Etats-Unis. Les opulents imprésarios du cirque électoral

dark-money-400-375x250Par Lance Selfa

Dans la plupart des démocraties parlementaires, les campagnes en vue des élections nationales se déroulent durant plusieurs semaines et conduisent à un vote et, quelques jours plus tard, à la formation d’un gouvernement.

Aux Etats-Unis les choses se passent différemment. Il reste 14 mois avant les élections de novembre 2016 et plus de 16 mois avant qu’une autre administration ne reprenne le pouvoir du président Barack Obama. Or, la campagne présidentielle de 2016 – ou ce qui prétend l’être – bat déjà son plein. Au cours de l’été 2015, les experts au plan national se sont employés à évaluer les quelque 17 candidats présidentiels républicains annoncés, avec à leur tête le milliardaire burlesque Donald Trump. Plutôt que d’étudier ce que représentaient ces candidats en tant que tels, ces spécialistes ont été obnubilés par le serveur de courrier électronique de Hillary Clinton [elle a utilisé dans ses fonctions de secrétaire d’Etat son mail personnel] et par ce que les foules qui participent aux rassemblements de Bernie Sanders [sénateur du Vermont, candidat social-démocrate qui dispose d’une audience en mettant l’accent sur les «questions sociales»] pourrait signifier pour les chances de la favorite démocrate.

On ne peut pas trop en vouloir aux médias de vouloir insuffler un peu de vie dans le processus des primaires. Quels que soient le spectacle et les drames qu’elles vont offrir au cours de l’année à venir, les primaires des partis ont pour objectif de choisir entre deux candidats qui sont tous les deux foncièrement pro-business pour représenter aussi bien le Parti démocrate que le Parti républicain, qui sont tous les deux foncièrement pro-business.

Il est possible que Trump prenne la décision de promouvoir son «ticket» au moyen d’un troisième parti, comme l’avait fait le milliardaire Ross Perot en son temps [en 1992, il a réuni 19 millions de voix, contre 44 à Bill Clinton et 39 millions à Bush père]. Et il y aura une alternative radicale du Parti vert et peut-être d’autres forces qui proposeront un choix à ceux de gauche qui sont dégoûtés par le candidat que les démocrates vont tenter de leur imposer.

Jeb Bush, Donald Trump,  Hillary Clinton, Scott Walker
Jeb Bush, Donald Trump,
Hillary Clinton, Scott Walker

Les commentateurs habituels partent de l’idée que les élections sont orientées par des coups de maître ou des gaffes des candidats. Ou encore que des blocs d’électeurs tels que les «soccer moms» (mères au foyer qui passent leur temps à transporter les enfants à des parties de football) ou les «multicultural Millennials» (génération multiculturelle née grosso modo entre 1980 et 2000) font les résultats électoraux. Ils oublient que, fondamentalement, les élections états-uniennes sont gagnées grâce à de l’argent, beaucoup d’argent.

Dans leur analyse des élections à la Chambre des représentants de 2012, les analystes politiques Thomas Ferguson, Paul Jorgenson et Jie Chen ont trouvé un lien direct entre les dépenses effectuées dans les circonscriptions de la Chambre et les candidats gagnants. Plus la part du total des dépenses d’un candidat était élevée, plus l’écart de votes par rapport à ses opposants était important. Statistiquement, la rivalité de l’argent expliquait environ 80% des différences entre votes obtenus par les candidats. D’après les chercheurs, ce tableau était également valable pour les élections au Sénat états-unien.

Selon le Center for Responsive Politics, lors de l’élection présidentielle de 2012, les campagnes de Mitt Romney [républicain, gouvernement du Massachusetts de 2003 à 2007] et d’Obama et de leurs supporters respectifs ont coûté en tout l’environ 2,6 milliards de dollars. Pourtant, même s’il s’agit là d’une somme stupéfiante – en termes nominaux cela représente une multiplication par cinq de ce qu’ont coûté les campagnes de George W. Bush et d’Al Gore en 2000 – elle est insignifiante pour les milliardaires et les corporations qui fournissent l’essentiel de l’argent.

