Etats-Unis. Un membre des Black Panthers, innocent, a été relâché après 45 ans de prison

La prison Angola…
La prison Angola…

Par Barry Sheppard

C’est le 19 février 2016, jour de son 69e anniversaire, qu’Alfred Woodfox a enfin été libéré de la tristement célèbre prison d’Etat d’Angola, en Louisiane. Il y est resté pendant 45 ans, dont 43 en isolement, dans une cellule de deux mètres sur trois.

On commence à reconnaître plus largement que l’isolement constitue une forme de torture. Woodfox détient le «record» aux Etats-Unis pour ce supplice qu’est la détention en isolement.

En 1972, lors d’un jugement truqué, lui et un autre prisonnier, Herman Wallace, ont été inculpés d’avoir assassiné un gardien de la prison. Il n’y avait pas de preuves scientifiques contre les deux Noirs, Les témoignages à charge d’autres prisonniers ont été obtenus en échange de réductions de peine et d’autres avantages. Le témoin principal a été acquitté et libéré en échange de son parjure.

Leur véritable crime – de Woodfox et de Wallace – était d’avoir organisé une branche du Black Panther Party dans la prison [1], et d’avoir milité contre les conditions de détention atroces dans le centre de détention d’Angola. Ensuite ils ont été rejoints par un autre prisonnier, Robert King, qui appartenait également aux Black Panthers, et le trio est devenu célèbre sous le nom de «Angola Three». Tous les trois ont été mis en isolement pendant des décennies.

Amnesty International et d’autres groupes ont mené campagne pendant des années pour les libérer. King, qui a passé 20 ans en isolement, a été libéré en 2001, après que son jugement a été cassé. Depuis sa libération, il a passé des années à voyager à travers le monde dans le cadre d’une campagne pour la libération de Woodfox et de Wallace.

Wallace, qui est resté en isolement pendant 40 ans, a été libéré en 2013 et est mort d’un cancer, trois jours plus tard.

La campagne et les faits qu’elle a peu à peu mis en évidence ont finalement convaincu la veuve du gardien tué que les deux hommes étaient innocents. Elle a fait une déclaration en juin 2015 où elle disait: «Je crois qu’il est temps que l’Etat arrête de faire comme s’il y existait des preuves qu’Albert Woodfox a tué Brent.» La condamnation de Woodfox a été cassée à deux reprises par des tribunaux fédéraux, en 1998 et en 2008, mais à chaque fois les autorités racistes de la Louisiane l’ont rejugé et condamné sur la base de «preuves» qui avaient pourtant été discréditées. Burl Cain, qui a été pendant très longtemps le directeur de la prison Angola, disait qu’il garderait Woodfox en isolement quels que fussent ses crimes, car il «savait qu’il pratiquait encore la doctrine des Black Panthers». B. Cain a démissionné l’année passée, après qu’une enquête a mis en lumière qu’il pratiquait des «affaires immobilières» avec des membres de familles des prisonniers du centre pénitencier d’Angola!

1471296_10151720157191363_2095543019_nEn 2014, un juge fédéral a décidé que Woodfox devait être libéré en raison de la discrimination raciale qui avait entaché son deuxième procès. Le procureur général de la Louisiane a annoncé qu’il le rejugerait à nouveau. Un autre juge a ensuite ordonné sa libération, en partie parce que sa longue détention en isolement était dictée par des motifs racistes. Mais un tribunal plus important, connu pour sa composition de droite dure, a rejeté cette décision.

La prison tient son nom d’Angola du fait qu’elle a été érigée sur le site d’une plantation d’esclaves qu’on avait appelée Angola parce que la plupart de ces esclaves avaient été capturés dans ce pays. Elle a été construite en 1901, et tout au long de la période de ségrégation de Jim Crow, elle était connue comme un «hell hole» (un trou d’enfer), en particulier pour les prisonniers noirs, dont beaucoup ont été tués par les gardiens.

En 1930, le célèbre chanteur de blues, connu sous le nom de Leadbelly, avait été emprisonné à Angola. En 1992, un livre sur ce personnage déclarait que ce centre pénitentiaire était «probablement aussi proche de l’esclavage qu’on pouvait l’être en 1930». Les auteurs ont également écrit que les prisonniers étaient considérés par les autorités comme des «nègres de la pire espèce» (niggers of the lowest order).

Dans les années 1940, un ex-prisonnier d’Angola a écrit une série d’articles intitulés: «L’enfer à Angola». En 1952, 31 prisonniers ont coupé leurs tendons d’Achille pour protester contre les conditions de détention. La même année, la revue Colliers, qui était importante à l’époque, a appelé Angola «la pire prison aux Etats-Unis».

En 1971, la American Bar Association (Association du barreau américain) a décrit les conditions à Angola comme étant «médiévales, sordides et terrifiantes». Voilà les conditions contre lesquelles protestaient Woodfox, Wallace et d’autres membres du groupe des Black Panthers, protestations qui ont conduit à faire monter un coup contre Woodfox et Wallace en 1972.

Comment les Black Panthers se sont-ils retrouvés en prison?

