Suisse
 
 

A la recherche du «bon patron»: Schneider-Ammann

Rolf Krauer

Johann Schneider-Ammann (JSA): «Je défends avant tous les emplois.» (Le Temps, 19.08.2010). Johann Schneider-Ammann: «Tout ce que je fais doit être durable – économiquement, socialement accommodant, conciliant, digeste et écologique» (Entretien dans le Langenthaler Tagblatt, 19.08.2010)

Otto Ineichen (propriétaire de Otto’s, magasins aux prix dumping, conseiller national, PLR, de Lucerne) voit dans Schneider-Ammann: «un Hayek du futur (Bilanz, 1.08.2010). Corrado Pardini membre du comité directeur du syndicat UNIA, responsable du secteur industrie et membre du PS bernois, potentiel candidat au Grand Conseil de son canton – déclare: «Je souhaite qu’il soit élu.» (Tages-Anzeiger, 18.08.2010)

Belle unité collégiale interpartis en faveur du «sauveur» du Conseil fédéral, un des deux candidats du PLR (Parti Libéral radical) au Conseil fédéral pour l’élection le 22 septembre, afin de remplacer Hans-Rudolf Merz. Il est en compétition avec conseillère d’Etat saint-galloise, du Département de Justice et police (sic), Karin Keller-Sutter, «la dame de fer» pour les migrant·e·s.

Qui est Schneider-Ammann ?

Johann Schneider-Ammann – «Mister Werkplatz» (Monsieur place de travail) plaît à un éventail de politiciens et politiciennes allant de la droite à la «gauche», à quelques exceptions ?

Après des études d’Ingénieur en Suisse et des Hautes études en gestion et administration à Paris, il fait ses gammes comme jeune cadre chez Bührle-Oerlikon.

Après mariage avec la fille du patron Ammann, sa carrière suit une ligne ascendante. Il devient fondé de pouvoir à la direction de la fabrique de Machines Ammann.

Depuis 1990, il est président et délégué du conseil d’administration de Ammann Group Holding SA (présent dans les machines de construction, l’immobilier, les investissements financiers), avec des sites de productions en Suisse (Langenthal), en Allemagne, en Italie, en France, en Chine, en Tchéquie. Johann est aussi actionnaire et membre du conseil d’administration de Swatch, de Mikron (Bienne) et de Trösch (appareils de transport à Volketswil-Gfenn, canton de Zürich).

Sa participation aux «organisations professionnelles»

JSA est président de SWISSMEM, l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux («partenaire social» des syndicats, d’UNIA aujourd’hui). Il est aussi vice-président d’économiesuisse, autrement la Fédération des entreprises suisses. Il ajoute sa participation au comité directeur de l’Association du commerce et de l’industrie du canton de Berne et celle de membre du comité directeur de l’Union patronale Suisse. Enfin, pour couronner la dimension transnationale de son activité patronale, il est aussi membre du comité directeur de l’Association des entrepreneurs suisses en Allemagne, le pays où les investissements directs du capital helvétique sont les plus déterminants.

Après le «lobbying», ses «bonnes œuvres»

Dans la tradition d’un radicalisme qui «se penche sur les gens de peu» – tout en choisissant des postes qui étayent son influence sociale – JSA est membre de la Commission de l’hôpital régional de Langenthal et membre du comité directeur de l’important Hôpital de l’Ile à Berne. Il est aussi l’initiant de «l’initiative apprentis Langenthal»: prendre en compte dans son entreprise, les frais administratifs des apprenti·e·s engagés dans une petite entreprise.

Son engagement politique

Membre du PLR, qui reste «aile économique de la Bahnhofstrasse de Zürich» et Conseiller national depuis 1999 (membre de la commission économique). Il préside du groupe politique économique du PLR suisse.

Dans la tradition, il a une «carrière militaire»: colonel, ancien Cdt du régiment de montagne 17, jusqu’en 2002.

Sa «danseuse»

L’«Ammann-Züpfe-Zmorge» («Ammann déjeuner-tresse) sur le modèle de l’UDC zurichoise: SVP-Zmorgete (petit-déjeuner UDC) avec participation d’un orateur connu.

Un panel de ses invités à l’affinité sociale relevée: Edmund Stoiber, ancien Ministre Président de Bavière de la CSU. Cette aile conservatrice de la «CDU» allemande, animée longtemps par feu Franz-Josef Strauss, qui combinait la réaction et des visions économiques, avec «son ouverture à l’Est» et l’appui à une industrialisation modernisée de la Bavière. Hermann Otto Solms, de son vrai nom: Hermann Otto Prinz (prince) zu Soms-Hohensolms-Lich. Il fut, entre autres, député «durable» du FDP allemand au Bundestag et vice-président de celui-ci; de plus membre ultralibéral d’une des commissions économiques du parlement. Wan Gang, ministre chinois des sciences et techniques. Andreas Meyer, successeur de Benedikt Weibel à la direction des CFF, champion de la privatisation des services publics. Philipp Hildebrand, vice-président de la Banque Nationale (BNS) et acheteur enthousiaste de milliards d’euros pour ne pas «défavoriser» les exportations, suite à la montée du franc ou, si l’on veut, à la baisse de l’euro.

