Etats-Unis. L’extrême droite suprémaciste relève la tête. Elle fait preuve de capacités organisationnelles inédites

Quelques 15’000 personnes – dans une chaleur humide étouffante – ont manifesté à Boston, le 19 août 2017, traduisant une forte solidarité avec tous ceux et toutes celles qui ont manifesté et manifesteront contre les initiatives de l’extrême droite. Le défilé se rendit de Roxbury Crossing où se réunissaient les suprémacistes blancs; quelques douzaines d’entre eux avaient quitté les lieux, sous escorte de la police. Ce qui s’est passé à Charlottesville a convaincu des milliers de personnes de s’exprimer, sous une forme ou une autre, contre le «réveil», «les démonstrations» de l’extrême droite.

Cette manifestation a reçu le soutien de très nombreuses organisations syndicales – comme la Massachusetts Teachers Association, importante en nombre et par son type d’insertion sociale –, d’ONG, de regroupements progressistes, d’organisations de la gauche. Les membres de Black Lives Matter ont joué un rôle important au plan organisationnel. C’est ce type de mobilisation, de présence publique active, qui doit et peut se répéter dans diverses villes des Etats-Unis, du nord au sud, de l’est à l’ouest.

Une femme rapportait au journaliste du site socialistworker.org: «Je suis ici parce que mes grands-parents japonais-américains ont été envoyés dans un camp d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale», elle portait l’insigne Black Lives Matter. «L’autre partie de ma famille est d’origine mexicaine, et la campagne entière de Trump a été construite pour calomnier les gens que j’adore. J’ai aussi eu l’impression de devoir sortir contre le président – en tant que femme et survivante d’une agression sexuelle. Après Charlottesville, assez c’est assez. Nous devons nous lever, et je veux construire un monde meilleur pour mes enfants.»

Trump a caractérisé les manifestant·e·s de Boston, le 19 août 2017,
comme «des agitateurs anti-police»

Khury Petersen-Smith, membre de l’ISO, a enflammé les gens présents, au début de la manifestation, en déclarant: «Maintenant qu’ils ont des amis à la Maison Blanche… ils sortent, ils sont publics et marchent avec des torches et des sourires sur leurs visages. Et la raison pour laquelle nous sommes ici, c’est que si vous venez à Boston, nous allons marcher jusqu’à Common et effacer ce sourire que vous étalez sur votre visage!» Il faut souligner que dans le cortège, un «tronc» commun important réunissait les membres et sympathisants de l’ISO et de la DSA (The Democratic Socialists of America).

Les manifestations de masse prévues les 26 et 27 août à San Francisco et à Berkeley vont certainement s’inspirer de l’exemple de Boston. Ce qui indique la voie d’une riposte de masse possible face à cette extrême droite et à ses relais dans l’administration Trump. Ce type d’action indique une perspective qui est autre, et plus réaliste, que les «débats» sur les interdictions ou non de manifestation, avec la porte ouverte vers l’opération politico-policière des «responsabilités partagées» dans les actes de violence. Ce qui est reflété dans les articles ci-dessous. (Réd. A l’Encontre)

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Par Maurin Picard

Après Charlottesville, au tour de Boston. Encore sous le choc des sanglantes émeutes raciales survenues le 12 août, l’Amérique découvre, hébétée, que son cauchemar brun ne fait peut-être que commencer. Une extrême droite blanche suprémaciste, décomplexée par les propos flous et amènes du président Donald Trump à son égard, va multiplier les rassemblements dans les jours et les semaines à venir. Ce samedi, plusieurs centaines de militants ouvertement racistes s’étaient donné rendez-vous dans la capitale de Nouvelle-Angleterre, avant d’être battus en brèche par des milliers de contre-manifestants et de voir le rassemblement annulé purement et simplement par la police.

A la surprise des autorités comme du grand public, ces extrémistes armés jusqu’aux dents dévoilent une organisation et une logistique inédites, une volonté nouvelle de «se montrer», après des années à vivre cachés, dans le sillage de l’attentat commis par un des leurs, Timothy McVeigh, contre un bâtiment fédéral d’Oklahoma City (1995, 168 morts). Le désir de choquer, également.

Ces légions d’exaltés promouvant un «ethno-Etat» blanc n’hésitent plus à ressortir de la naphtaline des symboles un peu prématurément remisés aux oubliettes de l’histoire : drapeaux nazis, cagoules pointues du Ku Klux Klan, flambeaux évoquant autant les rassemblements hitlériens que les lynchages dans le Sud profond.

