La Catalogne et Podemos: le droit à décider de quoi, comment, quand?

podemos1Par Marti Caussa

La visite de Pablo Iglesias, leader de Podemos, à Barcelone, le 21 décembre 2014, a suscité beaucoup d’attentes pour plusieurs raisons. L’une était de connaître sa position à propos du droit de la Catalogne, du peuple catalan, à décider, une revendication que, selon toutes les enquêtes d’opinion, partage une large majorité de la société catalane. Cette revendication a donné lieu ces dernières années à des grandes mobilisations de masses et a suscité, il y a peu, une historique désobéissance civile: le 9 novembre, plus de deux millions trois cent mille personnes sont allées voter lors de la consultation interdite par le gouvernement central et par le Tribunal constitutionnel. [Voir à ce sujet les articles publiés sur ce site en date des 2 et 11 novembre 2014] . A la suite de cette consultation, sont poursuivis en justice [par le Tribunal Supérieur de Justice] Artur Mas, le président de la Généralité de Catalogne, Joana Ortega, la vice-présidente, ainsi que le conseiller Ramon Espadaler.

Depuis son grand triomphe aux dernières élections européennes, Podemos a apporté un ouragan d’air frais dans la politique espagnole, salué par ceux d’en-bas, et craint et dénigré par ceux d’en-haut. Dans le sujet qui nous occupe, Podemos s’était prononcé clairement pour le droit de la Catalogne à décider, avait défendu qu’il fallait aller voter le 9N en dépit de l’interdiction du Tribunal constitutionnel, et n’avait exprimé de préférence pour aucune des alternatives de vote. Comme Pablo Iglesias l’a rappelé, il y a dans Podemos des gens favorables au OUI-OUI (OUI à une Etat propre et OUI à l’indépendance), favorables au OUI-NON, et favorables au NON-NON.

Mais le 9N n’a pas suffi à résoudre le problème. Conquérir le droit du peuple de Catalogne à décider reste une revendication politique d’actualité pour des millions de personnes en Catalogne. Assurément ce n’est pas la seule, mais bien une des plus importantes. Et on attendait donc que Podemos y réponde, étant donné que Podemos postule clairement à gouverner l’Espagne. Or, problème existe précisément à cause du refus du gouvernement central à accepter aucune sorte de référendum ou de consultation du peuple de Catalogne à propos de la relation qu’il souhaite entretenir avec l’Etat espagnol.

Concrètement, on espérait que Pablo Iglesias répondrait à deux questions: Au cas où Podemos gagnerait les prochaines élections générales, s’engagerait-il à organiser un référendum pour connaître l’opinion du peuple de Catalogne à propos de l’indépendance, semblable au référendum qui a eu lieu en Ecosse?; Sachant qu’il n’est pas favorable à cette indépendance, quel type de relation entre la Catalogne et l’Etat espagnol propose-t-il? Mais aucune des deux questions n’a trouvé réponse, ni lors du meeting auquel assistèrent tant de gens à Barcelone (quelque 3000), ni lors de la longue interview qu’il a concédée à TV3.

Les réponses concrètes qu’on attendait de lui sont restées diluées dans deux affirmations générales: le droit du peuple de décider de tout et la défense de la souveraineté populaire. Du point de vue d’une position démocratique de défense de ceux d’en-bas, on ne peut pas être en désaccord avec cela. Mais sous l’angle d’une clarification de sa position concernant le droit du peuple de Catalogne à décider de sa relation à l’Etat espagnol, ces deux affirmations générales sont clairement insuffisantes.

Quand la journaliste de TV3 lui a demandé s’il croyait que la Catalogne était un sujet politique souverain, Pablo Iglesias lui a répondu que c’était à l’ensemble des Catalanes et Catalans d’en décider. C’est assurément une réponse très différente de celle qu’auraient faite Mariano Rajoy [Parti Populaire], ou Pedro Sanchez, le nouveau secrétaire général du PSOE: tous deux auraient répondu carrément NON. Mais c’était néanmoins décevant pour les centaines de milliers de personnes en Catalogne qui depuis des années affirment «Som una nació» [«Nous sommes une nation»] et réclament le droit de décider, c’est-à-dire qu’elles exigent que la Catalogne soit considérée comme un sujet politique souverain et traitée d’égal à égal par l’Etat espagnol. Décevant également parce qu’Iglesias affirma clairement que l’Espagne est un pays de nations, pour se différencier, peut-on supposer, des ambiguës « nationalités» qu’évoque le texte de la Constitution espagnole de 1978 [celle organisant la «transition» du franquisme à la «démocratie»] qui ne leur accorde que le droit à une autonomie. Mais alors il n’est pas clair du tout si ces nations qu’évoque Iglesias sont des sujets politiques souverains.

