Air France et la répression

Rassemblement syndical le 12 octobre contre l'interpellation des salariés d'Air France, placés en garde à vue dans les locaux de la police des frontières à Roissy
Rassemblement syndical le 12 octobre contre l’interpellation des salariés d’Air France, placés en garde à vue dans les locaux de la police des frontières à Roissy

Par Mathilde Goannec

Après l’indignation officielle et médiatique, la sanction. Six hommes ont été interpellés par la police, le lundi 12 octobre, à leur domicile, pour avoir participé «aux violences» ayant secoué la direction d’Air France», suite à l’intervention de 200 salariés dans la salle du Comité central d’entreprise d’Air France, le 5 octobre 2015 (voir les articles publiés sur le site alencontre.org en date du 7 et du 8 octobre 2014).

Cette action de colère sociale avait eu lieu en marge d’une manifestation syndicale organisée contre 2900 suppressions de postes de travail. Cet incident a provoqué la fuite de deux membres de la direction. Ils ont fini avec des chemises arrachées. Le 12 octobre, le Bureau national de SUD Aérien affirmait dans un communiqué de presse: «SUD Aérien dénonce l’interpellation qui a lieu ce matin. Les conditions de cette interpellation volontairement mise en scène pour criminaliser des salariés ayant pris part à un mouvement social sont particulièrement scandaleuses. SUD Aérien se joint à l’appel au rassemblement à 16 heures au cargo CDG (Charles de Gaule) ce jour, 12 octobre pour protester contre la criminalisation des salariés d’Air France.» Ci-dessous un article publié à ce sujet sur le site Mediapart. (Rédaction A l’Encontre)

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«Arrêtés chez eux à 6 h du matin? Pourquoi? Pour les humilier devant leurs familles ou parce qu’ils préparaient une fuite à Saint-Martin?», s’interroge la députée écologiste Cécile Duflot sur twitter, étonnée par le spectacle de ces arrestations matinales, révélées par Europe 1 et confirmées par l’Agence France Presse. Selon un responsable syndical, interrogé par Mediapart, rapportant le témoignage d’une des épouses des salariés interpellés, «ça s’est passé dans le calme, même si, vu les faits, les gars s’attendaient plutôt à une convocation qu’à être arrêtés chez eux».

Les six hommes (dont un délégué du personnel), issus des secteurs de la maintenance et du fret, auraient été identifiés grâce à des caméras de vidéosurveillance et risquent des poursuites pénales. Une dizaine de plaintes ont été déposées à leur encontre par la direction, ainsi que deux vigiles (l’un d’eux a fait un malaise de quelques minutes au moment des incidents). Ces salariés sont également menacés, selon nos informations, de licenciements secs par Air France. Très vite, ils risquent de perdre aussi leur badge aéroportuaire – sésame pour l’accès aux avions –, délivré sous l’autorité de la préfecture.

D’autres salariés, participants ou témoins, vont également être entendus par la police et attendent leur lettre de convocation. Un certain nombre est également sous le coup de sanctions disciplinaires de la part du groupe Air France, pouvant aller jusqu’au licenciement. Selon Didier Fauverte, secrétaire général de la CGT chez Air France, cité par Reuters, quatre ou cinq salariés seraient même menacés d’une mise à pied ou de retenue sur salaire pour avoir simplement chanté «sans chemise, sans pantalon» le jour des incidents. Confortée par une classe politique et syndicale, la machine judiciaire va vite, et fort. Air France, de son côté, joue très habilement la partition de l’offensé. Les échauffourées du 5 octobre lui permettent d’enfoncer un peu plus le mouvement social au sein de la compagnie, et de justifier sa stratégie.

Ainsi, vendredi dernier, de nombreux clients d’Air France ont reçu ce mail: «Ce que nous avons tous vu, ce n’est pas Air France. Soyez-en convaincus, ces violences ont été le fait d’individus isolés et ne reflètent ni la réalité ni l’ambition de votre compagnie. (…) Dans un monde extrêmement concurrentiel, Air France doit prendre des mesures courageuses afin d’assurer son avenir dans le peloton de tête des compagnies aériennes à vocation mondiale.» Une communication de crise qui passe assez mal auprès des salarié·e·s, dont beaucoup opposent aux chemises arrachées la violence des licenciements à venir: «Il faut que dans l’esprit de tous les travailleurs, on martèle qu’il est désormais interdit en France d’avoir une réaction, même si elle est viscérale, incontrôlée, incontrôlable face à la menace et la violence de la perte de son emploi», regrette la CGT.