De loin le plus célèbre de tous les mouvements ouvertement racistes outre-Atlantique, le Ku Klux Klan, avec ses rituels et son histoire mouvementée, réunirait 5.000 à 8.000 membres, éparpillés au sein d’innombrables sections régionales, selon le Southern Poverty Law Center (SPLC). Surveillé de près par le FBI, décimé par les schismes internes et les arrestations, il n’est cependant plus que l’ombre de ce qu’il fut à son apogée, un siècle en arrière, avec quatre millions de sympathisants, lorsqu’il défilait en force jusque dans les rues de Washington. A Charlottesville, il n’était même pas formellement annoncé, malgré la présence remarquée de son ancien «grand sorcier», David Duke.

Une nouvelle génération de mouvements suprémacistes blancs, aux logos et symboles runiques divers, comme Vanguard, Kekistani, les Ligues du sud, le Parti des travailleurs traditionalistes, se substitue lentement au KKK, après avoir incubé dans l’ombre et autour du site d’information nazi Daily Stormer, qui est passé d’un à trente relais entre 2015 et 2016.

Un rapport du FBI consacré à ce péril brun en cours d’intégration opérationnelle a été dévoilé le 10 mai dernier dans l’indifférence générale. Le SPLC dénombre 99 groupes néonazis, 43 néoconfédérés, 78 skinheads, 100 nationalistes blancs, et 130 antennes du «Klan». Soit une augmentation globale de 17 % entre 2014 et 2016.

A cette myriade de groupuscules idéologiques s’ajoute une autre menace plus traditionnelle, mais tout aussi préoccupante pour les forces de l’ordre : les milices paramilitaires, dont les membres n’hésitent pas à se joindre aux rassemblements de l’ultra-droite, en sympathisants discrets, officiellement pour «préserver la paix». La police, évidemment, n’est pas de cet avis. A Charlottesville, l’un d’entre eux a dégainé son arme et braqué la foule, fébrilement. Un seul coup de feu aurait pu déclencher une tragique fusillade.

Le problème demeure entier pour les villes concernées par les rassemblements à venir, en Californie, au Texas et dans le Tennessee : comment les interdire, alors que le premier amendement de la Constitution consacre la liberté d’expression, même sous la bannière de l’intolérance? Ni Charlottesville ni Boston n’ont pu interdire en amont ces marches organisées sous n’importe quel prétexte, à commencer par la défense des monuments confédérés.

Les solutions ne courent pas les rues: agir comme l’a fait Boston en annulant le rassemblement une fois celui-ci en cours au risque de précipiter des émeutes, ou bien délivrer un permis de manifester pour cent individus, pas un de plus, et pendant deux heures? Faire respecter ces contraintes est une autre paire de manches, «à moins que les personnes requérant un permis ne puissent être tenues responsables de troubles à l’ordre public antérieurs» , objecte Michael Dorf, professeur de droit à l’Université Cornell. «Mais s’il s’agit d’organisateurs différents à chaque fois, je ne vois pas bien comment les empêcher d’agir». (Publié dans Le Soir, en date du 20 août 2017)

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Monuments confédérés L’inextricable polémique

Par Maurin Picard

La «beauté des villes américaines» est-elle entamée, «l’histoire et la culture» des Etats-Unis sont-elles «taillées en pièces» par la polémique actuelle sur les monuments confédérés outre-Atlantique? Les déclarations et les tweets provocateurs de Donald Trump, suivant le drame de Charlottesville, le samedi 12 août, ont réveillé les vieux démons de la guerre de Sécession, toujours prêts à hanter l’Amérique. En exonérant partiellement les suprémacistes blancs, le président a cru bon de préciser que certains des manifestants venaient simplement «protester contre le descellement d’une statue, (celle de) Robert Lee». De manière tout aussi candide, en somme, que ces amateurs de reconstitution en uniformes dans les plaines de Gettysburg ou Appomatox.

Déboulonnages préventifs

Contrainte et forcée de se remémorer un sombre passé racial, les cagoules du Ku Klux Klan et ses flambeaux sinistres, la société américaine, déjà divisée par les tensions raciales resurgies à Ferguson (Missouri) en 2014, se voit subitement intimée de choisir son camp, quand elle aurait préféré oublier : pour ou contre le drapeau confédéré, un emblème pourtant très banalisé, de l’Alaska à la Floride? Pour ou contre ces monuments, au nombre de 718, voire 1.500 si l’on intègre à ce total les étendards arborant la «croix du sud» rouge et bleue et les stèles commémoratives? Chauffées à blanc depuis la campagne électorale clivante de 2016, enragées par les combats de rue d’un autre âge dans la paisible Charlottesville, des foules hystériques ont mis à bas certains bronzes, aux quatre coins du pays.