Quel lien entre les dollars et la démocratie?

Ces statistiques contredisent le mythe qui est resservi à chaque cycle de campagne électorale par tous les commentateurs, celui du petit donateur. Tous les candidats «business» – à part Trump, évidemment – cherchent à se dépeindre comme issus d’origine modeste, et la campagne financière tente de le refléter. C’est ainsi que le nombre de petits donateurs – ceux qui payent moins de 250 dollars – est censé démontrer qu’un candidat est soutenu par le peuple et non par des ploutocrates.

Secteurs économiques qui ont soutenus sous la forme de «bundler» la campagne d'Obama: 558 ont réuni au moins 76'250'000 dollars en 2008
Secteurs économiques qui ont soutenus sous la forme de «bundler» la campagne d’Obama: 558 ont réuni au moins 76’250’000 dollars en 2008

 

Cette idée a été vigoureusement proclamée lors de la campagne d’Obama en 2008. A cette occasion, l’accent a été mis sur développement d’un réseau de base de petits contributeurs. Pourtant l’essentiel de la fortune qui a réellement financé la campagne d’Obama provenait de «corporate bundlers» [les «bundlers» sont ceux qui organisent la collection de dons qui sont versés en un paquet, de façon à contourner les limites imposées aux contributions individuelles] qui ont rassemblé un maximum de contributions de leurs «collègues haut placés». Sous la pression du New York Times, Obama a révélé en juillet 2008 que plus de 500 individus s’étaient engagés à lever au moins 50’000 dollars chacun pour sa campagne, et parmi eux 178 s’étaient engagés à lever au moins 200’000 dollars chacun.

Une analyse de la machine à sous d’Obama effectuée après l’élection a montré que seuls 26% de ses fonds provenaient de personnes qui avaient versé 200 dollars ou moins, soit un pourcentage équivalant à celui des petits donateurs ayant contribué à la campagne de George W. Bush en 2004. L’afflux d’argent en provenance des corporations et des riches constituait une garantie que l’agenda d’Obama ne s’écarterait pas trop de l’orthodoxie économique. Il semble logique que le système politique reflète l’inégalité des revenus du pays, inégalité qui a atteint des niveaux qui ne s’étaient pas vus depuis les années 1910. Cela devrait faire réfléchir à propos de ce système politique. Pourtant, à chaque cycle d’élections, les campagnes politiques essaient au contraire de nous persuader que dans la politique états-unienne l’opinion et le vote de chaque personne ont le même poids.

Avant d’examiner les chiffres, il est utile de faire un rappel de la réalité. Si le fait de donner 250 dollars à un candidat est considéré comme un titre d’honneur, combien de citoyens états-uniens sont-ils dans une situation où ils peuvent se permettre un tel don?

Pour une famille états-unienne médiane, 250 dollars correspondent à environ 0.5% du revenu médian familial – l’équivalent d’environ un mois de dépenses pour les charges courantes (électricité, chauffage, eau). Si l’on pense au nombre de personnes aux Etats-Unis qui disent vivre d’une paie à l’autre, cela donne déjà une idée du fait que même les «petits donateurs» si convoités appartiennent plus probablement à la classe moyenne au-dessus de la ligne médiane.

Le Center for Responsive Politics estime que lors du cycle d’élections de 2013-2014, seuls 723’000 états-uniens sur les 311 millions de citoyens ont donné plus de 200 dollars aux candidats politiques fédéraux, soit environ 0.23% de la population. Sur ces donateurs, 127’000 ont donné plus de 2600 dollars, ce qui fait 1,2 milliard, soit trois fois le nombre de 596’000 donateurs qui ont donné entre 200 et 2600 dollars pour un total de 433 millions de dollars.

