Venezuela. Maduro: devoir imiter Chavez, «sans le savoir» et répondre au malaise social, «sans le pouvoir»…

img_3967Par Jean-Baptiste Mouttet

Il est arrivé ce que tous les Vénézuéliens craignaient: la chute du prix de baril de pétrole. A un peu plus de 60 dollars le baril (voir graphique), c’est la mamelle du Venezuela qui se tarit: 95 % des exportations en dépendent. Le gouvernement n’avait déjà pas tenu son budget 2014 alors que le prix du baril dépassait les 100 dollars avant la dégringolade amorcée mi-juin. Le pays a beau posséder parmi les plus grandes réserves au monde, il ne parvient pas à augmenter sa production et a même dû, en octobre, pour la première fois, importer du pétrole depuis l’Algérie.

Avec cette baisse, c’est l’élan des politiques sociales, le socle de la popularité de la  «révolution bolivarienne», qui est menacé. Les «missions», ces vastes programmes sociaux, sont entièrement financées par l’or noir, directement ou indirectement. La mission Barrio Adentro (service de santé dans les zones pauvres du pays), par exemple, fonctionne grâce aux médecins cubains, envoyés au Venezuela en échange de pétrole. «Les missions font descendre le pouvoir au plus proche des citoyens», relève le politologue vénézuélien Luis Salamanca de l’Universidad central de Venezuela, de passage à Paris. Elles sont le grand succès d’Hugo Chavez et elles ont réellement permis de faire baisser la pauvreté. D’après l’Institut national des statistiques (INE), début 1998, 49 % des ménages étaient pauvres, contre seulement 21,2 % fin 2012. Mais la précarité s’accroît de nouveau. Fin 2013, l’année de la mort d’Hugo Chavez, 27,3 % des ménages sont pauvres.

Tout en s’en prenant à  l’inondation [du marché] de pétrole polluant» venu des États-Unis, qui fait baisser les cours, le président Nicolas Maduro et son gouvernement assurent que la politique sociale sera poursuivie. Le budget 2015 est officiellement calculé à partir d’un prix du baril de pétrole à 60 dollars. Comme l’a d’ailleurs été le budget précédent qui s’est révélé largement déficitaire…

Selon l’exécutif, 38 % de ce budget serait destiné à «l’investissement social». «Une partie des dépenses des missions n’apparaissent pas dans le budget national et sont directement prises en charge par la compagnie nationale pétrolière PDVSA. Donc oui, les missions vont souffrir de la chute du prix du pétrole», note l’économiste Arnoldo Pirela, de l’Universidad central de Venezuela.

Pour faire face au manque de rentrée d’argent, le gouvernement envisage de baisser les salaires des hauts fonctionnaires. En novembre 2014, il a signé une série de décrets-lois prévoyant d’augmenter les taxes sur le tabac et l’alcool, ainsi que d’autres, qui devraient permettre une plus grande ouverture à l’investissement étranger ou la lutte contre les monopoles. Cela suffira-t-il?

Car, selon Arnoldo Pirela, la chute du prix du baril influe aussi grandement sur le moral des Vénézuéliens, habitués à suivre les cours du pétrole. Un moral déjà mis à mal par l’inflation qui perdure à plus de 60 %. La Banque centrale ne se risque d’ailleurs même plus à publier des chiffres depuis août 2014, quand elle pointait à 63,4 %. Dans un pays qui dépend des importations, les Vénézuéliens ont toujours du mal à s’approvisionner en produits de première nécessité. Lait, farine ou médicaments sont régulièrement absents des étals. Quand un magasin parvient à se procurer un produit rare, une file d’attente se forme immédiatement. Selon un sondage de Datanálisis, 85,7 % des personnes interrogées jugent la situation du pays «négative». 37,9 % estiment que la gestion du président socialiste est «très mauvaise», quand 1,9 % la jugent «très bonne».

55,93$:Venezuela, Nigeria, Russie et Iran  les plus fragilisés dès que les prix baissent (16.12. 2014)
55,93$:Venezuela, Nigeria, Russie et Iran les plus fragilisés dès que les prix baissent (16.12. 2014)

