France. «A Belfort on encaisse le coup»

alstomPar Laurent Lacoste

L’annonce de la fermeture de l’usine Alstom Transport de Belfort pour 2018 ne frappe pas seulement les ouvriers, mais toute une ville et 137 ans d’histoire sociale. Elle vient surtout contredire les belles promesses d’Emmanuel Macron.

Dans Le Progrès Social, numéro 95 du 2 septembre, nous consacrions un article à la désindustrialisation de la France, en particulier à ses méfaits économiques et sociaux. Le phénomène – en réalité, le choix délibéré des gouvernements successifs de ne rien faire pour stopper cette désertification – n’est certes pas nouveau, mais il connaît une accélération ces dernières années malgré les grandes promesses qu’on peut entendre à chaque élection présidentielle. Malgré aussi les plans dérisoires de «redressement productif».

Avec Alstom Belfort, c’est l’un des plus grands symboles de cette industrie française qui est frappé de plein fouet, mais aussi toute une région, toute une population. Que l’on se rende compte : comme nous le rappelle Olivier Kohler, délégué syndical CFDT chez Alstom Transport – un «historique» du site – «la toute première implantation date de 1879. L’usine, qui au plus fort de son activité a employé jusqu’à 5000 personnes, n’est pas située à l’écart de Belfort, mais en plein cœur. Le lien avec la population est donc très fort. Difficile, parmi les habitants, de ne pas trouver une famille où quelqu’un n’a pas travaillé chez Alstom. Comme on a coutume de le dire ici, quand Alstom tousse, la ville entière tousse avec! Ceci explique que la nouvelle est vécue comme un véritable coup de massue. On s’attendait à du partage d’activités, à des mesures concernant l’âge, à ce genre de choses, mais certainement pas à une fermeture définitive ».

Ce que l’on comprend mieux en retraçant l’histoire. En 1879, c’est sous le nom de SACM (Société alsacienne de construction mécanique)  que s’ouvre le premier atelier. A l’époque, l’Alsace-Lorraine est encore annexée par l’Empire allemand qui veut satisfaire les commandes de ses clients français sans payer les droits de douane. Après la construction de la première locomotive à vapeur en 1881, la création d’Alsthom (avec un «h» qui sera abandonné en 1998) naît, en 1928, de la fusion entre la SACM et la compagnie française Thomson-Houston. Le programme TGV, élaboré entre 1966 et 1978, va donner ses lettres de noblesse à l’unité de production, qui se retrouve alors propulsée à la pointe de l’industrie ferroviaire internationale.

L’hypocrisie des politiques

Ces cinq dernières années, il est vrai, les commandes étaient un peu moins nombreuses. Récemment, la direction enregistrait la perte d’un gros contrat de 44 locomotives de manœuvre et de travaux au profit de son concurrent allemand Vossloh. Alstom continuait néanmoins de décrocher des contrats, notamment avec l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan, mais ces derniers prévoyaient tous de fabriquer les locomotives sur place, avec un transfert de technologie. Lorsqu’Alstom est rachetée par le groupe General Electric (GE) en novembre 2015, la branche transport ne fait pas partie du «deal» et une certaine inquiétude commence à naître dans les rangs. L’Etat français, il faut s’en souvenir, avait déjà volé au secours de la firme en 2004. Fin août 2015, cependant, deux nouvelles étaient venues rassurer un tant soit peu les salariés: 1° d’abord l’annonce d’un partenariat avec la SNCF pour la conception de la prochaine génération de TGV ; 2° puis le marché historique de 2,2 milliards d’euros décroché aux Etats-Unis pour la modernisation de la ligne à grande vitesse qui relie Washington à Boston, sur la côte est. Même si les trains seront là aussi fabriqués sur place, l’avenir paraissait assuré. En visite sur le site, en mai 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, avait assuré les travailleurs que leur activité «a une importance stratégique pour la France et sera donc défendue»… Les salariés sauront apprécier.

Du côté des politiques, justement, l’annonce brutale – pour les salariés s’entend – de la fermeture de l’usine, qui emploie aujourd’hui 500 personnes, a donné lieu à l’habituelle série de déclarations hypocrites où l’on feint la surprise.

