Palestine

60 ans après: le partage ou la paix

Pierre-Yves Salingue *

Nous publions ci-dessous une contribution à un débat qui traverse tous les divers mouvements de solidarité avec la lutte anticolonialiste du peuple palestinien. Sans débat, il y aura, tout au plus, des actions à caractère compassionnel ou, alors, le recul du politique s’affirmant, prendront sa place les attitudes «religieuses» – d’autant plus qu’elles peuvent, à leur façon, refléter la montée de la forme religieuse et des organisations religieuses, au sein des «territoires occupés», comme au sein de l’Etat sioniste. La contribution de  Bashir Abu-manneh publié le 18 avril 2008 sur ce site était une première contribution. Celle de Pierre-Yves Salingue une deuxième. Ce texte a été écrit avant la réunion des mouvements de solidarité avec les Palestiniens qui se tiendra le 17 mai 2008 en France, Porte de Versailles. (réd.)

Pour tous ceux  toutes celles qui refusent l’injustice subie par le peuple palestinien,  2008  aurait pu être l’occasion de relancer une  mobilisation essoufflée par le sentiment d’impuissance provoqué par la dégradation dramatique de la situation des Palestiniens.

Non qu’il y ait quoi que ce soit à «célébrer» en 2008 et surtout pas la proclamation de  l’Etat  d’Israël, cette étape essentielle du nettoyage ethnique de la Palestine.

Mais, 60 ans après la Naqba, quelles que soient la noirceur du tableau et l’ampleur de la tragédie palestinienne actuelle, les militants engagés dans le soutien à la lutte du Peuple palestinien ont constaté un changement, encore hésitant mais prometteur, dans le camp palestinien.

Depuis l’appel au boycott d’Israël [1] lancé par 170 organisations palestiniennes en juillet 2005, des militants palestiniens ont multiplié les appels et les initiatives. [2]

Ils ont progressivement défini les éléments structurant une démarche de reconstruction d’une stratégie de lutte contre la fragmentation de la société palestinienne.

Le refus du mythe selon lequel les négociations avec Israël étaient la seule voie possible.

L’unité globale du peuple palestinien, de sa terre et de sa cause, quelles que soient sa dispersion et sa fragmentation actuelle.

L’exigence incontournable du droit à l’autodétermination et du droit au retour des réfugiés.

Le refus de reconnaître Israël en tant qu’ «Etat juif».

Le refus de la colonisation et de l’occupation de toutes les terres arabes.

Le rejet de toute normalisation des relations avec l’occupation coloniale et ses institutions.

La condamnation de toutes les tentatives des donateurs occidentaux visant à établir des «projets d’échange» communs  à l’oppresseur et aux opprimés, sous les termes trompeurs de «dialogue pour la paix».

Sans jamais remettre en cause la légitimité de la résistance armée à l’occupation, ces militants ont estimé que, si ces actions armées recueillaient une sympathie populaire, elles ne permettaient pas une participation directe à la lutte de la part de la population présente sur la terre de Palestine de même que celle des Palestiniens vivant en exil.

L’appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions permettait à un mouvement de soutien international d’exister réellement, non comme l’auxiliaire d’un hypothétique «processus de paix», mais comme un acteur pouvant contribuer à remettre en cause le rapport de forces et à aider réellement les Palestiniens par des actions durables et efficaces pour isoler l’Etat d’Israël.

En France, pour l’heure, ces appels sont restés lettre morte. Ni la Plate-forme des ONG, ni le Collectif national pour une paix juste entre Palestiniens et Israéliens, ni la plus importante des associations françaises de solidarité (AFPS: Association France Palestine Solidarité) n’ont voulu les reprendre.

On doit même constater que les responsables du mouvement de solidarité ont de plus en plus pris leurs distances avec les militants palestiniens qui les interpellaient sur les motifs de leurs hésitations et sur les raisons de leur inaction. L’initiative «Paix comme Palestine» en est aujourd’hui l’illustration, tant dans le choix des invités politiques que dans le contenu du message que les organisateurs ont décidé de faire passer.

Voici donc une «campagne pour la Palestine» où on ne trouvera pas les expressions suivantes: «nettoyage ethnique», «Etat colonial», «projet sioniste», «soutien à la résistance du peuple palestinien», «droit au retour des réfugiés dans leurs foyers», «boycott d’Israël»

Ils disent vouloir «la paix», mais ils ne veulent pas du retour des réfugiés

Pour qui souhaite réellement aider les Palestiniens à recouvrer leurs droits et notamment leur droit à l’autodétermination, ces «60 ans» n’avaient de sens que dans l’affirmation sans ambiguïté d’une solidarité totale avec les exigences constantes du Peuple palestinien dans sa résistance à la conquête coloniale et au nettoyage ethnique.

Au cœur de ces droits, le Peuple palestinien a placé la question des réfugiés. Pas seulement à cause de leur nombre, même s’ils représentent aujourd’hui les deux tiers des Palestiniens, mais parce que, comme l’a si bien exprimé  Hussam Khader: «la cause des réfugiés est la substance même de la cause palestinienne». 

C’est pourquoi le droit au retour  des réfugiés occupe une place décisive, à la fois dans l’affirmation de la résistance populaire au nettoyage ethnique et dans l’expression du refus de reconnaître la légitimité de «l’État juif». Pour les Palestiniens, l’abandon du droit au retour signifierait la victoire totale du projet colonial sioniste et donc leur disparition en tant que peuple.