Les cours élevés du prix de pétrole ont nourri le prestige d’Hugo Chavez et ils renvoient aux années de «bonanza petrolera», la «prospérité pétrolière» du premier mandat [«social-démocrate», ex-président de la IIe Internationale et corrompu bien au-delà] de Carlos Andres Perez (1974-79) qui, en 1976, nationalisa l’industrie pétrolière. Au contraire, la chute des cours renvoie aux pires moments de l’histoire du pays comme, à partir de 1983, quand le pays s’est retrouvé dans l’incapacité de rembourser sa dette extérieure. Le pays a alors fait face à l’inflation et aux pénuries. Réélu en décembre 1988, Carlos Andres Perez décida de «libéraliser» le pays sur les conseils du FMI (restriction des dépenses publiques, libéralisation du change, des prix, à l’exception de 18 produits basiques, augmentation des prix des services publics, de l’essence…) Dans la foulée, le 27 février 1989, les quartiers populaires de la capitale prirent la rue, les commerces furent pillés. Ce fut le Caracazo. La répression qui s’ensuivit, selon certaines sources, a coûté la vie à plus de 2000 personnes (le gouvernement en a reconnu 276). Mais pour les chavistes, toute comparaison entre le contexte économique d’aujourd’hui et celui de la fin des années 1980 sont des «élucubrations» des médias et de la droite, si l’on en croit José Vicente Rangel, vice-président du Venezuela de 2002 à 2007 [voir son article sur le site apporea en date du 2 décembre 2014].

Pourtant les critiques ne viennent plus uniquement de la droite. Une opposition se fait de plus en plus entendre sur la gauche de Nicolas Maduro. Comme celle de Nicmer Evans, professeur en sciences politiques à l’Universidad central de Venezuela, un chaviste critique, membre du parti Marea socialista [courant qui s’est intégré dans le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela) est d’origine trotskyste; il actuellement réprimé par l’appareil du parti, voir ci-dessous] et personnalité médiatique de la scène politique vénézuélienne, qui écrit, en septembre dernier :

«Un gouvernement qui après plus d’un an de “guerre économique” (…) n’a pas pu vaincre les pénuries mais continue de remettre des dollars à ceux-là mêmes qui génèrent les pénuries et qui sont incapables de centraliser et nationaliser les importations des produits manquants pour sortir de la manipulation des importateurs; un gouvernement qui ne parle pas de la corruption dans les hauts niveaux de l’État (…) ; un gouvernement qui ne publie pas régulièrement les indices de l’inflation et ne dit pas comment il va la résoudre; un gouvernement qui fait le contraire de ce que Chavez a exprimé lors du “Golpe de Timón” [«Changer de cap», nouveau cycle politique décidé en conseil de ministres peu après la réélection d’Hugo Chavez, le 7 octobre 2012, appelant à l’autocritique et au renforcement des pouvoirs des communes], c’est un gouvernement qui trahit l’héritage du commandant Chavez!»

La réponse ne s’est pas fait attendre. En novembre, 300 membres de Marea socialista ont été exclus des rangs du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), le parti d’Hugo Chavez. Sans être un parti majeur, Marea socialista jouit d’une certaine aura intellectuelle, notamment via le site apporea qui publie des chroniques de personnes se réclamant de la «révolution bolivarienne». La critique de Marea socialista n’est pas un cas isolé.

En juin 2014, Nicolas Maduro s’est séparé de Jorge Giordani, ministre de la planification de février 1999 à juin 2014 avec seulement deux ans d’interruption, une figure de l’aile gauche du chavisme. Dès le lendemain de son éviction, toujours sur le site Aporrea, ce dernier publiait une attaque de la politique économique entreprise par Nicolas Maduro [voir aporrea, en date du 18 juin 2014, article publié sous le titre: «Testimonio y responsabilidad ante la historia».]

«Désormais, à gauche, des gens se réclament chavistes, mais pas maduristes. Il y a une crise d’identité depuis la mort d’Hugo Chavez », note le politologue Luis Salamanca. La succession d’Hugo Chavez semble toujours difficile à surmonter [ce qui est révélateur de ce bonpartisme sui generis qu’il incarnait – réd. A l’Encontre]: «Hugo Chavez était tout: le penseur, le pouvoir qui distribuait. C’était un hyperprésident qui voulait accomplir une révolution historique. Quand la base de la structure est absente, c’est toute la structure qui s’effondre.» Pour le politologue, la révolution dite  «bolivarienne», entreprise par Hugo Chavez, a amorcé un  «nouveau cycle» après sa mort, un cycle qui est «le début de la fin du chavisme». «Hugo Chavez était le chef unique (sic!), ce qui n’est pas le cas de Nicolas Maduro», assène Luis Salamanca.

Aujourd’hui, Marea socialista, qui s’unit à d’autres mouvements, n’a pas décidé s’il appuiera les candidatures du PSUV lors des élections parlementaires en décembre 2015. Un rapprochement entre cette gauche et l’opposition de droite n’est toutefois pas envisageable.

Pour remporter les élections, les chavistes ont besoin de toutes les forces qui le constituent. Seulement 200000 voix séparaient Nicolas Maduro de son opposant de droite, Henrique Capriles Radonski, lors des élections présidentielles, en avril 2013. Mais dans la coalition chaviste, le Gran Polo Patriótico ( «le Grand Pôle patriotique»), le PSUV, règne en maître, au grand dam des autres partis. La secrétaire de Patria para todos («Patrie pour tous», PTT, créé en 1997 et se référant à Alfredo Maneiro González), Ilenia Medina, déclarait, début décembre 1997, que le PSUV « ne peut pas continuer avec cette vision sectaire ».