L’empire Ammann Group Holding SA

A part la conception de trax (bulldozer), Ammann produit tout ce qui sert à construire une route: de l’infrastructure au revêtement en passant par l’usine de mélange d’asphalte fixe ou mobile, et les différents rouleaux compresseurs servant à toutes les strates d’une route. Elle jouit de licences pour des technologies de pointe qui fait de ce groupe un des leaders mondial de la branche.

Ammann est présent dans 30 pays et occupe à peu près 3400 salarié·e·s, dont près de 1300 en Suisse. Huit sites de production fabriquent les produits mentionnés: Langenthal en Suisse, Alfeld, Hennef, Metzingen en Allemagne, Bussolengo/Vérone en Italie, Nové Mesto nad Metuji en Tchéquie, Saint-Dizier en France et Shanghaï en Chine.

JSA table beaucoup sur le marché asiatique; ses liens avec Wan Gang ne sont pas tombés du ciel et sont utilitaires. Il prévoit l’ouverture d’une unité de production en Inde. Il a tout dernièrement accompagné Doris Leuthard lors d’une visite officielle en Chine et à Shanghaï.

Un entrepreneur social

Sous le titre: «Johann Schneider-Ammann lance son entreprise Conseil fédéral» – avec en chapeau «De la droite à la gauche, il n’est critiqué que sporadiquement: ces dernières années le candidat au conseil fédéral Johann-Schneider-Ammann s’est ripoliné une image sans tache le Tages Anzeiger (18.08.2010) s’étonne du consensus autour du candidat. Le «Tagi» se demande comment un des 300 plus riches en Suisse, selon Bilanz, avec une fortune de 500 à 600 millions de francs, peut être attractif pour la gauche politique et les syndicats ?

Sur son bilan social ?

Il s’est prononcé: pour la retraite à 67 ans; contre un salaire minimum; pour la libéralisation entière des heures d’ouverture des magasins; pour les bilatérales avec le minimum «de mesures d’accompagnement»; contre le congé maternité qui pouvait mettre «l’économie suisse dans une situation catastrophique». Le congé maternité introduit, Johann Schneider-Ammann avoue pouvoir vivre avec.

Il est pour le prochain démantèlement accru de la loi sur le chômage (4e révision de la LACI) qu’il considère encore trop faible. Il défendait dans sa commission parlementaire des mesures plus drastiques.

Sur une approche politique ?

De tous bords on le considère comme un Nicolas de Flüe. JSA soigne ce flou en ne disant jamais ce qu’il va faire au Conseil fédéral, voyons ce qu’il proposait dans son entretien accordé au Sonntags Blick du 22 août 2010, pour remonter la cote du PLR:

«Le point le plus important est de former les personnes dans tous les secteurs et à tous les degrés. Deuxièmement: nous avons besoin des accès au marché. Troisièmement: nous devons maîtriser les coûts dans le pays pour rester concurrentiel. Quatrièmement: nous avons le plus possible besoin d’espace libre pour les entrepreneurs, alors si possible peu de lois.»

Et peu de scrupules comme le mentionne la NZZ am Sonntag du 22.10.2010. Elle rappelle qu’en 2003 lorsqu’il s’agissait de reconnaître le génocide arménien en Turquie, Johann Schneider-Ammann refusa catégoriquement en arguant: «Nous exportons là-bas plus que dans maints pays de l’UE».

Passons sur ses escarmouches contre le capitalisme financier (plus exactement certaines «grosses banques» freinant le crédit) qu’il sait étroitement lié, interpénétré au capital industriel.

L’arrogant et trop avide Ospel – «dangereux pour la paix sociale» – éliminé, il s’entend bien avec des banquiers tels Patrick Odier et Hans-Ulrich Doerig dans economiesuisse.

Cette position «raisonnable» lui permet de grappiller l’attention de certains milieux, les directions syndicales par exemple. D’ailleurs, il trouve «l'initiative Minder» trop «radicale». Passons aussi sur sa complainte sur l’euro trop bas par rapport au franc, handicapant le marché de l’exportation, partagée par la direction de l’Union syndicale suisse.

Il surfe aussi sur la vague de l’émotion – qui permet d’éviter une analyse sérieuse des conditions de lancement du groupe Swatch – que la mort de Nicholas Hayek a provoquée dans toutes les couches, patronales comme syndicale.

Monsieur «place de travail» licencie dans le secret

JSA, «Monsieur propre» faisant de la transparence et de la communication des vertus cardinales, a licencié près de 100 employés en catimini, en Allemagne, lors de l’été 2009. Lui qui vit encore du fonds de commerce de sauveur de places de travail à Langenthal lors de la crise de 1990. Crise industrielle qui, sous des formes différentes, perdure encore aujourd’hui et risque d’être encore pire demain. La Berner Zeitung du 21.08.2010, quotidien de son canton, titrait:«Ammann coupe sombre en Allemagne». En introduction: «Le personnel en Suisse préservé. Par contre le chef d’entreprise Johann Schneider-Ammann ferme une entreprise à l’étranger.»

