Etat espagnol. Les limites de l’accord entre le patronat et les syndicats

Par Miguel Salas

Après de longues négociations, les organisations patronales CEOE (Confédération espagnole des organisations d’entrepreneurs) et Cepyme (Confédération des moyennes et de petites entreprises) et les syndicats CCOO et UGT ont signé la Quatrième Convention pour l’emploi et la négociation collective (AENC), qui établit une série de propositions pour la négociation de conventions collectives et d’autres adressées au gouvernement de Pedro Sanchez pour modifier certains aspects de la législation du travail.

L’accord pour les années 2018-2020 propose des augmentations salariales «autour de» 2% et 1%, de plus liées à l’amélioration de la productivité, de l’absentéisme et des bénéfices des entreprises. Les signataires déclarent que nous «demandons instamment un salaire minimum de 14’000 euros par an». Parmi les propositions présentées au gouvernement se trouve le maintien de «l’ultra-activité» [1] des accords en cours de négociation (la réforme du travail du Parti populaire établit que cette durée ne peut être que d’un an) pour modifier l’article 42 du Statut des travailleurs, afin de garantir les conditions de travail dans les entreprises qui externalisent la production et d’autres mesures ayant trait aux mutuelles [entre autres, ayant trait aux accidents du travail], à la formation et à la recherche d’alternatives aux licenciements lorsqu’une entreprise est en crise.

Pendant ces années, le plan de guerre des capitalistes et des gouvernements, aussi bien PSOE que du PP, était de faire face à la crise par le biais d’une réduction généralisée des coûts salariaux afin de rétablir les profits des entreprises. La contre-réforme de la législation du travail, la réduction des salaires, la précarité de l’emploi, etc. étaient des mesures visant à atteindre cet objectif. La résistance exprimée dans de nombreuses luttes et surtout dans les grèves générales de 2011 et 2012 n’a pas été suffisante. Ce plan de guerre a finalement été imposé. L’inégalité devenait de plus en plus répandue et c’est l’une des caractéristiques de la situation actuelle. Différentes études estiment qu’entre 2008 et 2017, les salaires globaux ont été réduits d’environ 10%, ce qui atteindrait 14% s’ils étaient liés à l’évolution de la journée de travail (heures de travail plus longues pour le même salaire et des contrats plus précaires) et dépasserait le 23% pour ce qui est des salaires les plus bas – qui sont les moins protégés et les travailleurs le moins organisés – et encore plus en ce qui concerne les salaires des femmes. Le poids des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) était de 48,3%, mais en 2017, il avait chuté à 47,3%.

Ces chiffres peuvent sembler froids, mais ils portent les noms et prénoms des travailleurs, de travailleuses et de familles qui sont touchés par la surexploitation et la précarité de ceux qui, même avec un emploi, ne peuvent échapper à la pauvreté, ou des jeunes sans avenir. Il n’y a pas de déclarations plus fausses que celles selon lesquelles l’amélioration de la situation économique aurait un impact positif sur tout le monde. La cupidité capitaliste ne connaît pas de limites. L’économie est en croissance, les dividendes aux actionnaires augmentent de 17 milliards et les profits de 36 milliards, 80% des PME sont dans une situation positive… mais il faut continuer à contrôler les salaires et les pensions et rendre les emplois plus précaires!

L’Espagne est le pays européen où l’écart entre les salaires et la productivité est le plus important. Selon les données de l’OCDE, en Espagne l’entrepreneur dispose d’une marge de 19 euros entre ce qu’il paie et ce qu’il produit. La moyenne de la zone euro est de 14,7 euros, de 16,7 euros pour l’Allemagne, de 14,3 euros pour la France, de 11,9 euros pour l’Italie et de 14,9 euros pour le Royaume-Uni. Cette différence de 4,3 euros par rapport à la moyenne européenne est une indication de l’augmentation de la productivité de l’économie espagnole, basée sur la surexploitation et les bas salaires, et non sur l’amélioration technique ou organisationnelle, et surtout sur les bénéfices des entreprises.

La compétitivité s’est améliorée, augmentant les marges des entreprises
Salaires et productivité par heure travaillée (en euros).
Dans quel pays investiriez-vous?