Ainsi, en date du 8 septembre, après lui avoir fait part «de leur incompréhension du caractère soudain et non concerté de cette annonce», Michel Sapin (ministre de l’Economie et des Finances) et Christophe Sirugue (Secrétaire d’Etat à l’Industrie) ont demandé au PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, «d’engager une phase de discussion et de négociation avec l’Etat, les partenaires sociaux, les élus locaux et l’ensemble des parties prenantes» avant toute décision définitive sur une éventuelle fermeture de l’usine. Qui peut croire un instant que l’exécutif a découvert l’annonce en même temps que les salariés? Comme pour ArcelorMittal à Florange en 2012, va-t-on voir les politiques converger vers Belfort pendant la campagne de la présidentielle 2017 et, casque sur la tête, assurer les ouvriers qu’on va sauver leur usine avant de les laisser choir une fois l’échéance passée? Malheureusement, il y a des risques pour que ce spectacle ne nous soit pas épargné.

Un soutien populaire

Marianne Gaillard, déléguée syndicale SUD chez Alstom Power (branche dédiée aux centrales nucléaires), est allée exprimer le soutien de son syndicat au rassemblement des salariés jeudi 15 septembre. «Même Damien Meslot [maire LR de Belfort depuis 2014, NDLR], nous dit-elle, voudrait nous faire croire qu’il ne savait rien. C’est donner de lui-même une image de naïveté à laquelle personne ne peut croire». Le 8 septembre, l’édile a même annoncé avoir «convoqué le Conseil municipal afin de témoigner de tout le soutien de la Ville de Belfort et de ses élus aux salariés d’Alstom. Je suis combatif et la Ville de Belfort s’investira pleinement afin de défendre l’intérêt des salariés».

Ce Conseil exceptionnel devait avoir lieu le 14 septembre. Le problème étant que ces mots ont déjà été mille fois entendus par le passé, à Aulnay-sous-Bois, à Florange et dans bien d’autres lieux. Sempiternelle mascarade n’ayant d’autre objectif que de faire passer la pilule en douceur et de ne pas avouer trop tôt qu’on laissera faire.

Durant ce premier rassemblement, nous raconte Marianne Gaillard, l’heure n’était pas encore à la colère. Les salariés, venus nombreux, semblaient être à la fois assommés et dans l’attente. Pour le moment ils veulent comprendre, avoir des explications». Olivier Kohler, lui, pense déjà à la suite et promet que les travailleurs ne sauraient rester passifs: «Malgré les annonces faites par Alstom sur d’éventuels reclassements et autres aménagements, il faut savoir que dans cette usine, pas mal de gens sont dans la cinquantaine ou en passe de l’atteindre. Ce qui ne facilite pas les choses. Le reste de l’activité va être transféré à Reichshoffen, soit à 200 kilomètres d’ici».

Quel que soit le mouvement, il sait «que celui-ci aura le soutien massif de la population. Nous nous préparons à une multitude d’actions pour retarder et même remettre en cause cette fermeture: occupations, grèves, blocages, ralentissement de l’activité. Nous n’allons pas accepter comme ça cette décision, prise par un grand groupe mondial dans le seul but de faire plaisir à ses actionnaires. Une décision où l’humain ne compte pas ».

Il devrait d’ores et déjà pouvoir compter sur le soutien de la CGT, présente lors du rassemblement, mais aussi de SUD. Cela aussi bien au niveau d’Alstom que de General Electric, comme nous l’a confié un représentant de ce syndicat bien implanté sur le site du groupe américain à Belfort.

«C’est encore un peu tôt pour savoir quelle forme cela prendra, confie Marianne Gaillard, mais il faut savoir qu’au sein d’Alstom Power, ce n’est pas rose non plus. Lors de notre rachat par General Electric, on nous a assuré qu’il y aurait 300 ou 400 créations de postes. Aujourd’hui, le choix de la direction est très différent. Alors que des personnes sont en surcharge de travail, des activités sont transférées vers la Suisse».

Quoi qu’en pensent l’exécutif et la direction, l’histoire des ouvriers d’Alstom transport, « la traction » comme on l’appelle là-bas, n’est pas terminée. (Article publié dans le Progrès social)

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