France

 

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Regrouper, construire, élargir le mouvement vers la grève générale

Laurent Delage *

Malgré le vote de la loi au parlement, la journée de grève et de manifestations du 23 septembre a confirmé la profondeur du mouvement contre la réforme Woerth-Sarkozy: 3 millions de manifestants dans 232 villes. Le mouvement se renforce même au niveau du nombre de cortèges, puisqu’il y en avait 220 le 7 septembre. S’il y a eu un petit peu moins de grévistes dans le public, les cortèges témoignaient d’une présence plus forte du privé, mais aussi de jeunes, avec des mots d’ordre plus combatifs sur l’exigence du retrait de la loi ou sur la grève générale.

Ce succès, face au pouvoir qui comptait bien avoir entamé la combativité du monde du travail après la mascarade parlementaire du 15 septembre, vient renforcer le mouvement et lui donne confiance pour la suite.

La politisation s’approfondit face au gouvernement, sur les objectifs de la lutte, les voies et les moyens pour lui imposer une réelle défaite. A la SNCF, à Total, dans la Chimie, des équipes militantes ont pris des initiatives pour reconduire la grève, appelant à bloquer le pays pour faire céder ce gouvernement illégitime des riches par les riches. La question de la reconductible est maintenant posée, se discute plus largement parmi les équipes militantes, les AG, d’autant que le gouvernement durcit sa position.

Sarkozy veut l’affrontement… mais est déjà dépassé par le mouvement

Sarkozy avait tenté de reprendre la main, profitant de l’absence d’initiative sérieuse de l’intersyndicale au moment du passage de la loi à l’Assemblée nationale. Le 23 septembre, il lui fallait un reflux des manifestants pour marquer l’essai… ce que le gouvernement s’est empressé d’annoncer avant même que les manifestations ne se soient déroulées ! Woerth y est allé de son refrain sur la «décélération» du mouvement et Chatel en a même rajouté: «En première analyse, cela signifie que soit les Français considèrent que tout cela est déjà derrière eux, soit qu'ils adhèrent davantage au projet de réforme des retraites, soit les deux». Par cette provocation grossière, Sarkozy veut affirmer qu’il ne bougera pas, qu’il est prêt à l’affrontement.

Devant les parlementaires UMP, Fillon a lui aussi donné le ton en déclarant: «Il faut répondre calmement à la rue (…), mais gouverner la France c'est aussi parfois savoir dire non. Non (…), nous ne retirerons pas ce projet de réforme car il est nécessaire et il est raisonnable». Quant aux parlementaires tentés de se démarquer un minimum pour sauver leur place, l’heure est à serrer les rangs: «Personne, parmi nous, ne doit céder et ne cédera à cette nervosité ambiante. Personne ne doit dissocier son avenir personnel de notre sort commun»… tant les ambitions et les rivalités des uns et des autres continuent d’alimenter la crise de la droite.

Continuant son offensive, le gouvernement vient même d’annoncer un plan de 2,5 milliards d’économies sur la branche maladie de la Sécurité sociale avec notamment le passage à 30 % au lieu de 35 % du remboursement des médicaments dont le service médical rendu est arbitrairement jugé insuffisant, sans parler des économies sur le dos des malades victimes d’affection longue durée. Et il s’agit là d’une première étape, comme le dit un parlementaire UMP, après les retraites «l'assurance-maladie devra être notre nouveau chantier» !

Mais loin de l’affaiblir, cette politique renforce la révolte contre le gouvernement et la conscience qu’il faut imposer dans la rue et dans les luttes un vrai rapport de force. Sarkozy pensait avoir paralysé les manifestants par sa politique du «dialogue social» vis-à-vis des directions syndicales. Mais maintenant qu’il veut l’affrontement pour imposer sa contre-réforme, le voilà déjà dépassé par la profondeur du mouvement… et les chiffres truqués du nombre de manifestants ne font que renforcer encore la détermination de ceux qui veulent se battre. L’affrontement est à un tel niveau qu’il lui échappe.

Le mouvement se renforce et se politise

D’une certaine manière, il échappe aussi aux directions des grandes confédérations syndicales qui refusent cet affrontement qu’il serait possible de gagner alors que le pouvoir est en position de fragilité.

Juste avant le 23 septembre, Grignard de la CFDT donnait le ton en prédisant «Les manifestations devraient être d'un bon niveau. Mais les taux de grévistes pourraient baisser, car les grèves à répétition coûtent cher aux salariés». Chérèque, quant à lui, combattait une radicalisation de la lutte en déclarant «ceux qui veulent radicaliser le mouvement, appeler à la grève générale, souvent veulent rentrer dans une démarche politique, d'opposition globale avec le gouvernement. Or la force de ce mouvement, c'est qu'il n'est pas politique mais social. On a une force tranquille, utilisons cette force». Pas politique la direction de la CFDT, elle qui a repris des liens étroits avec le PS et Terra Nova pour préparer une future réforme des retraites intégrant l’augmentation des annuités en fonction de «l’espérance de vie» ?

