COP26. Les militaires du monde entier cachent leurs énormes émissions de carbone

Par Doug Weir, Benjamin Neimark, Oliver Belcher

Le leadership en matière de changement climatique ne se limite pas à des discours enflammés. Il faut faire face à de dures vérités. Une vérité avec laquelle les gouvernements du monde entier se débattent est l’immense contribution de leurs armées à la crise climatique.

Par exemple, le secrétariat à la Défense des Etats-Unis est le plus grand consommateur institutionnel de combustibles fossiles au monde – et le plus grand émetteur institutionnel. Deux d’entre nous ont travaillé sur une étude de 2019 qui a montré que si l’armée des Etats-Unis était un pays, sa seule consommation de carburant en ferait le 47e émetteur de gaz à effet de serre au monde, entre le Pérou et le Portugal. En d’autres termes, l’armée américaine est un acteur climatique plus substantiel que bon nombre des pays industrialisés réunis au sommet de la COP26 à Glasgow.

Malgré le rôle démesuré des armées, nous savons curieusement peu de chose sur leurs émissions. Cela est remarquable compte tenu de leur portée et de leur dépendance aux combustibles fossiles. Certains scientifiques estiment qu’ensemble, les armées et les industries qui les soutiennent pourraient représenter jusqu’à 5% des émissions mondiales, soit plus que l’aviation civile et le transport maritime réunis (Voir Responsible Science Journal, N° 2, 8 January 2020)

Si nous en savons si peu, c’est notamment parce que l’armée est l’une des dernières industries très polluantes dont les émissions ne doivent pas être déclarées aux Nations unies. Les Etats-Unis peuvent s’en attribuer le mérite. En 1997, leur équipe de négociation a obtenu une exemption militaire générale dans le cadre de l’accord de Kyoto sur le climat. S’exprimant devant le Sénat l’année suivante [11 février 1998], l’envoyé spécial du président pour le climat, John Kerry, a salué «un travail formidable».

A l’heure actuelle, 46 pays et l’Union européenne sont tenus de soumettre des rapports annuels sur leurs émissions nationales en vertu de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). L’Accord de Paris de 2015 a supprimé l’exemption militaire de Kyoto, mais a fait en sorte que la déclaration des émissions militaires reste facultative.

Nos recherches [https://militaryemissions.org/] sur les rapports ayant trait aux émissions militaires ont pour la première fois mis en lumière l’état désastreux des déclarations concernant les émissions militaires mondiales. La sous-déclaration est la norme, tout comme les données qui sont inaccessibles, ou agrégées avec des sources non militaires. Par exemple, le Canada déclare ses émissions dans plusieurs catégories du GIEC, les vols militaires dans la catégorie des transports généraux, et l’énergie consommées par les bases militaires dans la catégorie des émissions commerciales/institutionnelles.

La déclaration des émissions militaires par les nombreux pays qui ne sont pas tenus de présenter un rapport annuel à la CCNUCC est encore pire. Il s’agit notamment de pays disposant d’importants budgets militaires, comme la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite et Israël.

Ce «travail formidable» de 1997 a malheureusement jeté une ombre considérable au tableau. En 2020, les dépenses militaires mondiales ont atteint environ 2000 milliards de dollars et la communauté internationale reste largement inconsciente du coût en carbone de ces dollars, quel que soit l’endroit où ils sont dépensés.

Cette vaste empreinte militaire sur l’atmosphère terrestre ne figure pas à l’ordre du jour officiel de la COP26. On espère toutefois qu’elle le sera l’année prochaine, lors de la COP27, car les pays commencent à prendre conscience de leur énorme empreinte carbone militaire.

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En juin, l’alliance militaire de l’OTAN a annoncé qu’elle allait fixer des objectifs concrets pour «contribuer à l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050». Pendant ce temps, des pays comme la Suisse et le Royaume-Uni, qui ont adopté une législation nationale fixant des objectifs de «zéro émission nette», doivent enfin faire face à la vérité désagréable que leur département-ministère de la Défense est le plus grand émetteur institutionnel au sein du gouvernement.

Alors que les émissions militaires attirent l’attention, la culture de l’exceptionnalisme environnemental militaire – qui en constitue le fondement – continuera de mener une longue guerre que les militaires mènent plus discrètement contre le climat. Malgré leur pouvoir en termes de dépense (et donc d’achat) et leur influence politique, les militaires sont à la traîne en matière de durabilité. C’est ce qui ressort clairement de l’engagement supplémentaire pris par l’OTAN en 2021 d’élaborer une méthode de comptabilisation des émissions de carbone à l’intention de ses membres – un domaine dans lequel les armées sont à la traîne par rapport à d’autres grands secteurs.

Quelles émissions les forces armées doivent-elles comptabiliser? Ces exercices comptables doivent-ils se concentrer exclusivement sur l’utilisation de carburant et la consommation d’énergie? Ou bien le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement massives et mondiales, comme celles gérées par la Defense Logistics Agency du gouvernement des Etats-Unis, doit-il également être pris en compte? Les émissions des chaînes d’approvisionnement peuvent être 5,5 fois plus élevées que les émissions opérationnelles d’une unité.

Et qu’en est-il des opérations à l’étranger, ouvertes ou secrètes, ou des coûts climatiques plus larges d’une guerre et de la paix, tels que la dégradation des paysages, la déforestation ou la reconstruction [Voir Conflict and Environment Observatory, «How does war contribute to climate change ?», June 14, 2021]

Les gouvernements occidentaux, y compris des institutions comme l’OTAN, sont occupés à se positionner en tant que leaders sur les implications sécuritaires de la crise climatique. Leur crédibilité en matière de sécurité climatique, et plus largement en matière d’action climatique, dépendra de leur volonté de faire face à certaines vérités difficiles concernant leur propre contribution au changement climatique. Il faudra également faire preuve de beaucoup plus d’ouverture et de transparence. Ces deux éléments seront essentiels pour parvenir à un véritable changement, plutôt qu’à un simple éco-blanchiment de qualité militaire

Il ne faut pas se faire d’illusions sur l’ampleur du défi auquel devraient s’affronter les gouvernements. La guerre est une activité sale. Les armées sont institutionnellement complexes et les cycles d’acquisition durent des décennies, ce qui peut «verrouiller» sur un temps long les émissions. Les choses ne changeront donc pas du jour au lendemain, mais ce que les militaires ne comptent pas, nous ne pouvons pas le voir. Et ce que nous ne pouvons pas voir, ils ne le réduiront pas. (Article publié sur le site The Conversation, en date du 9 novembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Doug Weir est directeur de la recherche et des politiques auprès de The Conflict and Environment Observatory, King’s College de Londres.
Benjamin Neimark est maître de conférences auprès du Lancaster Environment Centre, Université de Lancaster.
Oliver Belcher est professeur adjoint de géographie, Université de Durham.

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