Le saut d’index au secours de la compétitivité

Le ciel s’était éclairci pour les patrons avec le gouvernement de Charles Michel
Le ciel s’était éclairci pour les patrons avec le gouvernement de Charles Michel

Par Mateo Alaluf

Cet article fait partie de la rubrique intitulée «Dictionnaire du prêt-à-penser» de la revue Politique (Belgique). Le premier objectif de cette revue est: «d’être un lieu de réflexion critique et de confrontation collective pour tous ceux qui ne s’accommodent pas du désordre établi par la règle absolue du profit.» La mise en question du système «automatique» d’indexation des salaires dans le public et dans le secteur privé soumis à des conventions collectives suscite une mobilisation sociale d’envergure en Belgique. En nous inspirant d’une suggestion de Mateo Alaluf, on peut souligner que : 1° le gouvernement tire sa majorité d’une très large majorité flamande (NVA, CD&V et Open VLD), 2° les francophones, représentés par les seuls libéraux (MR), sont eux-mêmes minoritaires parmi les francophones, 3° la légitimité du gouvernement a été contestée en raison de la très grande minorisation des francophones, 4° or, ce gouvernement n’est pas clivant (jusqu’ici) sur le plan linguistique et communautaire, mais il polarise le pays sur le plan socio-économique, 5° dès lors, pour l’heure, les grèves et manifestations sont au moins aussi suivies et massives et créatives en Flandre qu’en Wallonie, 6° de plus, les syndicats conservent une véritable capacité de mobilisation. Ce qui est assez exceptionnel en Europe, pour ne pas dire que c’est une exception. (Rédaction A l’Encontre)

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Les salaires seraient, selon le credo néolibéral, l’ennemi de la compétitivité et de l’emploi. Comme la négociation salariale est bloquée, les augmentations de salaire sont réduites à l’indexation. C’est pourquoi, depuis des lustres, le patronat, relayé par la commission européenne et l’OCDE, exige la suppression de l’indexation des salaires.

Le ciel s’était éclairci pour les patrons lorsque le gouvernement de Charles Michel [depuis octobre 2014], a fait du saut d’index et de l’augmentation de l’âge de la retraite, les marqueurs de sa politique. Le patronat s’est immédiatement rangé à ses côtés. La situation est si grave, proclamait-on, qu’il n’y a plus place au compromis.

Pourtant, après une manifestation d’une exceptionnelle ampleur contre les mesures d’austérité, en pleine période de grèves générales, l’euphorie patronale a commencé à céder la place au désenchantement. Certes, pour Pieter Timmermans, administrateur délégué de la FEB [Fédération des entreprises de Belgique], le credo n’a pas changé : il faut appliquer l’accord de gouvernement, rien que l’accord de gouvernement, tout l’accord de gouvernement. La résolution paraît cependant fléchir lorsque certains patrons « regrettent le chaos actuel ». Interrogés par Le Soir (5/12 et 6-7/12/2014), ils l’imputent aux « erreurs stratégiques du gouvernement et au « blocage social » qui en résulte. Plus étonnant encore, le saut d’index supposé sauver la compétitivité n’aurait qu’un effet négligeable sur les salaires et ne serait même plus souhaité. Pour Christiane Franck, directrice générale de Vivaqua [entreprise publique de production et distribution d’eau potable, et d’assainissement des eaux usées], augmenter l’âge de la pension, autre mesure phare du gouvernement, serait « contre-productif ». « A 55 ans, explique-t-elle, nos ouvriers sont usés jusqu’à l’os ». Bernard Delvaux, patron de la Sonaca [entreprise de construction aérospatiale située à Gosselies] renchérit : « aucune mesure présentée aujourd’hui ne va véritablement relancer les décisions d’investissement en termes d’emploi. Je pense même, ajoute-t-il, que l’emploi dans les industries va continuer à diminuer ».

Bruno Venouzi, patron de Lampiris [entreprise affirmant fournir de l’énergie verte dans les trois régions de la Belgique], ne voit d’ailleurs rien de neuf dans le saut d’index. Le gouvernement Elio Di Rupo (PS) [décembre 2011-octobre 2014], explique-t-il, avait déjà procédé à un « saut d’index déguisé » en procédant au gel du prix de l’énergie et à une baisse de la TVA. Jean-François Héris, patron des patrons wallons, poursuit : « Johan Vande Lanotte était plus malin que le gouvernement actuel pour le faire ». Pourtant, lors de la formation du gouvernement, tout le patronat chantait victoire à la suite de Bart De Wever [président de la Nieuw-Vlaamse Alliantie-NVA,bourgmestre d’Anvers] et vouait Elio Di Rupo et son gouvernement aux gémonies. A son tour, Philippe Metz, CEO d’Intys [groupe international de «d’aide aux grandes entreprise»], n’attend rien du gouvernement Michel. Il ajoute « j’embauche si j’ai des clients, si je décroche des marchés ».

Or, pour avoir des marchés, comme le soulignent les patrons du secteur de la construction, il faut des investissements publics. L’indexation des salaires n’avait-elle pas été bénéfique en nous permettant de traverser la crise financière en limitant la casse ? Bernard Delvaux [Sonaca] va plus loin encore : il se rallie à la thèse de la FGTB qui préconise de globaliser les revenus du travail et du capital et préconise un « tax-shift ». Il faut vite négocier avec les syndicats conclut-il « car nous ne devons pas attendre de solution du politique ».

Ce n’est donc pas l’indexation des salaires qui menace la compétitivité. Par contre, la démocratie réduite en Europe à la seule capacité de changer ses gouvernants pour autant qu’ils appliquent tous les politiques d’austérité prescrites dans les traités, conduit au chaos les sociétés. Les mouvements de résistance à ces politiques sont les seuls qui permettent d’entrevoir de toutes autres perspectives. (Décembre 2014)

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