En quoi l’écologie est-elle divisée?

arton8093-fe636Par Jean-Marie Harribey

La COP 21 (Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques) sur le climat approche (elle se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015) et de nombreux livres sont en ce moment publiés sur l’écologie. On ne peut que s’en réjouir.

Beaucoup s’inscrivent dans le droit fil de l’économie dominante, mais a priori pas tous, certains réservent même des surprises. Quelqu’un de curieux peut ressortir assez partagé de la lecture de celui de Fabrice Flipo et Christian Pilichowski avec la contribution de Corinne Morel Darleux, L’écologie, combien de divisions ? (Éd. du Croquant, 2015). L’intention des auteurs est sans doute de jouer dans le titre sur les deux sens du mot «divisions» : le premier rappelle la question célèbre de Staline se moquant des forces militaires du Vatican: «Le pape, combien de divisions?»; le second vise à pénétrer dans les oppositions au sein du courant de l’écologie ou concernant l’écologie elle-même.

Mais la première surprise qui attend le lecteur est qu’il n’apprendra pas grand-chose des forces sociales et des forces militantes qui agissent, voire s’opposent sur les deux terrains: celui du social au sens classique et celui de l’écologie. D’ailleurs, le sens même de l’écologie est laissé dans l’ombre bien qu’il s’agisse vraisemblablement pour les auteurs de parler davantage de l’écologie politique que de l’écologie en tant que science. Le livre est présenté comme devant éclairer les différends éventuels entre les forces se réclamant plutôt du travail et celles se réclamant de l’écologie, mais le plus large écho est donné aux questions proprement écologiques. Et la quatrième de couverture annonce des thèmes qui ne sont pas abordés ou qui ne sont qu’à peine effleurés: par exemple, une page et demie sur la science, une autre sur le rapport du public et du privé, quelques lignes sur l’Europe.

Un état des lieux documenté mais au périmètre partiel

Néanmoins, l’ouvrage a des qualités indéniables. Trois chapitres composent la première partie pour dresser un état des lieux de la question écologique. Le premier aborde celle-ci par l’usage de la terre à des fins agricoles et alimentaires. Les auteurs n’apportent aucune information qui ne soit connue mais leur synthèse offre un rapide tour d’horizon sur l’impasse du modèle agricole intensif, dévoreur d’énergie d’origine fossile, donc gros émetteur de gaz à effet de serre, et gros utilisateur d’intrants d’engrais et de produits phytosanitaires qui eux-mêmes demandent toujours plus d’énergie. La France agricole est particulièrement concernée par cette impasse: 20 % des émissions de gaz à effet de serre, 56 % des émissions provenant des fertilisants et des déjections (azote) et 33 % du méthane émis par les animaux d’élevage (p. 26).

Ces problèmes concernent évidemment le monde entier, entraînant perte de biodiversité, disparition des petites exploitations, accaparement des terres pour produire des aliments pour le bétail ou bien des biocarburants, perpétuation de la malnutrition à un bout du monde, tandis que l’autre surconsomme de la viande. Tout cela dans une frénésie de recherche de rendements toujours croissants, dont il s’avère qu’ils ne sont pas (ou déjà plus) tenables à long terme. A contrario, l’agriculture biologique pourrait offrir une alternative crédible, mais qui est trop peu promue au moment où, pourtant, l’enjeu climatique devient crucial.

couv_3058Le second chapitre est intitulé «Les ambiguïtés du “compromis fordiste”». Il débute par l’affirmation : «Le compromis fordiste était fondé sur le partage de la valeur ajoutée. Ce partage incluait notamment les gains de productivité. » (p. 43). On s’étonne du «notamment» puisque les deux idées sont synonymes, les gains de productivité expliquant la croissance de la valeur ajoutée à long terme. Mais l’essentiel est ailleurs.

Ce chapitre ne dit rien de ce que fut ce partage donnant le sens de ce fameux fordisme. Il est entièrement consacré au problème du logement et à celui de l’urbanisme moderne. Mal-logement pour les pauvres, éloignement des centres-villes, étalement urbain, tout cela entraîne une gabegie de transports avec une dépendance croissante à l’égard de l’automobile. On comprend alors que les problèmes nés de cet urbanisme s’ajoutent à ceux créés par l’agriculture intensive. Et le diagnostic est renforcé par la pratique du bien jetable pour accélérer le renouvellement de la consommation. Encore une fois, la documentation référencée est fiable, le logement et les transports sont de vrais problèmes, mais cela ne constitue pas une définition ni un contenu suffisamment large du fordisme en tant que rapport salarial historiquement daté: l’affirmation «cette dernière décennie, la demande de métaux a explosé, en partie du fait de la production croissante d’appareils électriques et électroniques» (p. 64) ne se rapporte pas à l’époque du fordisme.