En fait, dans le détail, les contributions versées lors les élections de mi-mandat [pour l’ensemble de la Chambre des représentants et un tiers du Sénat] de 2014 étaient encore plus concentrées, avec un peu moins de 32’000 donateurs qui ont versé environ 1,2 milliard. Trois personnes – Tom Steyer, milliardaire démocrate, Michael Bloomberg, ex-maire de New York, et Paul Singer, gestionnaire de hedge funds – ont versé plus de 10 millions chacun. Même si le gros de l’argent est allé aux républicains, les démocrates ont eu leur part. Il faut noter que Steyer seul a dépensé plus d’argent pour les élections de mi-mandat de 2014 que la National Education Association (Association nationale de l’éducation), le Service Employees International Union (Union internationale des employés de service) et l’American Federation of Teachers (Fédération américaine des enseignants) combinés [pour les démocrates].

Qui sont les donateurs?

C’est donc le 0,01% des plus riches plutôt que le 1% de la population la plus riche qui est en train d’inonder d’argent le système politique. Et l’arrêt Citizens United de la Cour suprême des Etats-unis de 2010 – qui pour l’essentiel assimile la capacité de dépenser de l’argent avec la liberté d’expression – a ouvert les vannes et laissé entrer un éventail déroutant de modalités permettant aux super riches d’acheter le gouvernement états-unien.

Bien sûr, les riches et les corporations avaient déjà trouvé les moyens de contourner les lois sur le financement, pathétiquement laxistes, instaurées après le scandale de Watergate. Mais la décision Citizens United a fourni aux entreprises et aux riches de multiples canaux leur permettant de financer les politiciens sous leur coupe.

Les frères Koch envisagent de dépenser 900 millions en 2016 pour les élections et ils ont l'appui (de gauche à droite) de Richard B. Gilliam (mines dans l'Etat de Viriginie), de Paul L. Foster et William Laufer, du Texas, actifs comme eux dans l'industrie du gaz et du pétrole
Les frères Koch envisagent de dépenser 900 millions en 2016 pour les élections et ils ont l’appui (de gauche à droite) de Richard B. Gilliam (mines dans l’Etat de Viriginie), de Paul L. Foster et William Laufer, du Texas, actifs comme eux dans l’industrie du gaz et du pétrole

Il existe des Comités d’action politique (PACs) affiliés à différentes organisations comme les syndicats et la Chambre de commerce des Etats-Unis ainsi que des PACs de «leadership» par lesquels les leaders de la Chambre et du Sénat peuvent distribuer de l’argent. D’autres organisations portent des noms qui se réfèrent au code des impôts qui les définit, dont les comités «527», des organisations exemptées d’impôts comme le notoire groupe Swift Board Veterans, qui ne peuvent théoriquement pas soutenir ou s’opposer à un candidat; et les groupes 501(c)(4) qui permettent à des donateurs anonymes de donner de l’argent pour une prétendue association de bienfaisance très vaguement définie. Le plus notoire de ces groupes est Americans for Prosperity, une opération principalement financée par Koch Industries [les deux frères Koch dirigent Koch Industries dont le chiffre d’affaires, en 2013, s’élevait 113 milliards de dollars] et qui a été le commanditaire pour beaucoup de politiciens du Tea Party.

La principale innovation intervenue après la décision Citizens United a été le Super PAC, un comité d’action politique qui peut récolter et dépenser des sommes illimitées d’argent liquide pour ou contre des candidats politiques au niveau fédéral. Techniquement les Super PAC n’ont pas le droit de verser de l’argent directement aux candidats, mais il s’agit là d’une fiction légale. En fait chaque candidat important dispose d’un Super PAC, comme celui de Jeb Bush «Right to rise USA» ou celui de Hillary Clinton, «Priorities USA». Comme l’explique Open Secrets.org, les Super PAC des candidats présidentiels «sont plus que jamais en train d’augmenter la mise à mesure que les campagnes de leurs candidats préférés deviennent de plus en plus liées à ces Super PAC. Désormais ce sont ceux-ci qui annoncent les résultats des collectes de fonds et prennent en charge des activités telles que le «voter outreach» (encourager des électeurs potentiels à s’inscrire sur les listes et à voter) alors que ces fonctions revenaient autrefois clairement aux comités de campagne et non pas à des groupes extérieurs prétendument indépendants.

