France. A l’occasion de la «marée» du 26 mai, réflexions sur quel syndicalisme

Par Christian Mahieux

Nous avons déjà expliqué la grève des cheminots et cheminotes en France: son inscription dans la durée, mais aussi ses difficultés liées aux choix des fédérations syndicales CGT, UNSA, SUD-Rail et CFDT de construire un mouvement qui ne repose pas du tout sur les assemblées générales de grévistes. Depuis, cette lutte se poursuit. Les fédérations syndicales maintiennent leur tactique de la grève en pointillé sur des dates pré-annoncées trois mois à l’avance; elles y ont ajouté l’organisation d’un referendum interne à la SNCF qui, sans surprise a confirmé que 95% des votants et des votantes (61% de participation) refusaient le «plan ferroviaire» du gouvernement. Une confirmation certes; mais quel intérêt? Des dizaines de milliers de cheminots et cheminotes avaient déjà donné leur avis depuis début avril en participant à la grève !

Le gouvernement tente de mettre un terme au conflit social en annonçant une «reprise partielle de la dette SNCF par l’Etat». Mais cette «dette» n’est pas celle de la SNCF, encore moins celle des cheminotes et des cheminots. Elle correspond pour l’essentiel au financement des infrastructures publiques nécessaires au chemin de fer! En ce domaine, certains des choix qui ont été faits dans le passé sont critiquables, mais ils ne sont pas de notre responsabilité. De toute manière, cette «réponse» ne correspond pas aux revendications prioritaires des grévistes. Le mouvement se poursuit donc, avec ses grandes limites déjà pointées.

Parallèlement, le 22 mai, toutes les fédérations syndicales de fonctionnaires appelaient à la grève et à des manifestations. La journée fut réussie, sans atteindre pour autant des chiffres de grévistes très forts, ni des manifestations énormes. L’absence de perspective derrière ce type d’appel à 24 heures de grève limite la participation. Le choix des fédérations CGT, UNSA et CFDT des cheminots et cheminotes de ne pas bouger leur calendrier préétabli pour pouvoir être aux côtés des fonctionnaires le 22 a aussi pesé.

A l’occasion de cette journée de manifestations, la répression d’Etat a encore été forte : arrestations et condamnations arbitraires, y compris de jeunes lycéens et lycéennes « coupables » d’avoir occupé leur établissement ! Ailleurs, à Notre-Dame-des-Landes, les expulsions de Zadistes se poursuivent, un d’entre eux a eu la main arrachée par une grenade de la gendarmerie… Sur ce plan, ce sont aussi les violences policières que dénoncent associations et collectifs présents notamment dans les banlieues : elles sont régulières vis-à-vis des personnes racisées.

Le samedi 26 mai, une soixantaine d’organisations associatives, syndicales et politiques appelaient à une journée de manifestations dans tous le pays. Là encore, s’il ne faut pas bouder le nombre de manifestants et de manifestantes, «la marée populaire» annoncée, par certains, n’a pas englouti le pays! Ces manifestations sont utiles, parce que ce sont des moments d’expression de mécontentement et de convergences. Mais elles ne peuvent se substituer à l’action directe des travailleurs et des travailleuses dans les entreprises et les services, et notamment à la grève. Il ne s’agit nullement de rejeter une forme d’action, mais il y a une question de priorités militantes : que faut-il construire, défendre, renforcer, aujourd’hui? Des appels à manifester sans assise gréviste ou des outils pour l’organisation des classes populaires et leur action directe?

Ces «marées» ont aussi confirmé des désaccords fondamentaux sur la conception des mouvements sociaux et du rapport à la politique. Certaines forces, même avec un discours modernisé, n’ont pas rompu avec le modèle du syndicalisme et de l’associatif courroies de transmission du parti politique ; ce dernier, le cas échéant sous une forme de Front voire d’une nébuleuse encore plus large, étant considéré comme le seul à « faire de la politique ». Au contraire, nous réaffirmons que l’autonomie du mouvement social est une nécessité vitale. Et il ne faut pas que ce dernier se dispense de porter un projet de société alternatif, débarrassé du capitalisme, comme du racisme et du patriarcat. Dans un texte récent, Théo Roumier nous le rappelle : «On parle beaucoup de Mai 68 ces temps-ci. On ferait bien de s’intéresser également aux années qui l’ont suivi et au poids qu’a pu faire peser le « Programme commun de gouvernement » de la gauche. Plutôt que de croire en elles-mêmes, les luttes sociales des années 70, celles des usines comme toutes les autres, s’y sont progressivement arrimées».

Le syndicalisme est politique. Il rassemble celles et ceux qui décident de s’organiser ensemble sur la seule base de l’appartenance à la même classe sociale. Ensemble, ils et elles agissent alors pour défendre leurs revendications immédiates et travailler à une transformation radicale de la société. Un grand nombre d’associations jouent un rôle considérable dans le mouvement social. Quasiment toutes se sont construites parce que le syndicalisme a abandonné des champs de lutte ou les a ignorés et, de fait, elles font «du syndicalisme» tel que défini ici: associations de chômeurs et chômeuses, pour le droit au logement, de défense des sans-papiers, coordination de travailleurs et travailleuses précaires, etc. D’autres interviennent sur des sujets qui sont pleinement dans le champ syndical: elles sont féministes, antiracistes, écologistes, antifascistes, antisexistes, etc. Se pose aussi la question du lien avec les travailleurs et travailleuses de la terre. Il y a aussi les mouvements anticolonialistes, revendiquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, antimilitaristes, pacifistes, etc. Tout cela concerne les intérêts et l’avenir de notre classe sociale et c’est de ce point de vue qu’il faut les traiter.

Si nous mettons en avant les mouvements sociaux, c’est parce que ce sont eux qui organisent les luttes, l’action directe des travailleurs et des travailleuses. Parmi ces mouvements, le syndicalisme a une particularité essentielle : comme dit précédemment, il rassemble sur la seule base de l’appartenance à la même classe sociale. C’est fondamental. Un syndicalisme de lutte bien sûr, mais aussi un syndicalisme qui ose des ruptures avec l’existant pour mieux avancer. La question de l’unité, voire de l’unification, est importante. Il s’agit aussi de redéfinir les contours de l’organisation syndicale. La notion de «centrale syndicale et populaire» n’est pas sans attrait… (Article envoyé par l’auteur ; reçu dans la soirée du 26 mai 2018)

Christian Mahieux, militant SUD-Rail [Union syndicale Solidaires]. Membre du comité éditorial de la revue Les utopiques (www.lesutopiques.org).

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