Autre Davos

 

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La nouvelle phase de la crise

Michel Husson

Nous commençons ici la publication de diverses contributions qui ont été écrites à l’occasion de l’Autre Davos 2001, qui s’est tenu à Bâle les 21-22-23 janvier 2011 et qui a réuni plus de 360 personnes sur les trois jours. L’actualité des montées révolutionnaires en Tunisie et Egypte nous a contraints à repousser la publication de ces textes. Michel Husson, empêché d’être présent à Bâle pour cause de maladie, nous avait fait parvenir ce texte. C’est le premier d’une série. (Rédaction)

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La nouvelle feuille de route en Europe est au fond assez claire: il s’agit dorénavant de faire payer aux salariés la facture de la crise. Pour éclairer cette nouvelle conjoncture, cet article cherche d’abord à mettre en perspective la trajectoire de la crise, puis à caractériser les dilemmes de la phase actuelle, et enfin à discuter des enjeux stratégiques de cette nouvelle période.

1. La crise du capitalisme néolibéral

On ne comprendrait rien des ressorts de la crise actuelle sans prendre un peu de recul. Le point de départ, c’est une autre crise – celle du milieu des années 1970 – qui marque la fin des « Trente glorieuses ». Les politiques habituelles ne réussissant plus à relancer la machine, c’est le grand tournant libéral du début des années 1980. Nous vivons donc depuis 30 ans (les « Trente piteuses » ?) sous un régime de capitalisme néolibéral que l’on peut caractériser à partir de trois grands « faits stylisés »:
1. baisse de la part des salaires et montée du taux de profit
2. « ciseau » entre profit et investissement
3. montée des dividendes

L’image de l’économie capitaliste avant la crise est donc celle d’une masse énorme de « capitaux libres » alimentée par la compression salariale et par les déséquilibres internationaux. Grâce à la dérégulation financière, ces capitaux circulent librement à la recherche d’une hyperrentabilité que les conditions concrètes de production de surplus ne peuvent garantir que virtuellement. Il est donc logique que cette fuite en avant se dénoue dans la sphère financière, mais cela n’implique en rien qu’il s’agisse d’une crise strictement financière. Désigner la dérégulation financière comme la source de la crise revient à en ignorer les causes profondes.

La crise d’aujourd’hui doit au contraire être comprise comme la crise du schéma néolibéral qui vient d’être décrit et qui lui-même apportait des solutions à la précédente crise. Ce modèle était cohérent, en ce sens que ses éléments faisaient système mais il était en même temps inégalitaire, fragile, déséquilibré. Mais il avait et a toujours l’avantage, aux yeux des dominants, de leur permettre de capter une part croissante des richesses produites. Le point important est ce modèle ne peut plus fonctionner, mais que les capitalistes n’en ont pas de rechange. La période dans laquelle nous entrons est tout entière dominée par cette contradiction: tout va être fait pour revenir au business as usual, alors que c’est impossible.

2. La crise: phase 3. Vers une régulation chaotique

Il ne s’agit pas ici de prévoir le cours concret du capitalisme dans les années à venir, mais de présenter un tableau d’ensemble des contradictions auxquelles il va se trouver confronté. Il n’est pas inutile de les résumer à nouveau sous forme de quatre « dilemmes » qui dessinent une « régulation chaotique » qui correspond à la navigation à vue du capitalisme entre deux impossibilités: impossibilité (et refus) de revenir au capitalisme relativement régulé des « Trente glorieuses » ; impossibilité de rétablir les conditions de fonctionnement du modèle néolibéral, parce que celui-ci reposait sur une fuite en avant aujourd’hui achevée. L’impasse, encore une fois, se résume à ceci: le capitalisme veut revenir à son fonctionnement d’avant la crise, mais c’est impossible.

Dilemme de la répartition: rétablissement de la rentabilité ou emploi ? La crise a brutalement interrompu la tendance du profit à la hausse. Cette dégradation s’explique en grande partie par l’évolution de la productivité du travail qui a fortement baissé, dans la mesure où les effectifs ne se sont que partiellement ajustés au recul de la production. Mais, sous le feu de la concurrence, les entreprises vont chercher à rétablir leurs profits, soit en ajustant les effectifs, soit en gelant, voire en baissant les salaires.

Dans le même temps, les dispositifs tels que le chômage partiel atteindront peu à peu leur limite de validité, de même que les primes à la casse. L’une des préoccupations des organismes internationaux est d’ailleurs de remettre en cause les mesures prises dans l’urgence de la crise. Cet ajustement de l’emploi et des salaires va alors enclencher une nouvelle boucle récessive par compression du revenu des ménages.

Dilemme de la mondialisation: résorption des déséquilibres ou croissance mondiale ? L’un des principaux moteurs de l’économie mondiale a été, avant la crise, la surconsommation des ménages aux Etats-Unis. Elle peut difficilement être reconduite. La « définanciarisation » amorcée avec la hausse récente du taux d’épargne conduit à une nouvelle contradiction puisqu’une moindre consommation pour un revenu donné signifie aussi une croissance moins dynamique pour l’ensemble de l’économie. La solution choisie est de réorienter l’économie américaine vers l'exportation, mais cette option suppose l’amélioration de la compétitivité des