Racisme

Une histoire méconnue et ostracisée

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«Nous les gitans, nous sommes poussés vers la marginalité»

Entretien avec Bruno Gonçalves *

Bruno Gonçalves est beaucoup de choses à la fois: il est médiateur municipal à Coimbra, au centre du Portugal, dirigeant de SOS-Racisme, auteur d’un livre sur l’intégration et militant infatigable des droits humains, mais tout cela «sans jamais cesser d’être gitan».

De plus, il a annoncé au journaliste d’Inter Press Service (IPS) qu’en septembre 2011 il entreprendra une nouvelle activité, puisqu’à 35 ans, après avoir fait l’effort de conclure ses études secondaires, il entrera à l’université afin d’y étudier la sociologie.

Résidant à Coimbra, à 190 km au nord de Lisbonne, Gonçalves est l’un des 15 médiateurs municipaux, dans un projet du Haut-Commissariat pour l’Intégration et le Dialogue Interculturel destiné à combattre l’exclusion sociale des 50'000 Gitans qui font partie des 10,6 millions de Portugais.

La discrimination à l’égard de ce peuple originaire d’Inde a débuté au moment même où il a commencé à quitter son territoire d’origine par grands flux migratoires entre le IIIe et le XVe siècle. Ce groupe ethnique s’auto-dénommait «dom», un mot de la langue romani dérivée du sanscrit, qui signifie «homme» et dont l’évolution phonétique a donné naissance au mot «rom». Au cours des siècles, son chemin vers l’Europe l’a conduit à travers la Perse, l’Arménie et l’Egypte. Dès leur arrivée en 1322, on a affublé ces personnes de nombreux noms dérivés de leur passage par l’Egypte, et c’est de l’ethnonyme «égyptien» que dérivent les mots «gypsy», «cigano», «gitano», «zíngaro» ou «tsigane».

Au Portugal, la première source littéraire faisant mention des Gitans, appelés «calé», date de 1510. En 1647, le roi João IV a ordonné la déportation de milliers de Gitans vers les colonies d’alors qu’étaient le Brésil, le Cap-Vert, l’Angola et l’Inde portugaise.

Inter Press Service: Est-il important que l’histoire de votre peuple soit connue par les Portugais non gitans ?

Bruno Gonçalves: Une meilleure connaissance de notre histoire et de notre culture pourrait contribuer à générer de nouvelles dynamiques entre les Gitans et les non-Gitans, avec des liens mutuels de respect et d’estime, ce qui serait une manière de combattre les idées préconçues et les stéréotypes qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.

En effet, le Portugal a beaucoup de travail devant lui, spécialement dans le domaine de la formation à donner aux Gitans afin que ceux-ci puissent acquérir les compétences leur permettant de réaliser le plein exercice de la citoyenneté et de trouver un emploi leur permettant de toucher un salaire toute l’année.

Une tâche qui fait partie de vos fonctions en tant que médiateur. Quelle expérience avez-vous faite dans cette fonction ?

Ce fut très compliqué. Comme médiateur, j’ai ressenti de la frustration à envoyer beaucoup de Portugais gitans s’inscrire pour un emploi – et c’est vrai, on leur permet de postuler –, quand bien même je sais que lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail privé, les portes se ferment parce qu’ils sont gitans.

Sans nous donner de possibilité d’emploi, ne nous pousse-t-on pas vers la marginalité ?

Malgré le fait que la discrimination soit expressément interdite dans la Constitution…

Oui, c’est sûr, mais il s’agit d’un racisme subtil, contre lequel il est très difficile de porter plainte. Certes, notre Constitution ne permet pas d’avoir des citoyens de seconde zone, mais il est très improbable de prouver qu’une discrimination est commise. Il n’est pas facile d’éradiquer les idées négatives des personnes à l’égard des Gitans et l’expérience m’indique que c’est une tâche immense que de changer ces mentalités.

