Cuba

 

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Le démarrage du travail privé

Patricia Grogg *

La diffusion de l'annonce officielle concernant le régime fiscal qui sera appliqué au travail privé à Cuba a donné le signal de départ à l'une des alternatives soumises par le gouvernement de Raul Castro, avec une réforme qui prévoit de supprimer un demi-million de postes liés à l'Etat. Cet article est suivi (ci-après) de deux contributions de Gerardo Arreola, correspondant à La Havane du quotidien mexicain La Jornada (Réd).

Plusieurs décisions publiées dans deux éditions extraordinaires spéciales de la Gazette Officielle ce lundi 25 octobre 2010 ont mis noir sur blanc les règles du jeu, aussi bien en ce qui concerne la réorganisation du travail que pour ce qui a trait à l'accès facilité au travail indépendant.

Le vendeur d'un des petits kiosques de journaux d'Etat [les seuls journaux qui existent] qui ont diffusé ces publications partout dans le pays a raconté à la correspondante d'IPS: «Ils m'ont apporté 100 exemplaires, qui se sont vendus en moins d'une demi-heure. Ils m'ont presque rendu fou».

Les gens s'intéressent surtout aux impôts qu'il faudra payer pour exercer une des 178 professions (activités) qui pourront être exercées de manière indépendante. Plusieurs types d’impôts sont mis en place; et ils pourront atteindre 25% à 50% du revenu annuel total, impôts qui sont prélevés sur les revenus personnels d’un indépendant. [Le 50% concerne un indépendant qui emploie un salarié, qui lui aussi devra payer un impôt à hauteur de 25% de son revenu; ce qui va, certainement, créé un système d’économie souterraine sous une autre forme que celle qui existe déjà. Réd.]

Une femme d'âge moyen a expliqué: «J'aimerais ouvrir dans ma maison un local pour vendre des jus de fruits et de la petite alimentation, mais si en plus de payer la licence, l'impôt sur les ventes (10%) et je ne sais quoi encore je dois acheter ce qu'il faut pour faire fonctionner le magasin à des prix de «chopin» (magasin où l'on paye avec des devises) je n'en vois pas l'avantage».

Outre le fait d'élargir le domaine des emplois indépendants, où, d'après des chiffres de 2009, plus de 140'000 personnes travaillent déjà, la législation permettra d'engager du personnel et de louer des logements entiers, y compris à des citoyens de l'île dont la résidence légale est à l'étranger. Mais elle fixe également plusieurs types d’impôts.

Outre les impôts sur les revenus personnels, il y a des taxes de 10% sur la valeur totale (chiffres d’affaires) des ventes de biens. Lorsqu'on engagera de la force de travail, le fisc encaissera 25% du salaire de l'employé. A cela s'ajouteront encore des contributions pour la sécurité sociale.

Les personnes qui travaillent pour leur propre compte depuis les années 1990 sont inquiètes, car elles voient cela comme une augmentation des impôts pour leur secteur. D'autres personnes qui ont exercé différentes professions, sans licence officielle, pourraient se voir infliger de fortes amendes en argent liquide si elles ne s'inscrivent pas dans les entités d'Etat prévues à cet effet.

Une résidente de la municipalité de Playa, à La Havane, a expliqué à IPS: «Pour louer une chambre, je dois verser 331 pesos convertibles (quelque 375 dollars) pour la licence et d'autres impôts qui s'y sont ajoutés peu à peu. Je paie évidemment aussi des impôts annuels sur les revenus personnels. (…) Maintenant il faudra que j'étudie attentivement ce document et que j'attende la réunion que nous aurons certainement avec les autorités du Logement pour savoir ce qui nous attend».

Or, malgré le fait qu'il soit soumis à des règlements contraignants, ce secteur, avec celui des petits restaurants privés, est considéré comme le secteur «florissant» du travail indépendant.

Les impôts devront être payés en pesos cubains, et pour les travailleurs indépendants avec des transactions en pesos convertibles (cuc), la devise librement convertible qui circule à échelle nationale, on appliquera le taux de change en vigueur dans les maisons de change de l'Etat. Le cuc y équivaut à 24 pesos.

Des estimations préliminaires effectuées par le groupe d'études sur la fiscalité indiquent que l'entrée de quelque 250'000 personnes dans ce qu'on appelle «cuentapropismo» (emploi à propre compte ou indépendant) à Cuba représenterait pour l'Etat un revenu annuel équivalent à 45 millions de dollars.