En sens inverse, soutenir que, dans la période d’après-guerre fordiste, l’économie française se suffisait à elle-même en industries extractives (p. 71), est un peu exagéré, alors que c’est le moment où la base énergétique pétrolière prend toute son ampleur. N’oublions pas que c’est l’époque où le colonialisme est loin d’avoir encore disparu et qui sera suivie de la phase du néocolonialisme, pas moins exploiteur que son prédécesseur.

Le troisième chapitre décrit l’évolution de la production vers plus de flexibilité et moins de sécurité. C’est celui qui me paraît le plus intéressant parce qu’il aurait pu permettre le dialogue entre «sociaux» et «écologistes» que l’introduction annonçait. On y trouve une description juste de la tertiarisation de l’économie car les services sont «au cœur de la “nouvelle économie productive”» (p. 71 et suiv.). Il s’ensuit un éclatement des collectifs de travail liés aux usines en diminution. La mondialisation et les traités de libre-échange sont passés par là.

A juste titre, les auteurs soulignent que la très faible part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale doit être relativisée, car elle vient surtout de l’externalisation de services autrefois réalisés à l’intérieur des entreprises industrielles. À l’échelle mondiale, les auteurs doutent de la pertinence du concept de société postindustrielle, et on leur donnera raison sur ce point. D’autant que vient le moment de critiquer la polarisation que notre époque engendre: d’un côté, l’enrichissement des riches, et, de l’autre, la précarité organisée. Précarité pas seulement à l’égard de tous les exclus, chômeurs et «sans» de toutes sortes, mais aussi précarité dans le travail lui-même, où grandissent le stress, l’intensification, les temps partiels subis et les contrats dégradant les conditions d’emploi. On ne chicanera pas trop les auteurs qui affirment que le chômage a diminué (p. 81), c’est dû sans doute à un problème de datation des données.

Le chapitre se termine par l’examen d’un projet économique pour la France, mais en réalité il critique le projet néolibéral, qui, en France, est aujourd’hui représenté par Emmanuel Macron (ministre de l’Economie). Le poids de la finance reste prépondérant, l’optimisation fiscale est le sport des entreprises du CAC 40 (principal indice boursier de la place de Paris), et les projets de limitation des émissions de gaz à effet de serre comme ceux de promotion des énergies renouvelables restent largement au stade des bonnes intentions.

Suit un quatrième chapitre présenté comme celui qui ouvre la deuxième partie du livre. Mais, en réalité, il pourrait s’intégrer à la première, ou en tout cas être celui de transition entre les deux. Il s’intitule «Les divisions au travail» et entend «dégager quelques idées “fortes”» (p. 98). Ces idées fortes sont une invitation à aller vers un début de théorisation des convergences permettant de faire progresser la stratégie d’émancipation. Autant les premiers chapitres portent un diagnostic globalement exact bien que cantonné à un périmètre restreint, autant la fin du livre est assez bâclée et contestable.

Les sables mouvants de certaines théories écologistes

Première zone d’incertitude, la sociologie des classes sociales. Le livre affirme que «parler de “classe moyenne” a bien un sens». C’est aller vite en besogne car cette question occupe depuis plus d’un siècle les sociologues et il est un peu présomptueux de la trancher en une page. «Une large partie de la population vit en effet dans des conditions similaires sur le plan des modes de vie. Elle dispose d’un logement relativement confortable, bien équipé, possède une télévision, une machine à laver, une voiture. Quand le revenu augmente, les grandes lignes du mode de vie changent peu. Nous l’avons dit plus haut: c’est sur la qualité que se fait la différence principalement: une voiture de gamme supérieure, un logement dans des zones plus coûteuses (mais pas forcément plus grand ni plus confortable), des équipements plus onéreux, des vêtements de qualité, bref la même chose à peu près. La différence se fait aussi par les vacances et les voyages, bien qu’elle s’effrite devant l’arrivée des avions des compagnies à bas coût ou low cost. Mais c’est une activité qui ne concerne que quelques semaines dans l’année, tout au plus. Les différences peuvent être en partie attribuées à une question de choix personnel: les uns partent en vacances, les autres achètent une Audi.» (p. 98).