Pablo Iglesias a également défendu le droit du peuple de décider de tout, y compris de la question territoriale. Mais il n’a pas seulement évité de s’engager pour la promesse d’un référendum d’autodétermination, il a aussi indiqué une voie différente, à savoir un processus constituant dans tout l’Etat espagnol. Les formules qu’il a utilisées ont été diverses: «La Catalogne doit être ce que les Catalans et les Catalanes décideront, mais pour que cela soit possible, il est nécessaire d’ouvrir un processus constituant dans tout l’Etat»; «il faut ouvrir un processus constituant pour discuter de tout avec tous» ; etc.

Mais il a parlé dans tous les cas d’un unique processus constituant au niveau de tout l’Etat espagnol, sans jamais faire allusion à la possibilité de processus constituants dans les diverses nations qui existent dans cet Etat [1]. C’est tout à fait cohérent avec sa volonté de laisser ouverte la question de savoir si la Catalogne est un sujet politique souverain. Mais c’est très éloigné des revendications du mouvement national en Catalogne, où la revendication est majoritairement un processus constituant spécifiquement catalan, tant de la part des secteurs qui sont clairement favorables à l’indépendance, comme de la part de ceux qui sont favorables à une structure fédérale [pour faire image:les quartiers d’une orange], confédérale [pour faire image:les grains d’une grappe de raisin], ou autre encore.

Pablo Iglesias reconnaît clairement que l’Espagne est un pays de nations, mais on ne l’a pas entendu reconnaître que l’Etat espagnol opprime certaines de ces nations et qu’il ne s’agit pas d’un problème récent mais bel et bien historique, antérieur à la Constitution de 1978, et qui s’appuie sur une idéologie nationaliste espagnole qui, malheureusement, déborde largement des frontières de «la caste» [le terme utilisé par Iglesias et Podemos pour caractériser les dominants politiques].

On ne l’a pas non plus entendu évoquer que le peuple de la nation opprimée possède des intérêts particuliers et différenciés, pas seulement de pouvoir décider le degré d’auto-gouvernement (ou l’indépendance), mais également, par exemple, sur le terrain de la défense de sa langue et de sa culture. Comme il ne semble pas reconnaître ces spécificités, on comprend mieux qu’il ne les reconnaisse pas non plus à «la caste» catalane et qu’il mette sur un pied d’égalité Mariano Rajoy [président du gouvernement de l’Etat espagnol depuis le 21 décembre 2014] et Artur Mas [président de la Généralité de Catalogne depuis le 27 décembre 2010]. Et cela pas seulement pour ce qui relève de leur politique économique et sociale, ce qui serait juste, mais pour ce qui est de leur attitude à l’égard du droit à décider et de la défense de la langue et de la culture catalanes, ce qui n’est pas du tout juste du tout, quelque vacillante, timorée, inconséquent et opportuniste, nous paraisse la politique de Artur Mas. Toutefois, Artur Mas a voulu convoquer un référendum sur l’indépendance et Rajoy l’a refusé; Artur Mas a convoqué la première consultation du 9N et Rajoy l’a attaquée devant le Tribunal constitutionnel; Artur Mas a convoqué la deuxième consultation du 9N et Rajoy a recouru devant le Tribunal encore une fois; Artur Mas a appelé également à voter le 9N et il est poursuivi par la justice pour cela. Artur Mas (et le corrompu Jordi Pujol son prédécesseur) ont défendu le catalan comme langue véhiculaire de l’école catalane et Rajoy l’a attaquée de toutes les façons possibles. Artur Mas a défendu l’évidence scientifique et linguistique de l’unité de la langue de Catalogne, des Iles Baléares et du Pays Valencien, et Rajoy s’efforce de la démembrer avec acharnement.