Le calcul aurait pris en compte les 80'000 à 100'000 permis qui ont été sollicités, mais refusés au cours de ces dernières années. Mais certains analystes sont plus prudents et considèrent que l'impact sera plus modeste, surtout au début, à cause de la situation économique intérieure déprimée.

Les résolutions régulent également la gestion du travail et des salaires applicables aux travailleurs qui perdront leur emploi suite à la réduction des postes de travail dans le secteur étatique. Selon les nouvelles normes, ces personnes pourront soit être transférées dans d'autres entreprises, soit devenir des indépendants, soit recevoir de la terre en usufruit [avec peu de possibilités de pouvoir les mettre en valeur étant donné le manque d’appui technique, entre autres; il faut savoir que les surfaces non-cultivées n’ont cessé d’augmenter].

Elles mentionnent également «d'autres formes d'emploi dans le secteur de l'Etat», dont les caractéristiques ne sont pas spécifiées. Il n'est pas non plus exclu que le travailleur sans emploi gère lui-même son engagement dans une autre entreprise ou activité.

Le gouvernement a déclaré que le «réajustement du travail» répond à la nécessité d'augmenter l'efficacité et la productivité du travail, élément qu'il considère comme indispensable pour augmenter les salaires et «soutenir les énormes dépenses sociales» de son système socialiste qui comprend notamment la prestation gratuite et universelle des services de santé et de l'éducation [dont la qualité décline, selon les analyses officielles. Réd.].

On espère également arriver à ce qu'au moins 80% du personnel soit lié directement à la production, aux services ou à toute autre activité considérée comme fondamentale pour le développement de ce pays insulaire de la Caraïbe, avec ses 11,2 millions d'habitants. (Traduction A l’Encontre)

* Correspondante à Cuba d’Inter Press Service, La Havane, 26.10.2010

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Retirer des subsides à la population.
Pièce maîtresse de la réforme économique actuelle

Gerardo Arreola *

Une nouvelle hausse des prix à Cuba renchérira l'électricité pour les particuliers qui consomment le plus. Les autorités annoncent que les hausses du prix de l'électricité pourront atteindre entre 15 et 284%. (Réd.)

La Havane. La deuxième hausse des tarifs des services publics en un mois va rendre plus cher la distribution de l'électricité pour les plus grands consommateurs particuliers, qui, selon une annonce officielle diffusée ce jour (29 octobre 2010), devront affronter, à partir de novembre 2010, des augmentations des prix entre 15 et 285%.

La suppression de subsides à la population est une des pièces maîtresses de la réforme économique en cours, ajoutée à la réduction massive de postes de travail dans le secteur étatique, l'augmentation des impôts et l'ouverture d'alternatives pour le travail indépendant et la micro-entreprise.

Il y a un mois est intervenue une augmentation du prix des combustibles atteignant entre 14 et 18%. L'essence de première qualité coûte maintenant 1.72 dollars le litre et le diesel 1.24 dollars. Dans les deux cas, les annonces officielles ont attribué l'augmentation à la hausse des prix du pétrole à échelle internationale.

Les combustibles sont vendus au public en pesos convertibles (CUC, un CUC équivalant à 1.24 dollars), par contre la consommation des véhicules officiels est subventionnée. L'augmentation du prix de l'électricité s'applique aux tarifs résidentiels, qui sont couverts en pesos cubains (CUP, équivalant à 25 unités pour un CUC).

D'après l'Office Nationale de Statistiques (ONE), le salaire moyen à Cuba en 2009 était de 429 CUP. Avec les nouveaux tarifs, un tel revenu ne suffirait pas à payer plus de 300 kilowatts par heure (Kw/h) par mois, car une facture de 301 kW/h serait maintenant de 451 CUP.

La précédente augmentation des tarifs de l'électricité a eu lieu en 2005, avec l'établissement d'une échelle de prix qui augmente à mesure qu'augmente la consommation. La nouvelle tabelle est plus étendue, car elle fixe de nouvelles catégories depuis les 300 kW/h jusqu'à plus de 5000 Kw/h.

L'Union Electrique d'Etat qui fournit l'électricité a expliqué qu'avec les nouveaux tarifs seule une partie des subsides versés à ce secteur se trouvera diminuée, et que l'augmentation, qui ne touchera que ceux qui consomment plus de 300 kW/h, affectera le 5.6% des clients particuliers qui consomme 14.4% de l'électricité.

