L’Espagne vole au secours de ses banques

Mariano Rajoy et Rodrigo Rato

Par Martine Orange

Après avoir repoussé autant que possible les échéances, le gouvernement espagnol a dû se rendre à l’évidence : le système bancaire espagnol est au bord de l’effondrement. L’Etat, qui jusqu’alors s’était refusé à intervenir, est dans l’obligation de voler au secours de ses banques. «Si cela s’avère nécessaire pour relancer le crédit, pour sauver le système financier espagnol, je n’hésiterai pas à injecter des fonds publics, comme d’autres pays européens l’ont déjà fait», a reconnu, lundi, le premier ministre Mariano Rajoy.

Dans la foulée, le président de Bankia, Rodrigo Rato, qui s’est beaucoup battu face au gouvernement pour conserver son indépendance, démissionnait de son poste. Créée en 2010 par la fusion de sept caisses d’épargne (Cajas) espagnoles, Bankia est la troisième banque du pays. Elle porte tout le passé et le passif de la bulle immobilière, les caisses d’épargne ayant été très actives dans le secteur. Selon les estimations, elle détient près de 37 milliards d’euros de créances, dont près de la moitié sont considérées comme douteuses, voire perdues, depuis l’effondrement du secteur immobilier.

Selon la presse espagnole, le gouvernement envisage d’apporter entre 3 et 7 milliards d’euros pour recapitaliser l’établissement bancaire. Pour de nombreux observateurs, ces interventions limitées risquent de se révéler insuffisantes, compte tenu de la dégradation de la banque. De plus, cette aide risque d’être suivie d’autres, l’ensemble du secteur bancaire étant au bord de l’asphyxie. «Se contenter de réinjecter des capitaux reviendrait à aligner les chaises du pont sur le Titanic. L’Espagne ne s’est pas encore avouée l’état de fragilité de ses banques, et la situation critique dans laquelle elle se trouve», dit un conseiller des banques espagnoles, cité par le Financial Times.

Le mois dernier, le FMI avait lui-même prôné un nettoyage massif des banques espagnoles, estimant que la fragilité du système faisait peser un risque «systémique» sur l’ensemble du système financier européen. La solution la plus fréquemment préconisée est la création d’une structure de défaisance publique, une bad bank, qui recueillerait toutes les créances douteuses et les produits à risque des établissements bancaires. Mais la mise en place de ce sauvetage représenterait un défi pour les finances publiques espagnoles. Selon les estimations, entre les recapitalisations et le portage de cette bad bank, les besoins de financement sont estimés aux alentours d’une centaine de milliards d’euros.

Le précédent irlandais

Le précédent de l’Irlande est dans toutes les têtes. Pour avoir sauvé, sans discussion et sans discernement, ses trois grandes banques en injectant massivement de l’argent public, sans rien demander aux créanciers et aux actionnaires, l’Irlande a manqué être entraînée par le fond. Depuis trois ans, les Irlandais paient par des plans de rigueur et de sauvetage successifs l’addition de ce sauvetage bancaire. Au moment où l’économie espagnole est en pleine récession, où le taux de chômage atteint déjà 25%, le sauvetage des banques espagnoles par des fonds publics semble presque impossible. L’endettement du pays qui est déjà de 79% du PIB , risquerait de prendre des proportions astronomiques.

La position politique serait encore plus intenable: pour respecter les engagements pris auprès de la Commission européenne de retour à l’équilibre en 2016, le gouvernement serait dans l’obligation d’imposer, au nom du sauvetage des banques, de nouvelles mesures d’austérité, venant s’ajouter à celles déjà prises. De quoi attiser la contestation sociale voire l’instabilité politique.

Les marchés financiers ont compris l’impasse dans laquelle se retrouve le gouvernement espagnol: ils ont déjà commencé à fuir. Depuis des mois, la majorité des banques espagnoles dépend de la Banque centrale européenne pour se refinancer, leurs homologues étrangers refusant de leur prêter de l’argent. Les financiers ont commencé à rapatrier tous leurs excédents en dehors du pays, et les dépôts diminuent. En dehors des banques espagnoles, qui ont souscrit 70% des émissions publiques depuis le début de l’année plus personne n’achète de la dette du pays, ce qui renforce encore la fragilité de l’ensemble, Etat et banques se contaminant l’un l’autre. Les taux des obligations à dix ans frôlent toujours les 6%

Certains dirigeants européens, ayant analysé la situation explosive, préconisent que les banques espagnoles puissent se financer directement auprès du fonds européen de stabilité, sans passer par l’Etat, comme cela est normalement prévu. Cette solution aurait, selon eux, l’immense avantage de ne pas aggraver l’endettement public espagnol. Angela Merkel a, pour l’instant, opposé un refus catégorique à cette proposition : il ne saurait être question, pour Berlin, de modifier les règles arrêtées par les pays de la zone euro, après de si longs débats, et surtout de mutualiser un peu plus les risques. L’urgence, cependant, pourrait une nouvelle fois mettre à bas les principes allemands. L’Europe frôle déjà le précipice avec la Grèce, représentant à peine 2% du PIB de la zone euro. Avec l’Espagne, elle court le danger d’y tomber tout entière.

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Cet article a été publié sur le site Mediapart en date du 8 mai 2012

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