Etats-Unis. Pourquoi? L’assassinat de Luther King nécessite une réponse

Luther King, 1967, contre la guerre du Vietnam (Zinn éducation project; L.A. Times)

Par Barry Sheppard

Cette année marque le cinquantième anniversaire de l’assassinat du Dr Martin Luther King, le 4 avril 1968.

Ce meurtre de l’un des grands dirigeants noirs de l’époque par des racistes blancs avec la complicité du gouvernement américain, très probablement le FBI, a stupéfié tous les Afro-Américains du pays. Immédiatement, des soulèvements violents ont éclaté dans des centaines de villes et de villages, les soulèvements les plus amples qui ont marqué la période du mouvement des droits civiques et du «pouvoir noir» (Black Power).

La chanteuse afro-américaine Nina Simone a rapidement écrit une chanson intitulée «Why? The King of Love Is Dead»:

Que va-t-il se passer maintenant, dans toutes nos villes?
Les miens se soulèvent, ils vivent dans le mensonge
Même s’ils doivent mourir, même s’ils doivent mourir
Pour l’instant, ils savent ce qu’est la vie

Même dans ce moment où tu sais ce qu’est la vie
Si tu dois mourir, ce n’est pas grave
Parce que tu sais ce qu’est la vie
Tu sais ce qu’est la liberté, pour un moment, dans ta vie

Les scènes des soulèvements furent diffusées sur les réseaux TV. L’une de ces images permet d’en saisir l’impact national: dans la ville à majorité afro-américaine Washington D.C. (district de Columbia), l’édifice du Capitole [parlement] a été partiellement obscurci par la fumée montante de la ville en flammes. Le sentiment était que s’«ils» – selon le langage de l’époque: soit le système du pouvoir blanc – pouvaient tuer le Dr King, l’avocat de la non-violence, ils pourraient faire de même avec toute personne noire.

La police n’a pas été en mesure de contenir le soulèvement de masse. Et partout la Garde nationale a été appelée, forte de 40’000 hommes, pour le réprimer. Quarante Afro-Américains ont été tués, des centaines d’autres blessés et beaucoup d’autres arrêtés.

L’un d’entre eux était un jeune homme nommé Andrew Pulley que j’ai appris à connaître plus tard. Le juge lui a dit qu’il avait le choix entre la prison ou l’armée. Il a opté pour l’armée. Une fois dans l’armée, il a rencontré sur sa base, à Fort Jackson, un groupe de soldats anti-guerre organisé par des GI socialistes. Il est devenu un combattant anti-guerre et socialiste lui-même, et une fois sorti de l’armée, il a rejoint la Young Socialist Alliance et le Socialist Workers Party, et est devenu un leader national des deux organisations.

Boycott des bus à Montgomery

Le dirigeant du FBI, cet anticommuniste dédié à la chasse aux sorcières, John Edgar Hoover [à la tête du FBI de 1924 à 1972], a choisi King comme cible après le boycott des bus à Montgomery [Alabama], en 1956, une initiative que King a aidé à développer. Hoover a ensuite mis en place un programme secret appelé COINTELPRO [Counter Intelligence Program] pour contrer le nouveau mouvement noir au moyen d’un espionnage illégal, de la désinformation, des arrestations sur la base d’accusations inventées de toutes pièces et d’autres coups bas. Dans une note de service ultérieure, Hoover a ordonné à l’agence de chercher à empêcher l’émergence d’un «messie noir», en désignant King et Malcolm X.

L’attention du gouvernement sur King est devenue plus prononcée lorsqu’il s’est prononcé contre la guerre du Vietnam en 1967. Ce faisant, il a dû rompre avec le reste de l’establishment des droits civiques qui ne voulait pas offenser le président Lyndon Johnson [1963-1969, qui succède à Kennedy, suite à son assassinat] qui menait maintenant la guerre. Des mémoires récents de partisans de King racontent comment il a été rejeté, évité. En s’opposant à la guerre, il s’était joint à l’aile jeune, plus militante, dirigée par le Comité de coordination des étudiants non-violents qui s’était déjà opposé à la guerre, tout comme les Noirs nationalistes militants tel Malcolm.

En expliquant sa position, il a déclaré: «mon pays» est «le plus grand commanditaire de violence» dans le monde.

