Espagne. «Le destin porte un nom et une date: Madrid, 22 mars»

1395002039863marcha-catPar Virginia Uzal

«Chaque jour plus proche, chaque jour plus fort, chaque jour plus convaincu·e·s que la lutte est aussi sur la route. Le destin porte un nom et une date: Madrid, 22 mars». Voici ce qu’affirmait Maribel Martínez, de la colonne d’Aragon [province de l’est du pays], dans la chronique quotidienne qu’ils tiennent depuis le 5 mars, jour qu’ils se mirent en marche. Ils racontent qu’ils sont passés par la faim et le froid: «il y a des étapes dures, mais ressentir ce que bien d’autres ressentent chaque jour nous donne encore plus de courage à marcher.»    

Des marches de toutes les parties du pays se dirigent vers Madrid pour confluer ce samedi 22 mars en une grande manifestation qui se déroulera à 17 heures de la gare d’Atocha jusqu’à la place Colomb. «Il est à souhaiter qu’il y ait énormément de gens pour ceux qui seront en tête de la manifestation, qu’il n’y ait pas de problèmes [avec les forces dites de l’ordre] et que l’on puisse avancer» affirme Elena, du collectif Bomberos Quemados [pompiers grillés].

En Galice, tout est également prêt. Un groupe de personnes est déjà en marche pour Madrid, mais beaucoup arriveront en train et en autobus. «Nous sommes parvenus à remplir deux trains en quelques jours à peine. Ils partiront de La Corogne et de Pontevedra. 560 personnes arriveront à Chamartín [quartier au nord de Madrid] à 13 heures 15, le 22 mars et défileront jusqu’à Atocha pour se joindre aux autres colonnes» indique Carlos Costoya, du syndicat des chemins de fer Intersindical. «Devant le soutien manifesté, nous avons décidé d’organiser aussi un voyage en autobus. Cinq ont déjà été remplis et nous espérons en remplir 10 ou 12 qui passeront par les principales villes de Galice. Par exemple à Ferrol, avec tous les travailleurs des chantiers navals qui ont décidé de s’unir pour lutter pour leurs droits, un certain nombre est déjà réservé.» Un groupe de plus de 160 personnes du monde de la culture, d’intellectuels et d’artistes de Galice a signé un manifeste, en vers, de soutien aux marches et à la manifestation du 22 mars.

Le pays valencien s’est ajouté aux marches le dimanche 9 mars. A la colonne du sud-est se sont incorporées des personnes de Castelló, València, Alacant ou de Murcie, en plus des autobus qui arriveront, depuis ces points, le 22 à Madrid. Ils remettront une partie des aliments qu’ils ont reçus en cours de route à une banque alimentaire. «On nous donne beaucoup de nourriture dans toutes les localités dans lesquelles nous passons, tous se sont montrés très aimables, à un tel point que nous en recevons trop et nous les donnons aux personnes pour lesquelles nous luttons» précise l’un des marcheurs de la colonne de la Méditerranée.

Maribel fait part «du courage et de la volonté dont débordent autant les jeunes que les vétérans» de la marche du nord-est. Elle raconte le cas d’Alejandro, un jeune étudiant en philosophie de Saragosse qui marche pour réclamer «le droit de tous les étudiant·e·s à une bourse et pour la fin des hausses abusives des taxes universitaires», ce qui les contraint à mettre un terme à leurs études. Agustín, un «vétéran» catalan qui a fêté ses 70 printemps, «à joint sa voiture à cette aventure pour être certain» qu’ils arrivent à Madrid. Maribel ajoute: «Lorsque tu lui demandes pourquoi il participe à la Marche, sa réponse est implacable: “por cojones”, il n’y a pas besoin de plus d’explications.»    