 

L’accord entre le patronat et les syndicats CCOO et UGT est présenté comme un effort pour remédier à cette situation, mais il semble avoir échoué. Comme cela s’est produit lors des conventions collectives précédentes, la revendication syndicale est une chose, le résultat, à la signature, en est une autre. Des 3% demandés par les syndicats, nous avons gardé une augmentation d’environ 2%. Il reste à voir si ces 2% signifieront réellement une reprise des salaires. Le gouvernement du PP prévoyait une inflation de 1,4% pour 2018 et de 1,6% pour 2019, mais en mai de cette année, l’augmentation du coût de la vie avait déjà atteint 2,1%. La tendance inflationniste peut faire s’écrouler les meilleurs vœux.

Accepter qu’une augmentation salariale de 1% soit liée à l’amélioration de la productivité, à la diminution de l’absentéisme ou aux bénéfices des entreprises, c’est entrer dans une zone plus que dangereuse. Très souvent, les employeurs envisagent la productivité comme une augmentation de la charge de travail ou des rythmes de travail, ou ont tendance à la relier la lutte contre l’absentéisme au travail, même si vous êtes malade et perdez votre santé au travail.

Sans aucun doute, l’objectif visant à atteindre un salaire minimum de 14’000 euros par an pour toutes les conventions collectives d’ici 2020 est un objectif positif, qui pourrait concerner immédiatement plus de 2’000’000 de travailleurs et travailleuses, et plus encore si cette augmentation était intégrée au salaire minimum interprofessionnel, car elle dépasserait l’augmentation prévue de 850 euros par mois d’ici 2020.

Afin de récupérer réellement le pouvoir d’achat perdu, l’accord semble être insuffisant, non seulement parce que l’inflation peut absorber les augmentations de salaires, mais aussi parce que ces augmentations sont inférieures à la croissance des bénéfices des entreprises espagnoles et de l’économie espagnole. Il ne semble pas que, dans le climat économique actuel, les organisations patronales «aient fait beaucoup d’efforts». En outre, il faut garder à l’esprit que l’accord ne signifie pas qu’il est automatiquement incorporé dans les conventions collectives, mais que seules ses lignes directrices doivent être incorporées dans les négociations et que les expériences des accords précédents n’ont pas été très positives, comme nous l’avons démontré pour la période 2013-2015. 

A l’offensive

Au cours des derniers mois, la majorité des syndicats insistaient sur la nécessité de passer à l’offensive en se mobilisant pour récupérer les salaires et les droits. Sur notre site, nous avons pris soin d’analyser la situation et d’encourager une mobilisation. Maintenant, cet accord ne peut laisser sur le chemin la nécessaire mobilisation pour sa mise en œuvre à aller plus loin.

Parce que les négociations et les accords sont nécessaires, mais il est clair que sans pression, sans action dans la rue et dans les entreprises, peu de progrès peuvent être réalisés. Ce n’est que dans un contexte de conflit social qu’il y aura une certaine redistribution et qu’il sera possible d’inverser les inégalités et de modifier les lois qui sont si préjudiciables à la démocratie dans le domaine du droit du travail. Si l’accord est accepté avec une attitude passive pour ce qui est des conventions collectives sectorielles, il est plus que probable qu’il servira à peu de chose. Si, au contraire, malgré les limites que nous avons soulignées, il est utilisé comme un levier pour s’organiser et se mobiliser dans les secteurs et les entreprises, il sera possible d’obtenir des gains. La meilleure tactique serait de mettre en œuvre, concrètement, les déclarations offensives des directions syndicales.

Le changement de gouvernement est aussi l’occasion d’exiger la modification des lois anti-ouvrières et antisyndicales imposées par le PP. Le mouvement syndical doit tenir compte des majorités ou des minorités parlementaires, mais ne doit pas s’y subordonner. Le mouvement syndical a ses propres objectifs et doit se mobiliser pour eux, aussi face au nouveau gouvernement. L’abrogation de la contre-réforme du travail imposée par le PP, les modifications juridiques nécessaires pour lutter contre la précarité et les abus lors des embauches, les changements législatifs nécessaires à l’égalité réelle pour les femmes, etc. exigent la mobilisation et la recherche des alliances nécessaires avec les mouvements sociaux et politiques pour commencer à battre en brèche les politiques antisociales imposées par le PP ces dernières années. (Article publié sur le site Sin Permiso, le 1er juillet; Miguel Salas est syndicaliste et membre de la rédaction de Sin Permiso; traduction A l’Encontre)

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[1] C’est-à-dire que les Conventions collectives restent valables à la date d’échéance, si une nouvelle convention n’a pas été signée. (Réd. A l’Encontre)

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