D’une part, les auteurs nous disent ici tout et le contraire de tout: alors que toute la problématique écologiste consiste justement à faire de la qualité un critère essentiel, sinon le plus essentiel, le fait d’avoir un logement (n’importe lequel) primerait-il sur sa qualité au point de conclure à la moyennisation de la société? D’autre part, la question de l’avènement d’une (des!) classe(s) moyenne(s) fut le refrain de la sociologie bien-pensante du XXe siècle, dans le but de nier la réalité des classes sociales, mais plus personne aujourd’hui ne se risque à discourir encore sur cette (ces!) moyennisation(s), pendant que le capitalisme néolibéral et surtout sa crise provoquent partout la paupérisation relative et absolue de ces couches sociales, paupérisation que les auteurs semblent reconnaître eux-mêmes à plusieurs reprises (notamment p. 104).

Et comment ne pas s’étonner de l’affirmation qui ponctue la citation ci-dessus: ceux qui ont les moyens de s’acheter une Audi ne partent-ils pas en vacances? On peut se demander en outre si la moyennisation affirmée est compatible avec la problématique affichée dans le sous-titre du livre «La lutte des classes au vingt et unième siècle». Certes, le front des luttes sociales ne se situe plus exclusivement dans les entreprises: avec le capitalisme contemporain les fronts de luttes se sont diversifiés et c’est pourquoi leur convergence est une condition nécessaire à leur aboutissement. On ne peut reprocher aux auteurs de ne pas proposer des solutions car personne ne les détient, mais il est dommage d’avoir appâté en vain le lecteur.

Les auteurs ont raison sur bon nombre de points. C’est le cas quand ils mettent en doute la pertinence de la nouveauté de l’économie dite circulaire (p. 66 et suiv.). C’est aussi le cas quand ils affirment ce qui est aujourd’hui un point de consensus entre les multiples familles prônant les alternatives, à savoir que la perspective de changer la composition du produit (le «gâteau») est plus importante que viser à l’accroissement de sa taille. La «vie bonne» ne se réduit pas à la quantité de biens ingurgités. Et les auteurs soulignent à juste titre la complexité de la définition des besoins, même, si pas plus que d’autres, ils ne fournissent les clés pour résoudre le problème.

Incohérences dans les références théoriques utilisées et au-delà

Terminons en formulant quelques remarques spécifiquement théoriques. Les deux premières que je formule ne sont pas une critique des choix théoriques personnels des auteurs du livre, qui sont totalement libres. Il suffit qu’ensuite le maximum de cohérence soit au rendez-vous. Mes deux remarques portent sur des erreurs concernant les références auxquelles font appel les auteurs.

• La première concerne Ricardo. Dans l’encadré «Les principes du “libre”-échange» (p. 34), il est dit que, selon Ricardo (1772-1823), le Portugal a un coût de production du vin inférieur à celui de l’Angleterre, et que l’Angleterre a un coût de production du drap inférieur à celui du Portugal pour ce produit. C’est totalement faux. Ce qui est dit dans cet encadré relève des avantages absolus dont parlait Adam Smith (1723-1790). Mais Ricardo, se démarquant de son aîné, faisait l’hypothèse que l’Angleterre avait un coût de production supérieur au Portugal pour les deux produits, mais qu’elle était moins désavantagée pour le drap que pour le vin, et inversement pour le Portugal. C’est la célèbre loi des avantages relatifs énoncée par Ricardo pour justifier les avantages du libre-échange pour tous, mais que cet encadré énonce à contresens.

• La deuxième remarque concerne Marx. Dans le dernier chapitre du livre, les auteurs proposent en une dizaine de pages seulement un exposé de «quelques points épineux et propositions de voie de sortie». On lit dans un paragraphe d’à peine plus d’une page intitulé «Le travail, la nature, la valeur et la richesse» (p. 120): «Qui produit des richesses? Qui produit de la valeur économique? Les organisations de travailleurs rejoignent Marx quand il dit que le travail est la source de toute richesse et de toute valeur.» (p. 120-121). Comme pour Ricardo, c’est exactement le contraire de ce que n’a cessé d’écrire Marx. Il a constamment répété que le travail et la terre sont les créateurs de la richesse, le travail créant seul la valeur. «Le travail n’est donc pas l’unique source des valeurs d’usage qu’il produit, de la richesse matérielle. Il en est le père, et la terre la mère, comme dit William Petty. »[1] Ou bien : «Le travail n’est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d’usage (et c’est bien en cela que consiste la richesse matérielle!) que le travail, qui n’est lui-même que la manifestation d’une force matérielle, de la force de travail humaine. »[2] Et encore: «La terre peut exercer l’action d’un agent de la production dans la fabrication d’une valeur d’usage, d’un produit matériel, disons du blé. Mais elle n’a rien à voir avec la production de la valeur du blé. »[3]

