velléités du gouvernement en ce domaine.

Si le budget de 2013 s’appuie sur quelques mesures fiscales qui touchaient un peu les plus riches, celui de 2014 sera uniquement basé sur des coupes franches dans les dépenses publiques. L’objectif de ramener le déficit budgétaire à 3?% du PIB sur un objectif de croissance de 0,8% en 2013 s’est avéré pour le gouvernement intenable. Il a abandonné cet objectif, ce qui aurait pu signifier un changement d’orientation et un abandon des politiques d’austérité. Mais au contraire, ce que le gouvernement considère comme un «renoncement» s’est accompagné de restrictions budgétaires encore plus sévères pour 2014 et d’annonces d’attaques sur la protection sociale?!

En bref :

• Contre l’Ayraultport de Notre-Dame-des-Landes

Ce projet de partenariat public-privé avec le groupe Vinci [un géant de la construction, présent dans le secteur des autoroutes, qui contrôle les parkings super-rentable en Suisse romande] date des années 2000. Dans le contexte actuel d’austérité, il est devenu le symbole d’une politique en faveur des plus riches. En essayant d’imposer par la force la construction, le gouvernement a réussi à fédérer sur le terrain les opposants de gauche. En octobre 2012, la répression violente et massive pour déloger les «Zadistes» (opposant à l’aéroport de Notre Dame des Landes, référence à «zone à défendre») a donné au mouvement le caractère d’une épreuve de force, de premier affrontement d’envergure, d’opposition de masse au gouvernement et à sa politique.

• Mali : Hollande dans l’uniforme de la Françafrique

L’intervention de l’armée française n’a pas été déclenchée pour défendre les populations locales, mais pour servir les intérêts post-coloniaux. Il s’agit de relégitimer le rôle économique, politique et militaire de la France dans cette région, son «pré carré». Il s’agit également de protéger la sécurité des mines d’uranium d’Areva au Niger voisin. Bref, la continuité de la politique impérialiste française en Afrique. (3 mai 2013)

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