Brésil

 

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Des questions pour le MST

Antonio Julio de Menezes Neto *

Le MST (le Mouvement des sans-terre) continue à être le principal mouvement social brésilien. Il lutte la tête haute contre les puissants et il est favorable au socialisme dans notre pays. Il a poursuivi – voire accentué – sa politique d'occupation de terres et d'espaces publics urbains. Il est une référence pour la gauche au niveau mondial. Et, pourtant, il est en train de perdre en visibilité politique. Pourquoi ? Je pense que nous pouvons apporter quelques éléments à cette discussion.

Dans les années 1990, c’est-à-dire pendant la période où au Brésil le courant socialiste a vécu sa crise la plus importante et où le néolibéralisme s'est consolidé, pratiquement tous les mouvements sociaux et politiques des travailleurs ont connu un recul. Dans ce contexte, c'est le MST qui, «contre tout et tous», a réussi à s'affirmer en tant qu’opposition au capitalisme sous sa forme néolibérale d'alors. Contrairement aux autres mouvements, il n'a pas cédé au pragmatisme et au découragement généralisé de cette période. Il est allé se battre et a affronté les latifundistes, les acteurs de l'agronégoce, les médias et le néolibéralisme du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso [président du 1er janvier 1995 au 1er janvier 2003].

Cependant, avec l'arrivée du gouvernement du Parti des Travailleurs – PT de Lula –, le MST a modifié sa manière d'intervenir. Il continue à affronter l'agronégoce en fondant à juste titre ses actions sur une lutte de classes. Mais il a commencé à considérer le nouveau gouvernement comme étant «en dispute» [formule utilisée pour indiquer qu’il y aurait eu au sein du gouvernement Lula des contradictions significatives]. Il tend ainsi à «disputer» [à agir comme élément de pression sur les dites contradictions internes] le nouveau gouvernement, y compris lorsque celui-ci se montre lié de manière hégémonique au capitalisme et à l'agronégoce. Ainsi, au lieu d'être compris comme étant un instrument de la classe dominante, le gouvernement est vu comme ayant des aspects contradictoires, comportant des secteurs de droite et de «gauche». Dans cette optique, le MST estime que le gouvernement devrait être «disputé» plutôt que critiqué, du moins publiquement. Si le gouvernement s'oriente vers la droite, c'est la «faute» aux mouvements de gauche qui n'ont pas suffisamment ferraillé «pour le pouvoir».

Dans la mesure où le MST n’engage plus de conflits avec le «gérant du capitalisme», c’est-à-dire avec le gouvernement fédéral de Lula, et qu'il sous-estime le rôle du nouveau gouvernement dans la lutte de classes lorsqu'il est favorable à l'agronégoce et à la droite, le MST perd en visibilité. Il dépend ainsi des politiques publiques et défend – apparemment – le gouvernement qui génère ces politiques. Une partie de la grande presse commence à mettre en avant non plus la lutte de classes qui sous-tend les actions du MST, mais plutôt le lien qui l'unit au gouvernement fédéral, présentation qui permet de plus de critiquer, depuis la droite de l’agrobusiness, le gouvernement Lula.

Les actions politiques du MST deviennent ambiguës. Le MST s'abstient de critiquer le gouvernement Lula pour ne pas s'éloigner de la base, à cause de la popularité de Lula, et en arrive à appuyer le bipartisme. Autrement dit, il souscrit à l'idée que le fait de critiquer le gouvernement du PT reviendrait à renforcer le Parti social-démocrate du Brésil – PSDB [parti de l’ancien président Cardoso]. C'est ainsi que lors des élections [octobre 2010], par exemple, le MST ne soutient jamais les propositions des fronts de gauche, leur préférant le «moindre mal» que serait le PT.

En renonçant à critiquer le gouvernement, le MST finit par avoir une vision faussée du problème de la terre au Brésil. Il en vient même parfois à soutenir l'argument «contre» la réforme agraire qui a été utilisé durant la période de Fernando Henrique Cardoso. Ce dernier prétendait qu'au Brésil il n'y avait plus de terres disponibles pour la réforme agraire. Or, indirectement, le MST en arrive à ratifier cet argument lorsqu'il se met à combattre la loi des «indices de productivité» pour qu'une terre soit considérée comme improductive et passible de réforme agraire [les terres jugées en dessous d’un indice de productivité sont susceptibles, selon la loi, d’être «expropriées» contre paiement sous forme d’obligations dont le rendement est intéressant].

Mais les études du professeur Ariovaldo Umbelino, de l'Université de São Paulo, ont déjà démontré qu'une grande partie des terres de l'agronégoce appartient au gouvernement. Autrement dit, le gouvernement pourrait, sans modifier les «indices de productivité», reprendre les terres aux mains de l'agronégoce et réaliser une réforme agraire. Bien sûr, cela entraînerait d'énormes conflits, mais pourquoi un gouvernement de gauche craindrait-il les conflits ?

Je défends l'idée que la gauche doit – ou plutôt devrait – laisser de côté la position bipartidaire du moindre mal et se réorganiser pour la défense du socialisme. Même si elle est minoritaire, même si elle n'accède pas au gouvernement pour le moment, il faut qu'elle commence à délimiter son propre champ, marquant sa différence avec les «tucanos» (partisans du PSDB) et les partisans du PT et avancer dans la construction d'une société qui dépasse le capitalisme. (Traduction A l’Encontre)

* Antonio Julio de Menezes Neto est sociologue, docteur en Education et professeur à l'Université Fédérale de Minas Gerais. Cet article a été publié dans Correio da Cidadania.

(17 avril 2011)

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