Amérique du Sud

Santa Cruz

Intervention de la police a Santa Cruz le 4 mai

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Vers la fin de la décennie progressiste

Raul Zibechi *

Cette analyse de Raul Zibechi est fort importante. R. Zibechi impose une critique réaliste de la situation d’ensemble des pays d’Amérique latine. Il tranche avec les articles de quelques «touristes politiques» européens.

C’est dans le contexte décrit ici par Zibechi qu’il faut replacer le sens politique de l’opération de «sauvetage» montée par les forces militaires colombiennes – avec l’appui des services secrets des Etats-Unis et d’Israël – visant à libérer les otages détenus par les FARC, colombiennes. Cette force politico-militaire, depuis quelques années, a connu une régression politique importante. Elle a développé de plus en plus, afin de maintenir une infrastructure militaire importante, des «méthodes de lutte» politiquement inacceptables et contre-productives. Cela l’a conduite à se couper socialement et politiquement de larges secteurs de masses paupérisées du pays.

Les coups portés aux FARC (assassinat de Raul Reyes, etc.) et la libération d’Ingrid Betancourt seront utilisés par le gouvernement d’Alvaro Uribe et l’administration américaine ainsi que par les forces politiques de droite dans tout le continent pour renforcer les politiques répressives et «d’ordre». Les gouvernements «progressistes» seront mis encore plus sur la défensive. Seuls des ignorants désirant s’attribuer des galons de «spécialistes» peuvent continuer à jouer les commentateurs «engagés» face à des luttes dont ils ignorent la rudesse et la dimension tragiques. (cau.)

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Au cours des années 1980 prennent leur essor quelques tendances qui se manifestaient déjà, mais qui, replacées dans leur contexte, acquièrent les traits d’une nouvelle conjoncture régionale. Les acteurs principaux en sont: les gouvernements progressistes d’Amérique du Sud; la politique de l’administration de George W. Bush et les grandes multinationales. Pour désagréable que soit le constat, on doit reconnaître que depuis l’arrivée au pouvoir de Lula [au Brésil], de Tabaré Vazquez [en Uruguay], de Nestor Kirchner [en Argentine, sa femme, Cristina Fernandez-Kirchner, a pris sa succession], mais aussi d’Evo Morales [en Bolivie], de Hugo Chavez [au Venezuela] et de Rafael Corea [en Equateur], la capacité d’être des protagonistes de la part des mouvements sociaux et populaires a décliné de façon tout à fait significative.

Tout cela indique que nous sommes face à un tournant. L’offensive spéculative du capital financier, une machine folle et qui est hors de contrôle au point de ne pouvoir être arrêtée – mais qui toutefois fonctionne détruisant les êtres humains et l’environnement – joue un rôle déterminant depuis le début de l’actuelle décennie dans la reconfiguration socio-politique du continent.

Face à sa puissance, les Etats eux-mêmes se sont révélés être des acteurs fragiles qui, la plupart du temps, se limitent à paver la voie à l’expansion de ce capital. Un seul exemple: le gouvernement uruguayen assiste, sans le plus petit enthousiasme, à l’avance sans frein de la culture du soja, et cela sans appliquer une politique régulatrice; ce qui transforme le pays en un nouveau et potentiel grand exportateur de soja. Au moment où ce processus se développe, il doit importer des pommes de terre, des patates douces, des carottes, des pommes, de l’ail et des oignons parce que les agriculteurs uruguayens ne peuvent pas ne serait-ce assurer la demande du marché intérieur.

Ce qui se passe dans les pays du Mercorsur [Argentine, Uruguay, Brésil, Paraguay, etc.] n’est pas très différent. Là, les diverses monocultures continuent à progresser et détruisent l’agriculture paysanne [petits et moyens producteurs] qui assure la nourriture quotidienne. Y compris lorsque le gouvernement de Cristina Fernandez impose des taxes élevées sur les exportations de soja [les gros producteurs engagèrent immédiatement une mobilisation forte et bloquèrent les routes, mettant le gouvernement à genoux], les impôts que paient les multinationales minières se limitent à un ridicule 5%.

Il n’est donc pas simple de s’affronter au capital financier, capable de provoquer des crises y compris dans les grands centres impérialistes. Mais ce qui est certain, c’est que durant la décennie des gouvernements progressistes, ces derniers se sont limités à accompagner la croissance du capital spéculatif dans la région, quand ils ne l’ont pas stimulée. Maintenant, ce capital détient une force suffisante pour bloquer les plus petits changements, comme il est en train de le démontrer en Argentine.

Ce n’est pas le manque d’une alternative qui a empêché ces gouvernements de brider la spéculation [les opérations] des multinationales, mais la crainte qu’ils manifestaient face aux crises sociales et politiques que cela pouvait provoquer.

Ce qui est certain, c’est qu’il revient actuellement au capital financier de dessiner l’avenir de nos pays, et cela à partir d’une position qui se situe bien au-dessus des Etats nationaux impuissants et décrépits.

Si à cette offensive des multinationales on ajoute les traits de la politique agressive de l’administration Bush, le panorama est certainement désolant. Depuis la mise en œuvre du Plan Colombie [plan militaire ayant pour but un contrôle sécuritaire de la région incluant la Colombie, l’Equateur, le Venezuela et le Brésil], les Etats-Unis ont réussi à neutraliser les principaux projets d’intégration, qui avancent avec une lenteur énorme et qui n’aboutissent pas à créer une masse critique qui les rende irréversibles. Aussi bien Unasur [structure initiée autour du thème de l’énergie qui devint, en mai 2008, l’Union des nations sud-américaines, avec sa banque à Caracas et ses institutions situées à Quito et Cochabamba] que l’Alba [la contre-Alca de Chavez] ont fait la dém