Ces citations sont très connues et il est de mauvaise science et de mauvaise pédagogie de les travestir de la sorte: ce n’est pas la bonne manière pour inaugurer « une voie nouvelle, une méthodologie nouvelle» (p. 19). Et il n’est pas non plus exact d’écrire que Marx «admettait» (p. 121) que la nature était une richesse: il ne l’«admettait» pas, il le théorisait à l’intérieur de ses conceptions de la richesse et de la valeur. Ce n’est pas nier l’importance cruciale de la nature, bien au contraire, c’est lutter contre sa féchitisation[4].

• Je cesse là les remarques portant sur les erreurs concernant Ricardo et Marx, j’en viens à une dernière remarque qui relève de mes options théoriques personnelles et qui donc prête à discussion puisqu’elles contestent les options contraires. Je pense que l’erreur au sujet de la lettre et l’esprit de Marx (mais avant tout de la lettre, puisque c’est la seule véritable lecture objective qu’on puisse faire) n’est pas innocente, puisque les citations ci-dessus ont été présentées et expliquées maintes fois à l’auteur présumé de cette erreur. Mon hypothèse est que cette «erreur» (je mets maintenant des guillemets), cette confusion entre richesse et valeur, sert à légitimer le choix théorique[5] qui conclut ce livre : « Pour autant les écologistes[6] ont aussi raison de dire que la nature est une richesse (ce que Marx admet d’ailleurs), qu’elle est source de valeur, au sens des services écosystémiques.» (p. 121). L’auteur n’arrive pas à «admettre», lui, que la théorie est partagée sur ce thème. J’ai montré que la séparation entre richesse et valeur exclut les deux idées fétichistes selon lesquelles la nature aurait une «valeur économique intrinsèque» ou qu’elle « créerait une valeur », bien que, j’insiste, la nature soit une richesse et qu’elle soit utilisée pour que le travail crée une valeur économique.

Il s’ensuit une affirmation étonnante à la toute fin de ce livre : «L’économie écologique s’inscrit plutôt dans l’économie néoclassique, pour qui le problème est avant tout de hiérarchiser les choix entre des possibilités d’achat concurrentes, avec un budget limité : Acheter bio ou industriel? Investir dans le renouvelable ou dans le fossile? Les deux perspectives ne s’opposent pas, aucune n’est “néolibérale”  à proprement parler puisqu’aucune ne vise le profit. Mais aucune des deux n’intègre l’autre. Du côté de l’économie écologique, on cherche à intégrer la valeur intrinsèque de la nature dans les choix (ce qui est hétérodoxe[7]), mais le travailleur est absent. À ce jour, nous ne voyons pas poindre une synthèse » (p. 121).

51t6HxK04xL._SX323_BO1,204,203,200_Cette fin est d’abord très mal construite: on hésite pour savoir ce qu’il faut comprendre par «deux perspectives», sans doute s’agit-il de celle du marxisme et de celle de l’écologie vues par l’auteur, mais le jugement qu’elles ne seraient néolibérales ni l’une ni l’autre n’a aucun sens puisque le néolibéralisme n’est pas une théorie au sens de l’analyse, mais un ensemble de préceptes d’action politique. Et, surtout, ranger l’écologie entière sous le parapluie de la théorie néoclassique en dit long implicitement sur les «divisions» au sein de ou sur l’écologie dont finalement on n’apprendra rien explicitement dans ce livre.

Il est symptomatique que les «erreurs» signalées plus haut portent sur l’économie politique (Ricardo) et la critique de l’économie politique (Marx).[8] Ces deux corpus théoriques sont ignorés par une partie importante des prétendants au monopole de l’écologie, qui, à l’instar de la théorie néoclassique, confondent pour des raisons idéologiques richesse et valeur. Cela conduit à fermer les yeux sur la théorie néoclassique dont aucun énoncé n’est logiquement sauvable. Cette théorie qui, pour le domaine qui nous occupe ici, réduit la nature à un capital remplaçable à souhait par le capital manufacturé, à la soutenabilité faible, etc.

On ne peut pas deviser ainsi sur les divisions de l’écologie sans grave écartèlement. Quant à savoir s’il existe ou non une «autre vision qui pointe», alliant le social et l’écologie, il suffirait au moins de discuter les deux idées mises ensemble sur le travail productif dans la sphère non marchande et sur le caractère inestimable économiquement de la nature, afin de commencer à penser transition et émancipation de nouvelle façon.[9]

______

[1] K. Marx, Le Capital, Livre I, 1867, dans Œuvres, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1965, tome I, p. 571.