Les activistes soulignent qu’au cours de leur marche ils passent par des villages «qui ne renoncent pas à leur lutte», affirme Maribel, une activiste qui luttait déjà contre les coupes dans la prévention du cancer du sein à Saragosse. «Nous sommes passés par Ateca, un village combatif qui a dû défendre bec et ongles l’industrie qui donnait du sens à leur localité, celle de los Huesitos [1], que nous connaissons tous. Ces gens formidables nous ont reçus aujourd’hui [dimanche 16 mars] avec des applaudissements et beaucoup de chaleur.» Au sein de cette marche «indignée» s’associent des marcheurs venus de Navarre, du Pays basque, de Catalogne et d’Aragon. «Nous ne nous demandons déjà plus d’où nous venons, la seule chose qui nous intéresse est de savoir où nous allons ainsi que notre destination chaque fois plus proche» conclut Maribel.     

La colonne d’Extrémadure est partie le lundi 10 mars, passant une semaine à cheminer depuis différents points de la communauté autonome, rejoints par des gens de différents villages de la Castille-la Manche. «Non seulement nous marchons, nous accompagnons la marche d’actions revendicatives et de désobéissances. Nous avons apporté notre aide, entre autres, à l’occupation d’un ensemble de logements, nous créons une nouvelle corrala [terme qui désigne, originellement, les bâtiments collectifs, en particulier à Madrid] avec le PAH [plate-forme qui lutte contre les expulsions de logement] à Talavera de la Reina pour des gens qui allaient être expulsés et qui étaient à la rue. La meilleure manière de dire consiste à faire et c’est cet exemple que nous suivons» indique Manuel Cañada des Campements de la dignité d’Extrémadure.

«Nous faisons face à beaucoup de difficultés logistiques et physiques, beaucoup ne peuvent pas tenir autant de jours de marche et lorsqu’ils le peuvent, il y a le problème des endroits où dormir ou pour se doucher. Où pouvons-nous loger autant de personnes? Les gens nous aident souvent pour la nourriture mais nous ne savons presque pas comment la transporter.» Cañada souligne que c’est un mouvement «construit à partir d’en bas et pour le peuple, “destituant” [destituyente, contestant la légitimité du gouvernement, en réclamant la destitution] et très unitaire. Nous rassemblons différentes actions, mais ce sur quoi nous voulons être clairs c’est que ce n’est pas quelque chose de ponctuel, nous allons rester.»     

De Gijón également est parti le 1er mars un groupe de personnes qui se trouve déjà aux portes de Madrid. Le mouvement citoyen de soutien aux mineurs et les «femmes du charbon» des Asturies, de León et d’Aragon ont également rejoint cette initiative: «toute la famille minière lance un appel à la population pour que nous appuyions ensemble l’appel des Marches du 22 mars avec pour destination Madrid, où on exigera la dignité pour nos semblables.» En outre, la colonne asturienne a organisé des trains et des autobus de la dignité pour que toutes et tous ceux qui le veulent puissent arriver à la manifestation de 17 heures à Atocha.

Des milliers de personnes ont prévu leur arrivée à Madrid samedi prochain, 22 mars, de toutes les parties de l’Etat espagnol et de l’étranger, sans oublier la marée grenade [«marée», fondée au printemps 2013, présente dans différentes villes du monde, qui rassemblent des ressortissants de l’Etat espagnol luttant contre l’austérité avec des slogans tels que : «On ne part pas, on nous fiche dehors!» – voir à ce sujet, sur notre site, l’article en date du 14 février 2014], indignée par cet «exil forcé».

Toutes et tous se joindront à 17 heures à la gare d’Atocha pour lutter pour des services publics de qualité, pour le droit au logement et à un emploi digne, pour que la Troïka s’en aille et pour refuser de payer la dette. Le mouvement continuera dimanche par une assemblée ouverte à la Puerta del Sol et le lundi avec des manifestations qui parcourront les rues du centre de Madrid et passeront devant les ministères jusqu’au Paseo de la Castellana. (Article publié le 17 mars 2014 par le journal en ligne Publico.es ; traduction A l’Encontre)

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[1] Fabrique de chocolat. Une filiale de la compagnie américaine Kraft Foods avait acheté la marque en 2010 et, au printemps 2013, annonça la fermeture de l’usine et le transfert de la production en Pologne. A la suite d’une mobilisation, la marque fut rachetée par Chocolates Valor et la production des barres chocolatées repris à Ateca dès l’été 2013. (Rédaction A l’Encontre)

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