Il est difficile de nos jours – alors que le nom de King est utilisé de manière désinvolte par des politiciens capitalistes de toutes allégeances, même par des racistes qui dénaturent le discours de 1963 de King «J’ai un rêve» pour se vanter qu’ils «ont un rêve»… de mettre fin à l’action affirmative (que King a fortement soutenu) – d’avoir à l’esprit les déclarations anti-King dans la presse de l’époque, aussi bien que celles des différentes autorités fédérales et locales chargées de l’application de la loi, et au Congrès après que King s’est prononcé contre la guerre.

Le FBI a été encore plus alarmé lorsque King a également cherché à élargir la lutte. Dès le début de son entrée sur la scène nationale, lors du boycott des bus de Montgomery, contre la ségrégation dans les transports publics, il a soulevé des questions plus profondes ayant trait à l’oppression des Noirs.

Après les victoires du mouvement des droits civiques pour l’obtention du droit de vote des Noirs dans les Etats du Sud et le début du démantèlement de la ségrégation par le système Jim Crow [ensemble de règlements et d’arrêtés organisant la discrimination, de 1876 à 1964, dans les Etats du Sud], King a compris que la surexploitation économique des Noirs serait un problème plus difficile à résoudre.

Il avait commencé à voir que la lutte pour l’égalité raciale était une lutte économique et que le système capitaliste était le problème. En 1967, dans un discours intitulé «L’Autre Amérique», il parlait d’«hommes affamés de travail à la recherche d’emplois qui n’existaient pas».

Il a décrit la population noire comme vivant sur une «île de pauvreté déserte, entourée d’un océan de prospérité matérielle» et vivant dans un «triple ghetto de race, de pauvreté et de misère humaine».

Il a affirmé:

«Le mouvement doit aborder la restructuration de l’ensemble de la société américaine. Il y a 40 millions de pauvres ici.

Et un jour, nous devrons nous poser la question: “Pourquoi y a-t-il 40 millions de pauvres en Amérique”. Et lorsque vous commencez à poser cette question, vous soulevez une question sur le système économique, sur une répartition plus large de la richesse.

Quand vous posez cette question, vous commencez à remettre en question l’économie capitaliste… Nous devons commencer à poser des questions sur l’ensemble de la société…

Cela signifie que des questions doivent être soulevées. A qui appartient le pétrole? A qui appartient le minerai de fer? Pourquoi les gens doivent-ils payer les factures d’eau dans un monde où il y a deux tiers d’eau?»

En 1968, King a appelé à un «mouvement ouvrier revitalisé» pour mettre «les questions économiques en première place de l’agenda».

«Une coalition d’une section revitalisée des travailleurs, des Noirs, des chômeurs et des bénéficiaires de l’aide sociale peut être la source d’un pouvoir qui remodèle les relations économiques et ouvre la voie à une percée vers un nouveau niveau de réforme sociale…»

Dans un discours antérieur, King déclara:

«On ne peut pas parler de résoudre le problème économique des Noirs sans parler des milliards de dollars nécessaires. On ne peut pas parler de mettre fin aux bidonvilles sans d’abord dire que le système des profits ne doit plus organiser les bidonvilles.

Dans ce cas, vous êtes vraiment en train de ficher le bazar et de vous placer sur un terrain dangereux parce que vous vous frottez à certaines personnes. Vous semez le désordre face aux capitaines d’industrie…

Maintenant, cela signifie que nous marchons sur des eaux difficiles, parce que cela implique vraiment que nous disons que quelque chose ne va pas avec le capitalisme… Il doit y avoir une meilleure distribution de la richesse et peut-être que l’Amérique doit s’orienter vers un socialisme démocratique.»

Il a été assassiné en 1968 alors qu’il se trouvait à Memphis, dans le Tennessee, pour soutenir les travailleurs de la voirie en grève. Les ouvriers majoritairement noirs sont devenus célèbres, inoubliables, car identifiables sur des photos placées sur des pancartes qu’ils tenaient et sur lesquelles on pouvait lire: «I Am A Man».

Les Etats-Unis sont toujours le plus grand commanditaire de violence dans le monde. Ils sont en guerre ouvertement ou clandestinement depuis 1941. L’alliance anticapitaliste des travailleurs/travailleuses et de tous les opprimé·e·s que King a esquissée (et aujourd’hui nous pouvons ajouter d’autres secteurs) reste la voie à suivre. (Article envoyé par l’auteur le 2 mai 2018; traduction A l’Encontre)

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