Il s’agit de l’unité de production Rammax à Metzingen (Allemagne du Sud) – unité contrôlée par le holding Ammann – qui gardé son ancien nom, pour des raisons commerciales. Près de 100 employés, le total de l’effectif, furent mis à la porte en été 2009, l’usine mettant la clé sous le paillasson au printemps de cette année Les médias allemands furent informés, pas ceux de Suisse. Le quotidien bernois, averti sur le tard par d’autres sources, prit contact avec la direction du holding à Langenthal. Sa justification est arrivée le 20.08.2010. Rammax-Werk produisait des «Grabenwalzen» (compacteur de tranchée). «A cause de la crise, la demande pour ce produit de niche s’est effondrée» expliquait le mail.

Et le syndicat allemand de la branche IG Metall, comment a-t-il réagi lors de l’annonce des brusques licenciements ? «Ce fut un choc pour tous les concernés» déclare le responsable IG Metall, Ernest Blinzinger lorsque, en été 2009, durant les vacances de l’entreprise, les employés de Rammax apprirent cette funeste nouvelle: «Beaucoup d’entre eux étaient encore en vacances et ne purent même pas être atteints».

Pourtant le syndicat et les travailleurs de Rammax savaient que quelque chose se tramait. Pourquoi n’ont-ils rien entrepris comme dans la tradition qui n’est pas si ancienne ? Le syndicaliste suisse n’enviait-il pas la capacité de résistance de IG Metall ? Connaissant les risques, espéraient-ils un licenciement soft avec un timing «acceptable»? Ont-ils averti la centrale UNIA à Berne ? Si, non pourquoi ? Si oui, c’est «dramatique». UNIA aurait au nom d’intérêts nationaux – mieux vaut des licenciements ailleurs – et des intérêts corporatistes ainsi que l’argent paritaire, tout fait pour épargner un partenaire social, si «solidaire».

Aucune proposition d’IG Metall ne fut prise même en considération par JSA. JSA «a tout refusé, ce fut un grand dépit pour moi», rapporte Blinzinger.

Pourtant dans le communiqué envoyé à la Berner Zeitung le groupe Ammann affirmait avoir «remplis entièrement» ses devoirs contractuels après un plan social et une pesée d’intérêts. Toujours selon la même source, une quarantaine de collaborateurs de la Rammax récusèrent une proposition d’engagement en Suisse: «Nous leur offrîmes – parmi d’autres – la possibilité d’habiter un an gratuitement à Langenthal».

Selon un ancien responsable de la commission d’entreprise de la Rammax, 5 à 6 personnes acceptèrent la proposition. Les autres, père de famille, détenteur d’une maison dans la région de Metzingen perdaient tout en déménageant sans contrepartie réelle. «En plus, à beaucoup, il fut offert un contrat de courte durée» ajoute le syndicaliste Blinzinger. Il conclut: «Un tel pas en Allemagne lui est plus facile. Ici il ne risque pas de perdre des mandats politiques».

Selon le dithyrambique article de Bilanz d’août 2010 – que tout potentiel Conseiller Fédéral «mérite» – le Ammann Group Holding SA vise la deuxième place européenne des plaques vibrantes, en déboulonnant la marque allemande Bomag.

Qui va sur le site web du holding Ammannen date du 2 septembre 2010 – peut découvrir avec stupeur que parmi les 8 unités de production existe toujours celle de Metzingen, une sorte de camouflage de sa disparition ou une inertie du site, mal venue pour une avant-gardiste de la technologie.

Pour les étages supérieurs de UNIA, il ne s’est donc rien passé chez Rimmax, puisqu’il figure toujours sur le site. Ce qui autorise le responsable UNIA de l’industrie, de souhaiter l’élection de Johann Schneider Ammann. Il le déclame dans le Tages Anzeiger du 18.08.2010: «Lui (Pardini) trouve important que quelqu’un de l’économie réelle entre au Conseil fédéral. Schneider-Ammann sait comme président de l’organisation faitière Swissmem ce qu’est le partenariat social. Surtout qu’il l’a déjà fréquenté lors des négociations avec le MEM». On se demande qui prépare la carrière de qui ? Et dans quelle mesure le succès politique de JSA ne serait pas nécessaire à une ascension, réduite, de Pardini dans UNIA.

Au travers de ce portrait, on peut admirer une sorte de miniaturisation de la dynamique politico-sociale helvétique: les structures du pouvoir entrepreneurial dominent; le patronat, dans ses diverses composantes, a besoin d’élites politiques plus préparées à faire face aux turbulences économiques présentes; le syndicat s’aligne sur les exigences de swissmem. Schneider-Amman est sanctifié. Il ne sera peut-être pas élu. Ce qui indiquerait que certains ne comprennent pas que JSA est l’idéal-type du dirigeant économico-politique apte à souder «l’unité nationale» et «une paix du travail» qui s’adaptent aux contre-réformes et à la régression sociale dans cette phase de transition. Toutefois, la hiérarchie de l’organisation du pouvoir n’en souffrira pas. S’il n’est pas élu au Conseil fédéral.

(4 septembre 2010)