A la clôture du congrès du Gran Polo Patriótico, le 8 décembre, Nicolas Maduro a répondu que la coalition «doit intégrer tous les partis politiques», tout en appelant les militants à convaincre les «militants se trouvant dans la confusion ».

Maduro sous le regard de Bolivar et Chavez
Maduro sous le regard de Bolivar et Chavez

Si Nicolas Maduro est contesté, il a encore des cartes en main. Déclarer que le président «trahit le legs de Chave » demeure un exercice périlleux et peut-être peu compréhensible pour les militants. Hugo Chavez a désigné lui-même son successeur, face aux caméras, le 8 décembre 2012, avec des paroles qui ne laissaient pas de place au doute: «Si je devais être empêché de gouverner… mon opinion ferme et pleine comme la lune, irrévocable et absolue… est que vous devrez élire Nicolas Maduro comme président.» Nicolas Maduro ne cesse de faire valoir cet «héritage», usant jusqu’à la corde la figure du «commandante». «Nous sommes Chavez», dit-il à ses militants. Mais s’il veut bien être le fils, s’il cite la figure tutélaire dans chacun de ses discours, il souffre de la comparaison avec son mentor.

La figure de Chavez, populaire, encombre aussi l’opposition de droite du PSUV, et c’est un atout pour Maduro. La coalition hétéroclite de la MUD (Table de l’union démocratique) ne parle pas d’une seule voix. Le candidat malheureux à deux élections présidentielles, contre Hugo Chavez lui-même, puis contre Nicolas Maduro, Henrique Capriles, tente toujours de gagner les classes populaires en assurant qu’il sauvegardera les missions.

Plus à droite, Maria Corina Machado ou Leopoldo Lopez rejettent en bloc les mesures prises sous les mandats de Hugo Chavez. Par conséquent, ils sont les premières cibles d’un gouvernement qui fait preuve d’autoritarisme dans cette période difficile. «Alors que l’exécutif prend l’eau, Nicolas Maduro tente d’apparaître comme un pouvoir fort», soutient Adeline Joffre, docteure en sciences politiques et spécialiste du Venezuela à la Sorbonne Nouvelle.

C’est d’autant plus facile pour lui que Maria Corina Machado est inculpée de conspiration en vue d’assassiner le président de la République, et que Leopoldo Lopez, ancien maire de Chacao (Caracas), est détenu depuis février, accusé d’être à l’origine des violences qui ont fait trois morts le 12 février 2014 lors d’une manifestation.

Ces deux opposants souhaitaient pousser Nicolas Maduro à la démission par le biais des manifestations de février qui ont fait 43 morts, Mais ils ne sont pas parvenus à faire descendre les barrios, les quartiers populaires, dans la rue malgré leurs annonces contrastées.

L’image de ces deux opposants souffre de leur participation au coup d’Etat contre Hugo Chavez en avril 2002 (lorsqu’il fut écarté du pouvoir durant 48 heures). La carte de la contestation populaire semble donc demeurer une impasse pour l’opposition, qui va devoir se résoudre à attendre les voies pacifiques des élections parlementaires de décembre 2015 ou du référendum révocatoire de 2016. Dans le premier cas, seule une coalition pourra apporter la victoire, mais l’opposition cherche encore un meneur et un programme politique qui va au-delà du simple «Non à Maduro!».

De plus, sous Maduro, la disparition des médias d’opposition s’accélère. La chaîne Globovision a été rachetée par des proches du pouvoir, le groupe Cadena Capriles, avec le quotidien le plus vendu du pays, Ultimas Noticias, ou dernièrement, le quotidien conservateur El Universal, ont changé de propriétaires. Chaque fois, les rachats se sont traduits par le départ de nombreux journalistes.

La marge de manœuvre de Nicolas Maduro apparaît restreinte, mais il est solidement accroché aux branches. Condamné à imiter son prédécesseur au risque d’être qualifié de traître, il doit aussi répondre aux problèmes actuels en s’appuyant sur le programme politique de  «changer de cap» d’Hugo Chavez d’octobre 2012. La copie tout en modération fait moins rêver qu’une révolution à inventer. (Publié dans Mediapart, le 17 décembre 2014)

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Lire pour saisir le contexte de ce délabrement du «chavisme» le bilan effectué par Edgardo Lander en octobre 2014 :«Venezuela. Terminal Crisis of the rentier petro-sate» [http://www.tni.org/] ; en langue espagnole: «Venezuela: ¿crisis terminal del modelo petrolero rentista? » [http://www.aporrea.org]

Edgardo Lander a été un «chaviste» convaincu et critique ; il est membre de CLASCO et joue un rôle dans les Forums sociaux d’Amérique latine. (Rédaction A l’Encontre)

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