Et c’est aussi pourquoi la question des réfugiés est devenue la cible d’une offensive généralisée visant à éradiquer cette réalité qui est la marque identitaire du conflit  et le symbole vivant de l’illégitimité du projet colonial sioniste imposé aux peuples arabes par la force des armes avec le soutien de l’Impérialisme.

Par son vote du 29 novembre 1947, contre la volonté affirmée de la population arabe palestinienne majoritaire, l’ONU a volé sa terre à un peuple qui l’habitait et la travaillait depuis des siècles pour la donner aux partisans d’un projet colonial, au nom du «droit à un État» d’un «peuple juif» qui n’existait que comme  une construction idéologique du nationalisme réactionnaire sioniste.

En privant les Palestiniens de leur droit au retour, il s’agit bien  d’anéantir leurs racines, de les déposséder de leur Histoire et  de faire disparaître la marque du crime commis en 1947-1948 lors de la création de l’Etat colonial israélien. Le fondateur d’Israël avait dès le début donné la ligne . «Nous devons tout faire pour assurer qu’ils ne reviendront jamais» avait déclaré Ben Gurion en juillet 1948.

L’offensive menée contre le droit au retour est multiforme et concertée. Soutenus par les gouvernements des États Unis (Bush a depuis longtemps déclaré que les réfugiés ne pourront pas revenir en Israël), les dirigeants israéliens, de toutes les tendances politiques, sont évidemment les plus déterminés.

Le siège imposé à la population de Gaza  depuis deux ans est d’abord une guerre menée aux réfugiés: la population de la bande de Gaza est à plus de 70% composée de réfugiés et la volonté israélienne d’y rendre la vie impossible a beaucoup plus à voir avec la politique sioniste de nettoyage ethnique qu’avec l’intention souvent prêtée aux dirigeants israéliens de vouloir «punir les habitants» d’avoir voté pour le Hamas ou avec des «réactions disproportionnées» contre les tirs de rockets.

Comme la colonisation croissante et la construction du mur en Cisjordanie, comme la politique d’expulsion de leurs terres des Palestiniens du Nakhab, le siège de Gaza est le signe du caractère toujours actif du projet sioniste en Palestine et de son incompatibilité totale avec le retour des réfugiés. 

Au plan international d’importantes négociations se déroulent actuellement, plus ou moins secrètement.

Elles impliquent des dirigeants politiques occidentaux et japonais, des représentants des régimes arabes concernés par la présence de réfugiés sur leurs territoires ou sollicités pour supporter le coût financier des mesures envisagées, des institutions politiques et financières internationales etc.

L’objectif est de convaincre (notamment par la promesse d’indemnisations) ou, à défaut, de contraindre les réfugiés à renoncer à leur droit au retour.

Si, de la part de ces adversaires du Peuple palestinien, ces positions qui nient ouvertement les droits des réfugiés ne sont pas vraiment une surprise, on éprouve par contre de la colère à la lecture des propos tenus par ceux qui se présentent comme les défenseurs de ces droits.

S’agissant des réfugiés et de leur droit au retour, l’initiative «Paix comme Palestine» est une contribution directe à la politique qui vise à vider le droit au retour de son sens, tout en conservant quelques formulations qui peuvent induire en erreur les sympathisants de la cause palestinienne qui n’imaginent pas que ce droit puisse être abandonné.

Que disent les «appels» initiés à l’occasion de cette initiative ?

«Une solution juste du problème des réfugiés fondée sur la reconnaissance du tort qu’ils ont subi et des droits qui en découlent», lit-on dans l’appel des personnalités.

«Un juste règlement du problème des réfugiés» affirme l’appel proposé à la signature des élus, après avoir regretté, dans un délicat euphémisme, que la guerre ait  «conduit également à pousser à l’exode 800’000 Palestiniens devenus les réfugiés».

Le choix des intervenants confirme les intentions des organisateurs. Elias Sanbar, d’abord [né à Haïfa en 1947, directeur de la Revue d’études palestiniennes a écrit, entre autres, Palestine 1948. L’expulsion]. Il est l’inspirateur de la subtile distinction entre «reconnaissance du principe du droit au retour» et «exercice du droit».  Elias Sanbar affirme qu’il veut d’abord qu’on lui reconnaisse son droit, mais que l’exercice de ce droit le regarde et qu’il est fort possible qu’il n’ait pas envie de l’exercer.

Peut-être veut-il rassurer les Israéliens ou peut-être n’a-t-il pas le même vécu que les réfugiés de Nahr el Bared (Liban)? Toujours est-il que contrairement aux comités des camps de réfugiés qui traitaient le document de Genève [initiative de Genève en 2003 qui suscita plus d’une illusion] d’«agression sur le dos du peuple palestinien et d’attaque contre ses droits fondamentaux»

Elias Sanbar affirme: «Ce qui est bien dans ce projet, c’est son côté très pédagogique, puisqu’il est la preuve concrète que rien n’est impossible. Finalement même s’il ne voit pas le jour, même s’il ne se concrétise pas, il aura quand même servi à donner la preuve que toutes les questions, même les soi-disant absolument insolubles, peuvent trouver une solution».  

Pour lui, si «le droit au retour n’est pas négociable», «son application l’est» [