Bolivie

Mineurs dans la ville de Potosi

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Potosi: la richesse minérale et l’extrême pauvreté

Pablo Stefanoni *

«Dignité» est le terme le plus entendu, hier, le 11 août 2010, lors de l’assemblée des organisations sociales et des «forces vives» qui paralysent et bloquent la ville de Potosi depuis 15 jours. Le conflit porte sur l’emplacement des «bornes» séparant les territoires miniers de Potosi et de Oruro – deux départements voisins – et sur la mise en place de nouveaux projets d’exploitation minière.

Le 11 août a été adoptée la décision de prendre de force la mine San Cristobal dans la région d’Uyuni (département de Potosi) où un méga-projet est en train d’être mis sur pied par la gigantesque transnationale japonaise Sumitomo. Elle veut extraire et transformer plus d’argent, de zinc et de plomb au moment où les prix mondiaux de ces minerais grimpent fortement. [Les transnationales Sumitomo, l’états-unienne Cœur d’Alene et Glencore – qui a son siège à Baar, canton de Zoug, en Suisse – sont aussi actives dans cette région, entre autres pour le minerai d’argent ; leurs opérations ont été interrompues durant quelques jours, à cause du mouvement de protestation.]

Le débat en assemblée porte sur les modalités permettant de maintenir la pression avant que la ville n’étouffe sous l’effet même de son encerclement qui bloque les routes. Le gouvernement d’Evo Morales affirme que les habitants de Potosi sont manipulés par des groupes de droite et que les tentatives de négociation ont échoué. [Voir sur l’analyse des divers mouvements complexes qui marquent la Bolivie l’article, mis sur ce site, en date du 15 mai 2010.]

La Bolivie connaît depuis un certain temps un important renouveau de l’activité minière, mais les habitants de Potosi dénoncent le fait que les résultats, les bénéfices de ce boom ne les atteignent pas.

A l’occasion d’une petite réunion avec ce journaliste [Pablo Stefanoni], tous se plaignent d’avoir été la vache à lait de la Bolivie grâce aux minerais de cette région. Et, aujourd’hui, d’être le département avec l’indice de développement humain le plus bas: plus de six sur dix habitants du département de Potosi – située au sud-est de la Bolivie – survivent dans la pauvreté extrême et le taux de mortalité infantile [enfants mourant au cours de leur première année de vie] atteint 101 pour 1000, selon un rapport du PNUD. Peu d’habitants croient que le lithium – la nouvelle ressource qui doit sauver la Bolivie – va les sauver, eux.

Les mines de lithium de Uyuni concentrent quelque 50% des réserves – connues actuellement – à l’échelle mondiale. Ce lithium est utilisé pour fabriquer des piles pour les téléphones mobiles. Il sera utilisé, dans le futur, pour les batteries des voitures électriques. Beaucoup de pays ont des vues sur le lithium bolivien.

Evo Morales va se rendre à la fin du mois d’août en Corée du Sud, où la firme – Korea Sources Corporation (KORES) – a mis au point un procédé technique pour transformer le lithium en vue de ses utilisations à venir.

«Nous vivons sans technologie, sans agro-industrie; nous labourons comme des bœufs ; nous n’avons pas d’aide» résume Marco Cuenca Pac, ex-dirigeant du ayllu [communauté quechua] Kasa, habillé de manière traditionnelle, avec un téléphone portable accroché au cou. Il fait partie d’un groupe d’indigènes qui est arrivé dans la ville de Potosi «pour renforcer les mesures de pression» sur le gouvernement.

Toutefois, la majorité des paysans reste attachée au gouvernement du MAS et la révolte de Potosi se manifeste plus dans la ville que dans les communautés paysannes. Le 10 août, au sud, à la frontière avec l’Argentine, les populations locales ne se sont pas ralliées aux blocages des routes.

«Nous vivons comme au temps de la colonie, nous avons du zinc, du cuivre, de l’uranium ; maintenant les Iraniens viennent, car ils veulent disposer de ce minerai pour leur bombe atomique», nous dit un chef d’un village qui se trouve à quelque 20 kilomètres de la capitale départementale Potosi. Nous extrayons «une pierre de type calcaire, mais c’est un riche bolivien, fils d’un ressortissant des Etats-Unis, qui en tire tous les profits». «La Bolivie nous doit quelque chose». «Cette protestation n’est pas d’ordre politique». «Ici Evo a obtenu le 70% des voix et aujourd’hui il nous oublie», répètent les manifestants.

Tous insistent sur le fait qu’ils viennent de communautés indigènes qui migrent et ne disposent pas de possibilités économiques. Beaucoup ont été en Argentine. [La migration de Bolivie vers l’Argentine est un processus en cours depuis de nombreuses années ; des Boliviennes travaillent dans des conditions d’hyper-exploitation dans le textile, entre autres, à Buenos-Aires.]

Mais, actuellement, c’est par centaines que des membres de ces communautés indigènes des régions du nord du département de Potosi arrivent dans les villes et leurs habits de couleur ocre, comme le paysage, comme la terre sèche qu’ils quittent pour une saison, change l’aspect des villes boliviennes.

D’autres paysans ont décidé de laisser tomber le narcotrafic et la contrebande. «Croyez-vous que le lithium peut vous aider ?», leur ai-je demandé. «S’ils le donnent aux transnationales, pas un centime va rester ici. Ce lithium est nôtre», répondent-ils unanimement. Et «nôtre», cela veut dire de la terre de Potosi, qui est nôtre.

Ici, la psychologie du pillage – depuis l’Espagne coloniale qui frappait sa monnaie avec l’or de Potosi – marque quasi toutes les pensées, les réflexions.

L’emblématique Cerro Rico [sommet – à plus de 4700 mètres – qui domine la ville de Potosi et qui est troué par des tunnels miniers], cette source d’argent sans limites est aujourd’hui est dévasté. Il risque de s’écrouler à cause d’une exploitation sans contrôle. Il synthétise cette sensation de crise au milieu du boom des minerais que nous pouvons constater. Actuellement, sont en voie de construction un aéroport et quelques usines à Potosi, la capitale (Traduction A l’Encontre)

* Pablo Stefanoni est directeur de l’édition bolivienne du Monde diplomatique et vit à La Paz.

(15 août 2010)

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