A l’origine les Black Panthers ont été organisés en 1966 par Bobby Seale et Huey Newton en tant que groupe de Noirs nationalistes à Oakland, en Californie, pour riposter contre la violence policière qui subissaient les Afro-Américains dans cette ville à majorité noire. (Le fait d’utiliser la violence pour maintenir les Noirs dans un statut de subordination date de l’époque de l’esclavage, et a continué pendant la période Jim Crow et par la suite. Ce contre quoi protestent actuellement Black Lives Matter a donc une «longue histoire».)

Les Panthères étaient inspirées de Malcolm X. et c’était une organisation armée. Ses membres ont commencé à organiser des patrouilles armées pour suivre la police et réfréner leurs bavures. Vous pouvez imaginer la consternation que cela a semée parmi les policiers et les autorités gouvernementales. La première action qui a gagné une attention à un niveau national aux Panthères est lorsqu’un groupe de leurs membres s’est installé dans la galerie du Capitole d’Etat, avec leurs armes, mais non chargées.

Dans le contexte du mouvement du Pouvoir noir en plein essor, les Panthères se sont rapidement propagées, en particulier parmi les jeunes Noirs.

Ce parti a acquis une telle force que J. Edgar Hoover, le chef violemment anti-communiste et raciste du FBI, l’a appelé «la menace la plus importante pour la sécurité intérieure du pays». Il a dirigé un vaste programme de surveillance, d’infiltration, de parjure, de harcèlement policier, de coups montés, d’assassinats et de nombreuses autres tactiques pour discréditer et criminaliser les Black Panthers.

Au début, la répression gouvernementale a contribué à la croissance du parti car les assassinats et les arrestations de Panthères ont renforcé le soutien de la part de la communauté noire et de la gauche au sens large, y compris les socialistes révolutionnaires. Le mouvement a culminé en 1970, avec des milliers de membres et des sections dans 68 villes.

Le mouvement a également inspiré les Noirs dans les prisons. Ceux-ci se sont organisés en sections, largement de manière spontanée. Woodfox a été inculpé pour vol à main armée et condamné à cinq and de prison et il a rejoint les Panthères peu après son incarcération. Les gens qui le connaissaient ont dit qu’il avait changé du tout au tout après avoir rejoint les Panthères, qu’il avait cessé d’être un criminel pour devenir un militant politique. Lorsqu’il s’est retrouvé dans la prison d’Angola, Woodfox a organisé la section des Panthères noires.

Cette conversion rappelle celle de Malcolm X, qui, suite à son adhésion à la Nation of Islam, a aussi cessé d’être un criminel pour devenir un nationaliste noir.

«The Angola three»: Herman Wallace (libéré e 2013), Robert King (libéré en 2001) et Albert Woodfox (libéré en 2016)
«The Angola three»: Herman Wallace (libéré e 2013), Robert
King (libéré en 2001) et Albert Woodfox (libéré en 2016)

Les Trois d’Angola ont décidé qu’ils surmonteraient la détention en isolement en se focalisant non pas sur leur condition et leur situation difficiles mais en se tenant au courant de ce qui se passait dans la société. Selon Woodfox, c’est cette décision qui leur a permis de rester sains d’esprit. L’isolement conduit beaucoup de gens à la folie.

Un autre facteur important est qu’ils pouvaient lire. Après sa libération, Woodfox a expliqué lors d’une interview sur Democracy Now que la lecture avait été «un des outils que nous avons utilisé pour rester concentrés et connectés au monde extérieur». Il a expliqué qu’il lisait des «livres d’histoire, des ouvrages sur Malcolm X, sur le Dr. Martin Luther King, Franz Fanon, James Baldwin [qui a passé un certain temps en Valais pour écrire] – bref, tous les livres sur lesquels je pouvais mettre la main.»

Woodfox et King attendent un procès contre leur punition cruelle et inhabituelle. Une détention de 43 ans en isolement répond certainement à cette définition.

Je laisserai le dernier mot à Robert King, qui était interviewé sur le même programme (de Democracy Now) et qui a raconté comment il avait vécu la libération d’Albert Woodfox. King était dans la foule qui a accueilli Woodfox lors de sa libération et il a dit que «c’était l’occasion de manifester sa joie, une bonne chose pour la foule réunie, une bonne chose pour lui-même personnellement. C’était une victoire pour la justice qui était enfin rendue, si on peut appeler cela justice. Une justice retardée est une justice déniée. Néanmoins cela a eu lieu… Albert est enfin ici, et il est en train de s’acclimater à son nouvel environnement.» (25 février 2016, article pour le site A l’Encontre; traduction A l’Encontre)

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[1] En octobre 1966, Huey Newton et Bobby Seale fondent le Black Panther Party for Self-Defense, qui deviendra vite le Black Panther Party. Ils rédigent un programme en 10 points, qu’ils espèrent être un programme politique concret s’adressant directement à la communauté noire. Leurs principales sources d’inspiration sont Franz Fanon, Malcolm X et Mao. En 1967, ils publient le premier journal dans lequel ils mettent en question le rapport officiel ayant trait à l’assassinat d’un jeune homme par la police. Puis, relativement peu de temps après, Newton sera arrêté pour avoir tué un policier. Une campagne internationale a, alors, commencé sur le thème: «Free Huey» – y compris en Suisse. (Rédaction A l’Encontre)

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