Suisse-Genève
 
 

Mobilisation contre l’ouverture prolongée des magasins

Hans Oppliger

Le référendum contre l’ouverture prolongée des magasins a abouti en rassemblant près de 15'000 signatures, alors que 7000 suffisaient. La Loi sur l’ouverture des magasins (LHOM), telle qu’adoptée par le Grand Conseil genevois en juin 2010, permet d’ouvrir les magasins tous les jours de la semaine jusqu’à 20h, le samedi jusqu’à 19h, ainsi que quatre dimanches par an.

Un nombre important de vendeuses et de vendeurs ont récolté eux-mêmes près d’un tiers des signatures. A l’occasion de la remise des signatures auprès du Service des votations et élections, le 6 août 2010, une vendeuse dans un département de cosmétiques traduisait un sentiment répandu chez ses collègues: «Au départ on était plutôt pessimiste, mais il y a vraiment eu un mouvement de solidarité. En effet, sous la pression d’une ambiance de consommation à Genève, les vendeuses sont souvent résignées par rapport à tout ce qui se passe. Or, cette fois, au travers de la récolte de signatures, de la mobilisation pour le référendum, des personnes ont pris conscience qu’il était possible de faire quelque chose et d’arriver à faire quelque chose. Ces 14'774 signatures démontrent le résultat d’une action.» Un syndicaliste d’Unia indiquait pour sa part que des vendeuses ne disposant pas du droit de vote se sont «engagées en masse pour faire signer». Ce qui, à sa façon, démontre la possibilité de faire appliquer, au travers d’une action directe des salarié·e·s sur le lieu de travail – action appuyée par des syndicats – de réelles et concrètes mesures d’accompagnement pour toutes et tous (Suisses, immigré·e·s ou frontaliers) face au dumping salarial et social inscrit dans la mécanique des bilatérales.

Sous le mode d’ordre: «les vendeuses et les vendeurs ont aussi une vie de famille», la campagne référendaire a commencé en pleine période de vacances d’été. C’est la dégradation des conditions de travail du personnel, la multiplication des temps partiels imposée à la place de la création d’emplois, l’absence de garanties pour les mères de famille de pouvoir quitter leur travail à des heures décentes et le fait qu’il n’y ait aucune amélioration salariale prévue qui ont été au centre de la mobilisation et de son écho parmi les vendeuses et bien au-delà.

La thématique n’est pas nouvelle. Depuis plus d’une décennie, le patronat et les partis de droite mènent leur offensive contre les salarié·e·s à travers la flexibilisation et la précarisation des conditions de travail. La révision quasi permanente de la loi sur le travail et des horaires d’ouverture des magasins sont l’expression de cette offensive systématique. Chaque canton en Suisse a son propre objet de votation sur ce thème.

La votation qui aura lieu le 28 novembre dans le canton de Genève est l’objet de débats importants, des débats portant sur le travail, ses conditions et la «vie de la société». Les grands groupes de distribution sont à la tête de la campagne pour la modification de la LHOM. La Fédération des entreprises romandes (FER), par la voix d’Isabelle Fatton, indique qu’elle va mener campagne contre le référendum pour «normaliser» la situation à Genève. Pour l’heure, les petits commerçants – bien que conscients qu’une extension des horaires répond d’abord aux intérêts des grands établissements – ont hésité. Du moins, le comité de la Fédération des artisans commerçants s’est montré favorable à la modification de la LHOM. Néanmoins, un débat doit avoir lieu dans cette organisation, car les oppositions à la prise de position du Comité sont nombreuses. D’ailleurs, de nombreux petits commerçants ont permis à «leurs» vendeuses de récolter des signatures pour le référendum.

Le besoin social d'une ouverture prolongée des magasins n'est pas «prouvé». Actuellement, les commerces ont l'autorisation d'ouvrir jusqu'à 21h00 le jeudi. Cette possibilité qui leur est offerte n'est que très peu utilisée. La nouvelle loi pourrait aussi tuer le petit commerce. Une étude du Département de l’économie montre que 78% des commerçants du centre-ville y sont opposés.

Le succès du référendum semble montrer qu’une partie importante de la population a compris que ce projet d'extension des horaires des magasins ne répondait à aucun besoin des consommateurs. Les gens avec qui l’on discutait lors de la récolte de signatures craignent qu'une telle brèche n’entraîne une généralisation du travail le soir dans d’autres secteurs.

Les membres du MPS (Mouvement pour le socialisme) qui ont participé à la récolte de signatures peuvent résumer de la sorte un sentiment assez largement répandu: «Beaucoup de personne perçoivent que l’enjeu se décline ainsi: plus de profit pour les grands distributeurs – qui cherchent de nouveaux créneaux rentables, par exemple dans la restauration rapide – tout en péjorant les conditions de vie des salarié·e·s, ce qui s’inscrit dans une tendance générale où horaires atypiques et intensité du travail restructurent le travail quotidien.»

Ces remarques débouchent d’ailleurs sur un problème plus général: comment répondre à la relation entre les horaires atypiques introduits dans de nombreux secteurs et la possibilité pour ces salarié·e·s de pouvoir avoir accès à des soins dentaires et médicaux ou encore de disposer de la possibilité de faire des courses durant leurs heures de travail; cela sans craindre soit de perdre leur emploi, soit d’être sanctionnés au plan salarial. Ce qui est une réalité actuellement. Voilà, un autre sujet de débat et d’action. Il renvoie, sur le fond, à la diffusion du pouvoir patronal en dehors de l’enceinte même du travail, donc dans le cercle plus large de la reproduction de la force de travail.

Pour gagner le 28 novembre 2010 – lors du vote –, il y a certes encore du chemin à parcourir. Avec un budget modeste, mais un bon réseau de militant·e·s de la branche, de syndicalistes, de partis et de différents mouvements réunis au sein du comité de soutien, c’est possible.

L’orientation du comité consiste à créer des réseaux composés de personnes actives dans les domaines de la petite enfance, de l’enseignement, du monde médical, des églises, etc. pour essayer, tous ensemble, de donner une plus large visibilité à la campagne.

(14 août 2010)