Dans ces conflits-là, il n’est pas possible de rester neutre, il faut organiser la mobilisation la plus large possible en défense du droit à décider, du catalan comme langue véhiculaire de l’école et en défense de la langue commune (tout en respectant ses variantes dialectales et les appellations qu’elles portent). Et pour faire cela, sont indispensables des alliances tactiques et ponctuelles avec le parti de Artur Mas ou avec toute autre formation qui défende ces revendications précises.

Pablo Iglesias s’est montré contraire à cette orientation. Agressivement contraire même, quand il a offert lors de son meeting à Barcelone comme page de couverture aux journaux: «Moi, on ne me verra pas embrasser ni Rajoy ni Mas», allusion à l’embrassade le 9 novembre entre David Fernández, de la Candidatura d’Unitat Popular (CUP), et Artur Mas. Lors de son interview à TV3, il s’est expliqué plus encore: «La CUP a choisi un chemin qui implique une alliance avec CiU», «une stratégie d’alliance, quoique tactique, avec Monsieur Mas est une erreur politique.»

Quoi qu’on pense de l’opportunité de l’embrassade de David Fernández, la justice commande de reconnaître que la CUP en général, et David Fernández en particulier, a eu une position correcte durant tout le déroulement du 9N, en combinant l’unité tactique quand elle était nécessaire à la progression du mouvement, avec la critique et la dénonciation des vacillements et des tentatives de Artur Mas de reculer. La position de Pablo Iglesias sonne plus radicale parce qu’elle apparaît servir à combattre l’influence de Artur Mas sur le mouvement. Mais si Podemos avait appliqué cette position durant les mois antérieurs au 9N, par exemple en dénonçant l’accord entre les partis souverainistes à propos de la consultation, il aurait seulement réussi à rester en dehors du mouvement réel et laisser à Mas une position plus confortable dans le mouvement.

En résumé, nous aurions aimé que la visite de Pablo Iglesias en Catalogne signifie qu’il s’engage à convoquer un référendum d’autodétermination en cas de victoire électorale de Podemos, qu’il défende la combinaison entre un processus constituant au niveau de l’Etat espagnol avec des processus constituants dans les nations opprimées, ainsi qu’une volonté de tisser les alliances nécessaires pour que le mouvement pour le droit à décider en Catalogne soit un bélier pour briser les cadenas de la Constitution de 1978. Ce que nous avons entendu, fut très différent.

Mais Podemos a des fortes racines populaires, une sensibilité démocratique accusée et n’a pas encore fermé son propre processus constituant, particulièrement en Catalogne. C’est pourquoi il ne faut pas exclure les possibilités de changement. (Traduction A l’Encontre; article publié sur le site Viento Sur)

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[1] Le lendemain de la parution du présent article, est parue dans El Periódico une interview qui prend ses distances avec cette formule. Pablo Iglesias y affirme qu’un processus constituant spécifique de la Catalogne est incontournable, mais que, étant donné qu’il y a ici une Constitution en vigueur (à la différence du Royaume-Uni), il faut d’abord un processus constituant pour briser le cadenas de 1978. Dans la vidéo, il nuance (à partir de la minute 33) en déclarant que «dans le processus constituant au niveau de l’Etat espagnol peuvent confluer divers processus constituants». Tant les phrases littérales que l’ensemble de l’interview nous conduisent à interpréter que le processus constituant catalan est vu comme subalterne par rapport à celui espagnol, et également postérieur (ou tout au plus simultané). La même chose se passe avec la possibilité d’un référendum sur l’indépendance envisagée dans le même entretien. En Catalogne par contre, quand la nécessité d’un processus constituant spécifique est revendiquée, elle est entendue comme un exercice de la souveraineté de la nation catalane, et non pas subalterne, ni nécessairement simultanée ou postérieure à un processus constituant de tout l’Etat espagnol. Va-t-on continuer, dans Podemos, à évoquer des processus constituants dans les diverses nations de l’Etat et seront-ils compris comme souverains et non subalternes à un processus constituant au niveau de l’Etat espagnol? Toutefois, je ne me risquerai pas à faire des pronostics. Néanmoims, je réitère le fait de ne pas exclure des changements d’orientation de la direction de Podemos. (M.C .28.12.2014)

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