En termes comparatifs, comment qualifier la situation des Gitans au Portugal et dans les autres pays européens ?

En comparant avec certains pays comme l’Italie, la France ou la Hongrie, pays où l’extrême droite va jusqu’à tuer des Gitans, ici nous sommes un peu comme dans un «petit coin de paradis».

Mais de manière subtile, le racisme chez nous est fort. La violence verbale, le racisme direct, qui sont pratiqués particulièrement en Hongrie et en Italie, n’a pas tellement lieu au Portugal, mais le racisme subtil fait parfois plus mal que le racisme direct. Pour louer un logement, j’ai des difficultés en raison de mon aspect physique, ce qui ne se produit pas avec ma femme qui n’a pas les traits gitans.

Comment voyez-vous les généralisations dont sont victimes les Gitans ?

On exacerbe encore les stéréotypes en nous mettant systématiquement tous dans le même sac. Si un Gitan a un comportement erroné, cela ne devrait pas être considéré comme une attitude collective, ce qui est fait massivement dans la société portugaise.

Quelque chose qui se produit aussi avec les Africains…

Oui, mais avec les Gitans c’est différent. Malgré tout ce que l’on dit sur le fait que «les Gitans ne se sont pas intégrés», durant cinq siècles au Portugal, ils se sont adaptés à tout. Une autre chose très différence est le fait que nous Gitans, nous insistons pour ne pas perdre notre identité.

En revanche, quand les Africains lusophones s’installent ici, s’ils ne sont pas déjà assimilés, ils se laissent assimiler, ils ont des comportements plus en accord avec la société et pour cette raison, ils sont bien mieux acceptés que nous.

Le langage utilisé par les médias semble ne pas contribuer au combat pour éradiquer la stigmatisation dont les Gitans font l’objet.

En effet, cela nous aiderait si un plus grand nombre de journalistes portugais remplissaient leur devoir et respectaient la Loi sur la Presse, qui dans son article VIII signale que l’on ne peut mentionner la race et la nationalité. Mais ils continuent à le faire et si l’instance qui est censée réguler la communication sociale faisait son travail, alors beaucoup de gens auraient déjà été déférés en justice.

Ce que beaucoup de journalistes contribuent à faire par leurs généralisations, c’est rendre encore plus hauts les murs de l’intolérance.

Dans le séminaire «Inclusion sociale des Gitans au Portugal et dans l’UE», le 25 février 2011, trois catégories de «calés» ont été mentionnées: les totalement intégrés, les relativement intégrés et ceux qui se trouvent loin de l’intégration. Etes-vous d’accord avec cette division ?

Je suis d’accord sur le fait qu’il existe des Gitans qui ont conquis leur intégration, mais souvent à travers le pouvoir économique. Aujourd’hui, celui qui a de l’argent a tout. Mais ces cas sont très rares, un grain de sable dans une dune immense.

Cependant, dans un plein exercice de citoyenneté, il ne convient pas qu’une personne gitane doive conquérir quelque chose, il convient que la société donne, et qu’elle nous le donne effectivement, non avec ce type d’hypocrisies.

Travailler pour les Gitans est une chose, travailler avec les Gitans en est une autre. Moi je veux travailler avec des non-Gitans et avec des Gitans. Souvent on dit «Nous avons les médiateurs», mais nous les médiateurs, nous sommes souvent des instruments manipulés.

Par vos collègues de travail ?

On prononce toutes sortes de beaux mots, mais sur le terrain ce n’est pas comme cela. La réalité est autre. Quand ils disent qu’ils nous considèrent comme égaux et comme collègues de travail, ce n’est pas vraiment cela. Nous sommes toujours considérés comme des Gitans sous tous les aspects. Et moi en vérité, sous tous les aspects, je suis le Portugais Bruno Gonçalves, médiateur, et je n’en suis pas moins gitan. (Traduction A l’encontre)

* Entretien conduit par Mario Queiroz pour IPS (Inter Press Service).

(12 mars 2011)

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