[2] K. Marx, Critique du programme du parti ouvrier allemand, dans Œuvres, tome I., op. cit., p. 1413.

[3] K. Marx, Le Capital, Livre III, Paris, Éditions Sociales, 1974, tome 3, p. 195, ou dans Œuvres, tome II, p. 1430.

[4] J.-M. Harribey, « Sur la valeur de la nature, éviter le fétichisme », Les Possibles, n° 3, Printemps 2014, https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-3-printemps-2014/dossier-l-ecologie-nouvel-enjeu/article/sur-la-valeur-de-la-nature-eviter

[5] Choix politique aussi sans doute, car on reste interloqué de la manière dont l’idée d’une taxe carbone est dézinguée sans nuance (p. 60), pour ensuite nous vanter les vertus de la théorie néoclassique.

[6] On notera «les» écologistes, tous mis sous la même bannière, alors que le projet du livre est de nous donner un aperçu des «divisions», ce qui confirme le choix d’étudier les divisions entre «sociaux» et «écologistes», en niant celles internes à l’écologie. On pourrait d’ailleurs se demander si les tribulations abracadabrantes de la composante partidaire de l’écologie politique ne reflètent pas au fond des divisions au sein de l’écologie en tant que paradigme.

[7] Penser que le choix rationnel est entre des vacances ou une Audi relève-t-il d’une vision hétérodoxe ?

[8] On pourrait prendre d’autres exemples d’erreurs relevant de la méconnaissance des concepts de base de l’économie politique et de la critique de celle-ci. Ainsi, l’encadré «L’arnaque de la “productivité” matérielle ou de l’”efficacité” assise sur le PIB» (p. 65) part d’une bonne intention, celle de critiquer les indicateurs de l’OCDE. Mais la définition donnée est fausse: ladite productivité des ressources selon l’OCDE ne rapporte pas la consommation matérielle au PIB mais l’inverse. Et c’est en cela qu’elle montre l’inanité de son fondement puisqu’elle postule que la matière produit de la valeur (voir les explications techniques dans J.-M Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Ed. LLL, 2013). Plus loin, il est dit que «le riche qui possède un réfrigérateur ultra-performant et hors de prix génère plus de valeur ajoutée par kw/h consommé»; c’est confondre le lieu de production et celui de consommation. Les auteurs ont raison d’appeler «c’est à l’utilité sociale que l’efficacité écologique ou économique doit être ramenée». Malheureusement, cette utilité sociale n’est pas mesurable à l’aune économique, puisque la valeur d’usage n’est pas quantifiable. L’encadré «La valeur ajoutée» (p. 66) revient sur l’erreur à propos de Ricardo: pour ce dernier, il n’y a pas échange d’une heure de travail contenue dans une unité de tissu contre une journée de travail contenue dans une unité de vin, puisqu’il raisonne en termes de valeur-travail. L’échange inégal renvoie à une autre réalité que nous n’avons pas la place d’expliquer ici, mais pour Ricardo, l’échange inégal n’a pas de sens.

[9] Sur un sujet comme celui promis par ce livre, ne pas citer (ne serait-ce que citer) les travaux menés ailleurs est significatif des «divisions » entretenues: par exemple, les travaux sur l’écosocialisme, M. Löwy, Écosocialisme, L’alternative radicale à la catastrophe écologique planétaire, Paris, Mille et une nuits, 2011; ou bien les travaux sur la valeur en lien avec les transformations du capitalisme,  E. Martin, M. Ouellet (dir.), La tyrannie de la valeur Débats pour le renouvellement de la théorie critique, Montréal, Écosociété, 2014, en particulier le chapitre de J.-F. Filion, «Prolégomènes à une analyse comparative de la sociologie dialectique de Freitag et de la Wertkritik» ; sans même m’appesantir sur la synthèse que j’ai proposée dans J.-M Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit., autour du travail productif et de l’inestimable pour borner l’espace capitaliste et amorcer une transition. (Article posté sur le blog de Jean-Marie Harribey (Alternatives économiques). On peut se référer à son article publié dans la Revue Actuel Marx, No. 57, premier semestre 201, mis en ligne sur son blog personnel (http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/richesse-valeur-actuelmarx.pdf) et ayant pour titre : «Au cœur de la crise sociale et écologique du capitalisme : la contradiction entre valeur et richesse» (p. 173 à 185)

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