A Baltimore (Maryland), la mairie a préféré anticiper les troubles : les statues litigieuses ont été déboulonnées avant l’aube, sans couverture médiatique tapageuse, tout comme à Annapolis, où est tombée vendredi celle du juge de la Cour suprême Roger Taney, figure anti-abolitionniste. Dans le Mississippi, de tels monuments jalonnent l’Amérique rurale. A Brooksville, un géant sudiste veille, arme au pied, sur la voie ferrée séparant quartiers blancs et faubourgs noirs, rehaussé de la mention «CSA» («Etats confédérés d’Amérique»). A Poplarville, un soldat confédéré se dresse devant le tribunal où sont jugés de nombreux délinquants noirs, essentiellement pour des affaires de drogue. «Comble de l’absurde, soupire Radley Balko, du Washington Post, ces gens apparaissent entravés devant des tribunaux que jouxtent des monuments glorifiant l’esclavage de leurs ancêtres. La symbolique est inévitable. Dans une société totalitaire opprimant ses minorités, nous appellerions cela des simulacres de procès. C’est pourtant bien le quotidien de larges pans du Sud profond depuis plus d’un siècle.»

Or, la rancœur grandissante contre ces monuments, malgré tous ses excès, ne constitue pas une «volonté de réécrire l’histoire», comme le martèlent leurs défenseurs, Donald Trump le premier. Elle est une riposte désordonnée à leur idéologie sous-jacente : l’immense majorité d’entre eux, glorifiant Robert Lee, Stonewall Jackson, Jefferson Thomas, sont apparus de longues décennies après la guerre civile, une fois la «reconstruction» du Sud achevée et la ségrégation formellement réinstaurée avec les lois «Jim Crow». En réaction à l’émancipation des Noirs, au tournant du XXe siècle, puis durant l’entre-deux-guerres, lors de l’abolition du lynchage, et enfin dans les années 60, face à l’avènement des droits civiques. «A chaque fois, ces statues correspondaient à un réveil suprémaciste blanc, explique Adam Domby, professeur au College of Charleston, en Caroline du Sud. Il est incorrect de les relier exclusivement à la guerre de Sécession. Lorsqu’elles furent érigées, elles visaient à réaffirmer cette suprématie, à exprimer physiquement ce qui était réaffirmé politiquement. Ce sont tout autant des marqueurs historiques que mémoriels, dotés d’une indéniable puissance politique. Elles sont le nouveau champ de bataille dans les guerres culturelles» contemporaines.

Comme dans les pays de l’Est?

Pourquoi, dans ces conditions, ne pas prendre exemple sur la reconversion des statues du bloc de l’Est, Lénine, Staline, ouvriers et soldats, déboulonnés de leurs socles à la fin de la Guerre froide et relégués dans des parcs irréels, très prisés des badauds comme des touristes, depuis le Gorky de Moscou jusqu’au Mémento de Budapest, à grand renfort d’étoiles rouges, marteaux et faucilles géantes, s’accompagnant d’évocations aux victimes du totalitarisme. Les œuvres confédérées pourraient-elles, à l’identique, être déplacées et assorties d’un hommage aux victimes du lynchage? L’Amérique, sens dessus dessous, n’en est pas encore là. De timides efforts de conciliation, pourtant, se font jour. Le maire de Charleston, John Tecklenburg, prévoit de faire «amender» les statues du centre-ville avec des panneaux explicatifs afin de «bien raconter toute l’histoire», « la bonne et la mauvaise», sans triomphalisme déplacé.

A tout seigneur tout honneur, le post-scriptum de cette controverse échoit à Robert Lee lui-même. Peu après la défaite de 1865, il s’était opposé à l’érection de tels monuments, préférant «que l’on entretienne les tombes des (braves) tombés» au champ d’honneur. «Il ne voulait pas que se forme un culte de la personnalité pour le Sud, décrypte James Cobb, historien à l’Université de Géorgie, car il estimait que les pays qui choisissent d’effacer les traces visibles d’une guerre civile en guérissent plus rapidement. Garder ces symboles bien vivants, en revanche, ne ferait que faire perdurer les divisions.» (Publié dans Le Soir, en date du 21 août 2017)

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