D'après l'Office Nationale de Statistiques, Cuba a réduit l'année dernière sa production de pétrole de 9% par rapport à 2008, passant de quelque 60'000 barils par jour à quelque 54'600, alors que la consommation de pétrole brut et de dérivés a diminué de 2.7% pendant la même période, pour atteindre quelque 142'110 barils par jour.

Selon son rapport de gestion de 2009 Petroleos de Venezuela a vendu à Cuba 103'000 barils de pétrole brut par jour, un peu plus que les 98'000 de 2008, mais a réduit presque de moitié la livraison de dérivés (9'000 barils par jour contre 17'000 pendant la période précédente).

Le total du combustible vénézuélien envoyé à Cuba a été réduit de 115'000 barils par jour en 2008 à 112'000 l'année suivante. Une partie de ce flux est utilisé dans la raffinerie que les deux pays opèrent dans le port de Cienfuegos.

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La réforme économique entre en vigueur:
adieu à l'assurance-chômage

Gerardo Arreola *

Le Ministère du Travail émet un décret pour procéder au licenciement d'un demi-million de personnes (Réd.)

La Havane. La réforme économique est entrée en vigueur officiellement aujourd'hui, avec la publication dans la Gazette Officielle du paquet légal qui, entre autres dispositions, marque la fin de presque cinq décennies durant lesquelles l'Etat cubain a garanti à tous les travailleurs et travailleuses un poste de travail ou une assurance-chômage d'une durée qui pouvait être indéterminée.

Selon l'arrêté, les indépendants et les micro-entrepreneurs paieront un impôt sur le revenu pouvant atteindre 50% pour les revenus les plus élevés de l'échelle. La redevance de base pour le loyer d'un logement sera de 150 pesos convertibles (CUC) par mois, si le loueur travaille avec cette monnaie, qui équivaut à 1.24 dollars. [Sur le taux de change du CUC existent des fluctuations, sans mentionner le taux du marché noir. Réd.]

Il sera permis de louer la totalité d'un logement à des Cubains qui résident dans le pays, mais les restrictions émises en 1997 et qui empêchent les habitants de la province de s'établir librement dans la ville de La Havane et les oblige à obtenir plusieurs permis officiels s'ils veulent le faire, restent en vigueur.

Les particuliers pourront également louer des parties de leur logement, comme les garages, les patios ou les piscines, y compris pour servir à la mise en marche d'affaires privées, mais ils ne pourront pas le faire en ce qui concerne le personnel étranger qui travaille temporairement dans le pays.

Un décret-loi du Conseil d'Etat qui régule l'exercice des entreprises les plus efficaces, précise que ce sera à chaque unité [du secteur étatique], selon sa technologie, de concevoir sa structure et son organisation, «en redimensionnant les processus qui n'atteindront pas les niveaux de rentabilité prévus, ainsi que tous ceux qui auront perdu leur compétitivité».

Cette disposition existait déjà il y a trois ans, mais ce décret-loi a supprimé le paragraphe suivant: «Lorsque ce processus entraînera la perte d'emploi de travailleurs, personne ne sera abandonné à son sort. L'Etat, par la voie du budget, assurera les garanties salariales qui lui reviennent. L'entreprise est la principale responsable de la gestion de nouvelles alternatives d'emploi ou de formation pour ces travailleurs».

En lieu et place de ce paragraphe, le texte modifié précise ce qui suit: «Lorsque ce processus entraînera la perte d'emploi de travailleurs, la législation en vigueur s'appliquera à ces cas».

Dans le même paquet légal, le Ministère du Travail a émis un règlement pour procéder à des licenciements de masse. Selon le gouvernement, ceux-ci toucheront plus d'un demi-million d'employés entre octobre 2010 et mars 2011 [le chiffre de 1 million circule parmi les économistes. Réd.]

Le règlement prévoit des offres de mutation ou des «plans sociaux» pour les licenciés. Le critère pour conserver un emploi sera la productivité. Les sans-emploi recevront une compensation qui atteindra au maximum 60% du salaire pendant cinq mois pour ceux qui avaient plus de 30 ans de service.

Cette prime de départ sera moindre pour ceux ayant moins d'ancienneté. La nouvelle formule élimine la pratique antérieure qui consistait à prolonger indéfiniment la couverture de chômage. Si celui qui perdu son emploi refuse la proposition de mutation de l'entreprise, cela met un terme aux relations de travail. (Traduction A l’Encontre)

* Correspondant à Cuba du quotidien mexicain La Jornada, 26.10.2010

(5 novembre 2010)

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