Jusqu’à maintenant, l’argent issu de structures du type Super PAC a soutenu bon nombre des campagnes pour 2016. Par contre, les organisations de campagnes de dons individuels récoltaient un peu moins d’argent qu’en 2007. Les montants récoltés par Super PAC – dix fois plus qu’au même moment du cycle présidentiel de 2012 (258 millions comparés à 26 millions de dollars) ­– signifient que ces organisations et leurs sponsors vont avoir beaucoup plus d’influence sur les élections que les organes officiels des partis républicain et démocrate.

Après la débâcle subie par les républicains lors des élections de 2012, l’«autopsie» institutionnelle du parti a préconisé des changements tels que le fait de s’adresser davantage aux Latinos et de modérer le conservatisme social strident de manière à attirer des électeurs plus jeunes. Mais jusqu’à maintenant il ne semble pas que ces conseils aient eu une quelconque influence sur les primaires républicaines.

Mis à part Trump, qui n’a pas besoin d’argent pour une campagne qu’il pourrait financer de sa propre poche, les autres figures républicaines sont toutes en train de mener des campagnes sur des thèmes d’extrême droite. Cela ne reflète pas uniquement les sentiments rétrogrades de la base vieillissante du Parti républicain, mais également l’influence de l’argent de riches conservateurs sur certaines des campagnes.

Sheldon Adelson, la première de «Forbes» annonçant sa forte présence dans les casinos de Macao...
Sheldon Adelson, la première de «Forbes» annonçant sa forte présence dans les casinos de Macao…

En 2012, Sheldon Adelson, milliardaire [ayant fait fortune dans le premier salon informatique en 1979, puis promoteur immobilier et propriétaire de casinos], ardent sioniste, a maintenu à flot la campagne de Newt Gingrich – qui n’avait gagné qu’une seule primaire – durant des semaines en puisant dans ses propres poches. Il est donc peu surprenant que Gingrich ait été le plus bruyant des candidats qui se sont engagés à soutenir Israël. Il a financé, après le retrait de Gingrich, Mitt Romney.

C’est une raison pour laquelle la saison électorale est aussi interminable. Elle doit non seulement passer par une série de primaires basées dans des Etats, mais des individus et des firmes peuvent faire durer le processus comme s’il s’agissait d’une véritable vente aux enchères virtuelle dans laquelle les candidats tentent de gagner le soutien d’électeurs, mais surtout s’engagent à soutenir leurs propres sponsors. Pendant ce temps toute une industrie – faite de consultants politiques, de sondeurs, d’experts en recherche et analyse de données, en organisation visant à augmenter le nombre d’électeurs et à avoir un effet sur les médias – prospère grâce à la course aux armements financiers que sont devenues les élections modernes.

Cela ne signifie pas que les appareils des partis politiques soient devenus sans importance. Mais ils existent au sein d’un delta formé par ces multiples affluents de la richesse des firmes et de celle individus; celle de ces dernières étant clairement dérivée des premières. Les appareils de parti détiennent encore la fonction de nommer officiellement des candidats, en fournissant le label sous lequel ils se présentent et qui facilitera leur identification auprès des électeurs. Mais avant de recevoir le tampon d’approbation, les candidats ont déjà gagné la «primaire de l’argent», en montrant qu’ils ont été approuvés par la Corporate America.

Qui règne aux Etats-Unis?

Le système électoral états-unien peut permettre à des idéologues milliardaires tels qu’Adelson ou les frères Koch d’acheter des politiciens. Mais la majorité de l’argent qui coule vers les législateurs états-uniens a des contreparties beaucoup plus prosaïques et intéressées.

