Algérie

 

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Vers une nouvelle indépendance

Farah Bensalem *

Il est 23h30 heures. A Ihaddaden, un quartier très populaire du nouveau centre de Béjaia, ville kabyle située à l'est d'Alger, l'affrontement des manifestants avec la police antiémeute ne s'est pas essoufflé. Bien au contraire. Agés d'une vingtaine d'années tout au plus, ces jeunes, qui n'ont pas connu l'autre grande révolte populaire de l'Algérie indépendante: Octobre 1988, ni pris part à celle que connut la Kabylie en 2001 et qui fit 129 morts, ne sont pas prêts à rentrer à la maison.

Leur révolte est accompagnée des applaudissements des habitants et des youyous nombreux et stridents lancés par des mamans aux balcons et aux fenêtres. A la provocation des manifestants qui leur crient d'approcher «s'ils sont des hommes», les gendarmes mobiles ripostent avec des tirs de gaz lacrymogènes, contraignants les habitants à se réfugier dans les maisons. Mais les jeunes ne sont pas impressionnés. Depuis des heures, ils affrontent les éléments antiémeutes en dressant des barricades à l'aide d'objets hétéroclites, pneus brûlés, panneaux de signalisation arrachés. Ils continuent à jouer au chat et à la souris avec les forces de l'ordre et ont pour seules armes des pierres et leur haine du régime d'Alger honni, une haine partagée par tout le peuple algérien.

En effet, aujourd'hui ces scènes ne sont pas propres à la Kabylie frondeuse. D'est en ouest c'est toute l'Algérie qui se lève. Depuis Tébessa, à la frontière Est – et à quelques encablures de la ville de Sidi-Bouzid d'où est partie la révolte tunisienne – jusqu'à l'Oranie et aux confins de l'Ouest, région pourtant pas très habituée à ce genre d'expression populaire, en passant par Guelma, Djelfa et Laghouat villes du Sud. Comme s'ils s'étaient donné le mot, ce vendredi 7 janvier 2011, aux environs de 15 heures, juste après la grande prière du vendredi, des milliers de jeunes ont occupé les places publiques et les grandes artères de leurs villes, déterminés à en découdre. Les affrontements entre la population et les brigades antiémeutes ont gagné pas moins de vingt départements du territoire algérien.

Cette déferlante de jeunes lance son cri de révolte à ces dirigeants qu'ils n'ont pas choisi. En premier lieu à Bouteflika, président inamovible qui a fait changer la constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat et se maintenir au pouvoir. Aux généraux qui ont semé la guerre et terrorisé la population en toute impunité et qui accaparent les richesses du peuple en puisant directement dans les caisses de la Sonatrach (compagnie nationale des hydrocarbures) et des biens publics comme s'ils étaient les leurs. A leurs clientèles respectives et à leurs soutiens de tous les bords, qu'ils soient islamistes ou démocrates autoproclamés, sénateurs et députés dont le silence est grassement rétribué (le salaire d'un député en Algérie est l'équivalent de 30 fois le salaire minimum qui est de 150 euros mensuel).

Les révoltés d'Alger, de Tizi-Ouzou, d'Oran et d'Annaba sont tous unis pour crier leur ras-le-bol d'un système verrouillé et sourd à leurs demandes légitimes. Chômage endémique, crise du logement, corruption, abus d’autorité, pouvoir d'achat laminé, manque de perspectives, passe-droits, l'injustice de chaque instant, les biens mal acquis, l'iniquité et le dédain perpétuel. Les raisons de la colère ne manquent pas.

Un pays riche, un peuple pauvre

Cette révolte est l'expression de la difficulté de vivre des Algériens, une «mal-vie» qui poussent les plus jeunes à tenter l'exil sur des radeaux de fortune et qu'on appelle les haragas (ceux qui grillent les frontières). Les autres tentent de subsister en vivant d'expédients: vendeurs à la sauvette, trafic en tous genres, rendus plus difficiles avec les restrictions sur l'importation imposées par le gouvernement Ouyahia en 2009 et que les jeunes considèrent comme une injustice de plus.

La «classe moyenne» algérienne quant à elle voit son pouvoir d'achat s'effondrer avec le coût de la vie. Leurs salaires couvrent à peine les dépenses contraintes et l'achat de la nourriture. Quant aux couches les plus pauvres c'est carrément l'indigence. Ces derniers jours des rumeurs annonçaient l'augmentation du prix de la farine et ont contribué à échauffer les esprits. Sans parler que le gouvernement algérien a supprimé la subvention des produits alimentaires de base: le sucre, l'huile et la semoule, devenant du coup inaccessibles aux plus démunis.

C'est donc un cri d'indignation et de dégoût pour cette république des inégalités sociales et de la paupérisation grandissante que lancent les Algériens qui s'approprient la rue. Au prix de leur vie ? L'état d'urgence est en vigueur depuis bientôt vingt ans et on se rappelle ici qu'à maintes reprises dans le passé, l'Etat algérien n'a pas hésité à tirer à balles réelles sur les manifestants.

Ces manifestations ont été très violentes et ont pris pour cibles les symboles habituels de l'état: tribunaux, commissariats, banques. Mais pour la première fois des agences de la Sonelgaz ont subi des dégradations. On ne peut ne pas y voir un lien avec les dernières affaires de corruption qui ont entaché cette société liée à la Sonatrach, et qui représente pour le pays une de ses principales sources de devises.

Le ministre des finances avait annoncé le 4 janvier dernier que le pays détenait… 155 milliards de dollars de réserves. Une première depuis l'indépendance de l'Algérie. Mais si le régime algérien se vante devant le monde entier de détenir cette somme inimaginable, la population n'en voit pas la couleur. Que ce soit à Béjaïa, à Alger ou à Oran, on parle de hogra, cette injustice matinée de mépris, que subissent les petits, les sans-gallons, les sans-piston, les sans-rien, de la part d'un pouvoir arrogant qui laisse des retraités fouiller dans les poubelles ou être contraints de cha