Thibault, tenant à tout prix à maintenir un front avec la CFDT, prévient le gouvernement que s’il continue… il y aura une «crise de grande ampleur», alors qu’il s’agit d’affirmer toute la légitimité de construire le rapport de force face au pouvoir du fric, c’est-à-dire appeler à construire un mouvement d’ensemble, une grève générale capable de les faire céder.

Cette politique se retrouve au niveau de l’intersyndicale qui se refuse toujours, dans son dernier communiqué (non signé par Solidaires et FO), à appeler au retrait de la loi en réclamant un «véritable débat» et qui appelle à renforcer le mouvement «au cas où les parlementaires ne prendraient pas en compte ce qui s’est exprimé dans l’action»… comme si le gouvernement n’avait pas répondu aux manifestants.

Les directions des grandes confédérations syndicales pensent ainsi accompagner, tout en épuisant le mouvement, en restant dans le flou et les ambiguïtés sur les buts et en refusant l’affrontement alors que le pouvoir dit clairement ses intentions. Mais le mouvement s’est renforcé. En fixant les dates des prochaines mobilisations, elles lui donnent des rendez-vous qu’il utilise comme autant de moyens pour se construire.

Ce mouvement n’est pas un raz-de-marée mais une lame de fond qu’il faut, de l’intérieur, organiser, armer politiquement. Une lame de fond qui, probablement, est bien loin d’avoir atteint ses limites…

Avoir une politique pour construire le mouvement à la base

Le débat sur la grève reconductible s’élargit. Les initiatives de Solidaires à la SNCF comme ses prises de position sur le retrait et l’affrontement central face à Sarkozy entraînent des militants d’autres syndicats à faire pression sur leur propre direction. Dans la CGT, l’argument de l’unité syndicale pour masquer les reculades tient de moins en moins, d’autant que Chérèque prend lui de plus en plus d’assurance pour formuler sa politique d’amendements à la marge de la loi.

Un appel intersyndical pour la grève générale circule, appelant à faire le bilan des manifestations de 2009: «ne recommençons pas la même chose en 2010. Mars, mai, juin, septembre, nous étions des millions dans la rue; cela crée un rapport de force, mais il faut maintenant l’utiliser, assumer l’affrontement social… c’est ce qui nous permettra de gagner».

A partir des deux dates du 2 octobre et du 12 octobre, des initiatives se prennent pour construire la grève reconductible. Après la fédération de la Chimie, plusieurs Unions départementales CGT appellent à prendre des initiatives pour la construire dans la foulée du 2 octobre. Des équipes militantes s’emparent ainsi de ces deux dates, en comptant sur l’effet dynamique d’une manifestation plus large le samedi avec la présence des secteurs où la grève est plus difficile, pour construire la reconduction de la grève à une échelle plus large le 12 octobre. Dans cette situation, il s’agit de renforcer les équipes militantes, les collectifs démocratiques pour la lutte, en donnant confiance dans les possibilités du mouvement, en regroupant à la base ceux qui veulent préparer la grève générale. Cette tâche signifie défendre une politique permettant au mouvement de gagner son indépendance face à tous ceux qui voudraient le contenir dans le «dialogue social» ou les cadres institutionnels. Oui, il faut faire de la politique, car la question des retraites pose le problème de la lutte face au pouvoir. Mais pas la politique de ceux qui voudraient l’enfermer dans l’impasse des institutions via un référendum ou l’alternance de 2012. Le PS de DSK (Dominique Strauss-Kahn), patron du FMI – qui justifie la politique de Sarkozy sur les retraites – continuera la même politique au service des classes dominantes, comme en Espagne, en Grèce ou au Portugal.

Pour reconduire la grève, il faut penser que l'on peut gagner face à Sarkozy par les méthodes de la lutte de classe. Cela signifie être prêt à aller au bout de l'affrontement, assumer la crise politique que cela entraînera inévitablement. C'est ce que craignent les directions des grandes confédérations syndicales, moulées dans le jeu institutionnel du «dialogue social» et intéressées à la défense de leurs propres intérêts d'appareil.

Vouloir imposer le retrait du projet de loi sur les retraites implique de donner toute sa dimension politique à la lutte, à la perspective de la grève générale, celle d’un affrontement avec le pouvoir pour faire valoir les droits des travailleurs contre ceux de l’oligarchie financière.

* Laurent Delage est un des animateurs du bulletin Débat révolutionnaire, courant dans le NPA

(2 octobre 2010).

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