Environnement . «Les 20 firmes responsables d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre»

Par Matthew Taylor et Jonathan Watts

Le Guardian révèle aujourd’hui – 9 octobre 2019 – les 20 firmes de combustibles fossiles dont l’exploitation implacable des réserves mondiales de pétrole, de gaz et de charbon peut être directement liée à plus d’un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre à l’ère moderne.

De nouvelles données provenant de chercheurs de renommée mondiale révèlent comment cette cohorte d’entreprises d’Etat et de transnationales est à l’origine de l’urgence climatique qui menace l’avenir de l’humanité. Elles expliquent comment ces dernières ont continué à étendre leurs activités tout en étant conscientes de l’impact dévastateur de l’industrie sur la planète.

L’analyse, effectuée par Richard Heede du Climate Accountability Institute aux Etats-Unis, la principale autorité mondiale sur le rôle du pétrole dans l’escalade de l’urgence climatique, évalue ce que les entreprises mondiales ont extrait du sol et les émissions subséquentes de ces combustibles fossiles dont elles sont responsables depuis 1965. Soit l’année où les experts disent que l’impact environnemental des combustibles fossiles était connu tant des dirigeants de l’industrie que des politiciens.

Les 20 premières entreprises de la liste ont contribué à 35% de l’ensemble des émissions mondiales de dioxyde de carbone et de méthane liées à l’énergie, soit 480 milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (GtCO2e) au total depuis 1965.

Les entreprises identifiées vont des entreprises appartenant à des investisseurs – des noms connus tels que Chevron, Exxon, BP et Shell – à des entreprises d’Etat, dont Saudi Aramco et Gazprom.

Chevron était en tête de liste des huit sociétés détenues par des investisseurs, suivie de près par Exxon, BP et Shell. Ensemble, ces quatre entreprises mondiales sont responsables de plus de 10% des émissions mondiales de carbone depuis 1965.

Douze des 20 premières firmes sont des entreprises d’Etat et, ensemble, leurs extractions sont responsables de 20% des émissions totales au cours de la même période. Le premier pollueur public est Saudi Aramco, qui a produit à lui seul 4,38% du total mondial.

Michael Mann, l’un des plus éminents climatologues du monde, a déclaré que les résultats de cette étude ont mis en lumière le rôle des entreprises de combustibles fossiles et a appelé les politiciens à prendre d’urgence des mesures pour maîtriser leurs activités lors des prochaines négociations sur le climat au Chili en décembre 2019.

 

Graphique I

Les 20 premières entreprises ont contribué à la production de 480 milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone depuis 1965.

Milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone

«La grande tragédie de la crise climatique est que sept milliards et demi de personnes doivent payer le prix – sous la forme d’une planète dégradée – pour que quelques dizaines de firmes polluantes puissent continuer à faire des profits record. C’est un grand échec moral de notre système politique que nous ayons permis que cela se produise.»

Le répertoire mondial des pollueurs utilise la production annuelle de pétrole, de gaz naturel et de charbon déclarée par les entreprises, puis calcule la quantité de carbone et de méthane contenue dans les combustibles produits qui est rejetée dans l’atmosphère tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de l’extraction à l’utilisation finale.

Elle a constaté que 90% des émissions attribuées aux 20 principaux «coupables climatiques» provenaient de l’utilisation de leurs produits, comme l’essence, le kérozène, le gaz naturel et le charbon thermique. Un dixième provient de l’extraction, du raffinage et de la livraison des combustibles finis.

Le Guardian s’est adressé aux 20 entreprises figurant sur la liste des pollueurs. Sept d’entre elles ont répondu. Certaines ont fait valoir qu’elles n’étaient pas directement responsables de la façon dont le pétrole, le gaz ou le charbon qu’elles extrayaient étaient utilisés par les consommateurs. Plusieurs ont contesté les affirmations selon lesquelles l’impact environnemental des combustibles fossiles était connu dès la fin des années 1950 ou que l’industrie avait travaillé collectivement pour retarder l’action.

La plupart d’entre elles ont explicitement déclaré qu’elles acceptaient la science du climat et certains ont affirmé soutenir les objectifs fixés dans l’Accord de Paris (COP 21 en décembre 2015) pour réduire les émissions et maintenir la température mondiale à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels.

Tous ont souligné les efforts qu’ils faisaient pour investir dans des sources d’énergie renouvelables ou à faible émission de carbone et ont déclaré que les entreprises de combustibles fossiles avaient un rôle important à jouer dans la lutte contre la crise climatique. PetroChina a déclaré qu’elle était une société distincte de son prédécesseur, China National Petroleum, et qu’elle n’avait donc aucune influence sur ses émissions historiques, ni aucune responsabilité à cet égard. Les réponses des entreprises peuvent être lues dans leur intégralité ici : https://www.theguardian.com/environment/2019/oct/09/climate-emergency-what-oil-gas-giants-say

Graphique 2

Les 20 premières entreprises ont contribué à 35% de l’ensemble des émissions de dioxyde de carbone et de méthane depuis 1965.

Milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone

La dernière étude s’appuie sur les travaux antérieurs de Richard Heede et de son équipe qui ont examiné le rôle historique des entreprises de combustibles fossiles dans l’escalade de la crise climatique.

L’impact des émissions de charbon, de pétrole et de gaz produites par les entreprises de combustibles fossiles a été énorme. Selon une étude publiée en 2017 par Peter Frumhoff de l’Union of Concerned Scientists aux Etats-Unis et ses collègues, les émissions de CO2 et de méthane des 90 plus grands producteurs industriels de carbone sont responsables de près de la moitié de l’augmentation de la température mondiale et de près d’un tiers de la hausse du niveau de la mer entre 1880 et 2010. Les scientifiques ont déclaré que ces travaux favorisaient «la prise en compte des responsabilités historiques [des entreprises] en matière de changement climatique».

Richard Heede a déclaré: «Ces entreprises et leurs produits sont en grande partie responsables de l’urgence climatique, ont collectivement retardé l’action nationale et mondiale pendant des décennies et ne peuvent plus se cacher derrière l’écran de fumée que les consommateurs sont les éléments responsables. Les dirigeants des secteurs du pétrole, du gaz et du charbon font dérailler les progrès et offrent des platitudes alors que leur vaste capital, leur expertise technique et leur obligation morale devraient permettre plutôt que contrecarrer la transition vers un avenir faible en carbone.»

Richard Heede a indiqué que 1965 a été choisi comme point de départ pour ces nouvelles données parce que des recherches récentes avaient révélé qu’à ce stade, l’impact environnemental des combustibles fossiles était connu des dirigeants de l’industrie et des politiciens, en particulier aux Etats-Unis.

En novembre 1965, le président, Lyndon Johnson, a publié un rapport rédigé par le Groupe d’experts sur la pollution de l’environnement du Comité consultatif scientifique du président, dans lequel il exposait l’impact probable de la production continue de combustibles fossiles sur le réchauffement mondial.

La même année, le président de l’American Petroleum Institute a déclaré lors de son assemblée annuelle: «L’une des prévisions les plus importantes du [rapport du président] est que le dioxyde de carbone est ajouté à l’atmosphère terrestre par la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel à un tel rythme que d’ici l’an 2000, le bilan thermique sera modifié au point de provoquer des changements climatiques marqués au-delà des efforts locaux ou même nationaux.»

Graphique 3

Le premier pollueur public, Saudi Aramco, est à l’origine de 4,38% des émissions totales de dioxyde de carbone et de méthane depuis 1965.

Milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone

Richard Heede a ajouté: «Depuis la fin des années 1950, les grandes entreprises et les associations industrielles étaient conscientes ou alors ont délibérément ignoré la menace que représente l’utilisation continue de leurs produits pour le changement climatique».

La recherche vise à demander des comptes aux entreprises les plus responsables des émissions de carbone et de mettre fin à l’opération consistant à détourner le débat public et politique de l’accent mis uniquement sur la responsabilité individuelle. Elle fait suite à un avertissement de l’ONU en 2018 que le monde n’a que 12 ans pour éviter les pires conséquences d’un réchauffement mondial galopant et limiter la hausse des températures à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels.

L’étude montre que bon nombre des pires contrevenants sont des sociétés appartenant à des investisseurs qui ont des noms connus dans le monde entier et qui dépensent des milliards de livres sterling pour faire pression sur les gouvernements et se présenter comme écologiquement responsables.

Une étude réalisée plus tôt cette année a révélé que les cinq plus grandes sociétés pétrolières et gazières cotées en bourse dépensent près de 200 millions de dollars chaque année en lobbying pour retarder, contrôler ou bloquer les politiques de lutte contre le changement climatique.

Richard Heede a déclaré que les entreprises avaient «une importante responsabilité morale, financière et juridique dans la crise climatique, et devaient assumer un fardeau proportionnel pour aider à résoudre le problème».

Et d’ajouter: «Bien que les consommateurs du monde entier, des particuliers aux entreprises, soient les principaux émetteurs de dioxyde de carbone, le Climate Accountability Institute concentre ses travaux sur les entreprises de combustibles fossiles qui, à notre avis, ont collectivement mis le pied sur l’accélérateur et, conjointement, sur le frein pour la fixation de la barre ayant trait aux taux des émissions de carbone et le passage aux combustibles non carbonés.»(Article publié dans The Guardian en date du 9 octobre 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

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