Au niveau local, cela se voit dans les dons de promoteurs immobiliers et d’entrepreneurs urbains effectués aux maires et aux membres des conseils de ville. Au niveau présidentiel, où les mises sont beaucoup plus importantes, des industries entières sont impliquées.

L’analyse de la campagne présidentielle de 2012 par Thomas Ferguson et ses collègues a révélé que les firmes et les industries qui se sont le plus opposées aux règles, pourtant laxistes, de l’administration Obama sur les effets des gaz de serre soutenaient le candidat républicain Mitt Romney. D’un autre côté, un nombre de firmes de la «nouvelle économie» des technologies, des télécommunications et de l’information – y compris celles lourdement impliquées dans le secteur de la surveillance – soutenaient Obama.

Quelques vestiges des réformes des années 1930 à 1970 continuent à assurer que la grande partie de l’argent versé par des syndicats, des associations des droits civiques, de femmes et de groupes LGBT, va aux démocrates, ce qui fournit aux différents secteurs industriels l’occasion de jouer les démocrates contre les républicains et assure un avenir au système bi-partisan.

Que doivent rapporter à Corporate America ses investissements? Les milliards dépensés pour une campagne électorale ne sont pas à même de «déstabiliser» la business class états-unienne. C’est la raison pour laquelle des milliardaires, en tant qu’individus, peuvent avoir un impact aussi important sur des élections.

Le Center for Responsive Politics estime que l’ensemble des élections fédérales pour le président et pour les membres du Congrès en 2012 ont coûté environ 6,2 milliards de dollars. Il s’agit là d’une somme d’argent énorme, mais en réalité elle n’équivaut qu’à environ 7% de la fortune de Bill Gates, le fondateur de Microsoft, et à environ 1% de la valeur d’Apple Corp.

Le plus étonnant est de constater à quel point investir des sommes relativement modestes dans des politiciens peut déboucher sur de gros bénéfices pour les «investisseurs».

Pour une somme qu’on peut considérer comme relativement insignifiante, l’industrie de la défense a gagné des milliards sous forme de contrats pour la guerre d’Irak. Wall Street a gagné des milliers de milliards grâce au sauvetage des banques par le gouvernement fédéral après 2008. Une étude de 2007 qui analyse les dons des entreprises qui ont versé les contributions les plus importantes pour les candidats politiques voyait leurs actions battre la moyenne de l’ensemble du marché de 2,5 points de pourcentage chaque année.

Compte tenu du fait que plus de 126 millions de personnes ont voté dans les élections fédérales de 2012, l’ensemble de l’entreprise électorale a coûté environ 49 dollars par vote.

Qui représentent-ils?

Les défenseurs conservateurs de Citizens United soulignent que la Cour suprême états-unienne a autorisé les syndicats à verser directement de l’argent de leurs trésoreries pour les élections fédérales. Et les syndicats ont effectivement versé des millions pour les campagnes, en général celles des démocrates, mais les résultats sont minces. Cela est dû, comme indiqué plus haut, au fait que dans le système actuel un seul milliardaire peut verser davantage aux fonds électoraux que les syndicats, alors que ces derniers représentent des millions de membres. Sans compter que, contrairement aux milliardaires, qui peuvent dissimuler leurs contributions dans diverses cagnottes d’«argent opaque», les syndicats doivent rendre compte de leurs dépenses jusqu’au dernier penny pour obéir aux règles du Département du travail, alors que ces mêmes règles permettent à leurs adhérents de se «désengager» de verser des contributions aux comités d’action politique des syndicats.

D’ailleurs, l’offensive patronale pour éviscérer les syndicats – y compris un procès qui se déroule actuellement devant la Cour suprême et qui pourrait virtuellement proscrire des syndicats dans le secteur public – pourrait rendre insignifiant le «droit» des syndicats de dépenser de l’argent pour les élections fédérales.