Malgré cette ambiance électrique, un round de rencontres informelles a été ouvert la semaine dernière par la direction sur l’hypothèse d’un «plan C» avec chacune des organisations syndicales. La négociation reposerait toujours sur une hausse de la productivité, mais moyennant un plan de départs volontaires plutôt que les licenciements contraints annoncés fin septembre.

dessinjiho500-b91c5Le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne) ainsi que le SPAF (Syndicat des pilotes d’Air France), les deux syndicats majoritaires chez les pilotes, auraient accepté de revoir leur copie, notamment sur la saisonnalité (le fait de voler davantage selon les périodes de vacances), sans plus de précisions. Egalement concernés, stewards et hôtesses estiment que le dernier accord signé avec Air France les engage jusqu’en 2016 et ne veulent pas se remettre à table avant. «On va quand même aller voir ce qu’ils proposent, mais on a déjà fait des efforts lors du dernier plan en réduisant le volume de personnel sur chaque vol long-courrier et en augmentant de 20 % notre productivité, assure Christophe Pillet, secrétaire général adjoint du SNPNC (Syndicat national du personnel navigant commercial). Pas question de toucher à notre rémunération.» Au sol, «on ne voit pas bien ce qu’on pourrait faire de plus, assure Mohammed El Fodi, délégué syndical FO. Nous avions convenu d’un effort de 20% lors du dernier plan, nous en sommes déjà à 23. Le personnel est dans le désarroi le plus total». La CGT ne veut «aucun licenciement».

Chaque corporation ayant négocié son accord (hormis les personnels au sol qui sont couverts par une simple convention), la direction utilise toujours son arme favorite, la division, avec comme bouc émissaire principal les pilotes, présentés sans relâche comme des enfants gâtés de l’aérien. Un semblant d’unité semblait pourtant avoir émergé cette année, à la différence de la longue grève de l’an dernier. «Je crois que nous sommes désormais tous rassemblés dans la même défiance vis-à-vis de la direction, qui nous ment en permanence, argue Christophe Pillet, représentant des hôtesses et stewards. On a quand même, plan après plan, perdu 12’000 emplois. Pour quel résultat?»

Au-delà de la mise en œuvre de Perform’20, la direction peut difficilement ignorer un élément de poids: la sécurité des vols. «C’est une cocotte-minute bouillante cette boîte, raconte une hôtesse, qui souhaite rester anonyme. A force de faire monter les divisions, il n’y a plus aucune osmose. Mais dans un avion, une hôtesse qui ne veut plus parler à un pilote, c’est grave!» Mohammed El Fodi, technicien de métier, a peur lui aussi des dérapages: «Nous avons des agents qui se sont mis à boire, un collègue a menacé les autres avec un fusil… Quand on a un responsable de zone, chargé de l’atterrissage d’un avion, qui ne va pas bien, ça joue à plein sur la sécurité.» Le climat délétère qui s’est installé au sein d’Air France ces dernières années a déjà fait l’objet de plusieurs alertes au CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).

Le 8 octobre, soit quatre jours après la manifestation au siège, une note d’Alain Bassil, directeur général délégué, a été postée à l’attention des salariés: «Au-delà des tensions, des sensibilités, voire d’éventuels clivages, la sécurité de nos vols reste notre bien commun le plus précieux. Sachons le préserver et y consacrer toute l’énergie nécessaire.» De quoi relancer la colère des syndicats, qui accusent Air France de jouer «au pompier pyromane». En septembre 2014, au plus fort de la grève, certaines hôtesses et des stewards arboraient pour marquer leur opposition aux pilotes un badge «No captain». Dans un avion, ça fait mauvais genre. (12 octobre 2015)

 

AirFranceSuppr

 

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