C’est ainsi que l’«égalité devant la loi» prônée par Citizens United nous rappelle les observations de l’auteur français Anatole France: «Autre motif d’orgueil, que d’être citoyen! Cela consiste pour les pauvres à soutenir et à conserver les riches dans leur puissance et leur oisiveté. Ils y doivent travailler devant la majestueuse égalité des lois, qui interdit au riche comme au pauvre de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain.»

Ainsi, même à un niveau très élémentaire, la capacité des travailleurs à se faire entendre dans ce que Noam Chomsky appelle «le spectacle grandiose de l’élection présidentielle qui a lieu tous les quatre ans» est sévèrement réduite. Sans même mentionner que les syndicats, qui donnent leur argent – et surtout les heures de volontariat de leurs membres – au Parti Démocrate, agissent comme un support à l’un des deux partis représentant des corporations.

Un des résultats d’un système de financement électoral qui est biaisé en faveur des grandes firmes et des riches est que l’électorat dans son ensemble est également biaisé en faveur des riches.

Bien qu’il y ait beaucoup de raisons qui expliquent ce phénomène – depuis des lois électorales restrictives jusqu’aux adhésions syndicales en déclin jusqu’au simple fait que la population travailleuse n’a pas le temps de voter ni de s’engager dans d’autres activités socio-politiques – ces constats sont indéniables. Même dans les élections ayant la plus forte participation au cours des cinquante dernières années, quatre sur dix électeurs – la plupart appartenant à la classe travailleuse ou pauvre – sont restés à la maison. Ainsi, au cours des élections présidentielles de 2012, trois quarts des personnes ayant participé aux élections avaient des revenus annuels dépassant 150’000 dollars, alors que moins de la moitié des personnes ayant un revenu familial entre 10’000 et 40’000 dollars ont participé à ces mêmes élections.

Un système électoral dont le financement et la participation sont aussi biaisés en faveur des riches va également produire des résultats qui vont favoriser les riches et les entreprises qui les ont fabriqués.

L’année dernière, les analystes politiques Martin Gilens et Benjamin I. Page ont mené une étude approfondie dans laquelle ils ont comparé les données de vingt ans sur les opinions concernant l’action et la politique du gouvernement, étude qui portait à la fois sur la tranche des 10% les plus riches de la population et sur ceux des Etats-Uniens «moyens». Les résultants sont saisissants. Ils révèlent que les préférences des Etats-Uniens «moyens» n’ont qu’un impact minime sur la politique publique; selon ces chercheurs il s’agit d’une proportion statistiquement insignifiante.

Dans un autre article, Gilens et Page ont conclu qu’il serait plus exact de décrire le système politique états-unien comme étant celui d’une «oligarchie» plutôt qu’une démocratie. En effet, les préférences des «élites économiques» non seulement l’emportent, mais peuvent même définir ce qui vaut la peine d’être discuté.

Ferguson et ses collègues donnaient une description plus colorée mais non moins juste. Ils comparaient la politique états-unienne à un juke-box géant: quiconque veut écouter une chanson doit y insérer des sous.

Etant donné ce qui précède, il est peu surprenant que les sondages enregistrent des niveaux record de désaffection à l’égard du système politique, que les niveaux de popularité des membres du Congrès baissent régulièrement et que la participation aux élections de mi-mandat en 2014 a été la plus basse depuis 72 ans. Kate Aronoff et Max Berger n’exagéraient pas lorsqu’ils écrivaient dans The Nation: «Alors que l’électorat est rarement enthousiaste pour les élections, la course de 2016 a lieu dans un contexte où le pays se trouve à deux doigts de la crise de la légitimité démocratique.»

Le cirque électoral qui va se dérouler au cours des 14 prochains mois ne fera rien pour changer cela. (Article publié sur le site socialistworker.org; traduction A l’Encontre; Lance Selfa, The Democrats. A Critical History, Haymarket Books, 2008)

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