Nicaragua. Vers la fin de l’orteguisme

Par Oscar René Vargas

1.- Entre le 18 avril et le 1er juillet 2018, plus de 300 habitants du Nicaragua sont morts du fait de la répression gouvernementale; quelque 2000 personnes ont été blessées; on dénombre des centaines de prisonniers et/ou disparus. Toutefois, la population a continué à ériger des centaines de barricades et de barrages sur les routes et les rues des villes. Des dizaines de marches ont été organisées dans différentes villes et une grève générale s’est déroulée, le 14 juin, réclamant la démission immédiate d’Ortega-Murillo.

2.- Dans ses négociations avec le gouvernement Ortega-Murillo, les Etats-Unis tiennent compte de l’effet domino qu’une chute brutale d’Ortega-Murillo pourrait avoir dans les pays du triangle nord de l’Amérique centrale (El Salvador, Honduras et Guatemala), pays qui vivent une crise larvée et non résolue. Le maintien d’Ortega au pouvoir n’est pas non plus une option pour qui que ce soit, car cela signifierait plus de morts, plus de migrations, plus de crises économiques, avec des effets négatifs pour le reste de l’Amérique centrale. C’est pourquoi se profile la perspective de son «éloignement.» Cela dépendra des rapports de forces dans les jours ou les semaines à venir.

3.- Le 25 juin 2018, sept sénateurs américains ont présenté une motion au Sénat américain qui, entre autres choses, demandait au président Trump de mettre en œuvre les articles inclus dans la loi Magnitsky pour imposer des sanctions aux personnes qui sont, au Nicaragua, responsables de violations des droits de l’homme et de corruption.

4.- Il semble qu’Ortega ait bien assimilé les tactiques de Somoza: cela se révèle dans le plan de «nettoyage» des barricades qui a été fait hier (le 30 juin) et ce qu’il fait aujourd’hui (1er juillet). Somoza voulait brûler ses dernières cartouches pour montrer qu’il ne partirait pas, afin d’éviter la dispersion de ses partisans, mais nous savons déjà ce qui s’est passé. Par conséquent, il est prévisible qu’Ortega continuera avec la répression en pensant qu’il peut changer les rapports de forces.

5.- Entre le 24 et le 30 juin, la répression a eu lieu à Nagarote, León, où les habitants ont dénoncé la présence de la police antiémeute et de civils armés, tandis qu’à Matagalpa un bâtiment scolaire a été incendié. L’incendie a été allumé par des personnes encagoulées. Les milices liées au gouvernement agissent souvent en utilisant des cagoules et affirment ensuite que l’action a été menée par des protestataires. En outre, des morts par balle ont été signalés à Jinotepe, Tipitapa (une des neuf municipalités du département de Managua), Diriamba, Managua, Rivas et Tecolostote.

6.- En termes de conjoncture politique se manifeste une perte générale de contrôle. Depuis le 18 avril, il y a eu une augmentation de la répression par des tactiques de plus en plus agressives. Dans ces circonstances, il est essentiel de mettre fin à la répression et à la violence du gouvernement. Le gouvernement Ortega-Murillo a perdu sa dignité face à celle des êtres humains.

7.- Nous espérons que l’existence du Mécanisme spécial de suivi de la situation au Nicaragua (MESENI) et la présence du Groupe international d’experts indépendants (GIEI) pour enquêter sur les violations des droits de l’homme, identifier les responsables et les punir permettront de réduire l’escalade actuelle de la violence. On ne peut permettre le retour à une nouvelle guerre civile. Une situation qui m’inquiète au plus haut point.

8.- Oublions toute solution constitutionnelle à la crise du pays. Accepter cette déclaration est un piège conçu par le gouvernement lui-même. Le dialogue devrait porter sur une solution politique, car la crise du pays est d’ordre politique, elle n’est ni constitutionnelle ni légale. Au Nicaragua, la Constitution n’a pas été respectée par le gouvernement, sans parler des organes chargés de la superviser et encore moins du contrôle constitutionnel.

9.- Une équipe du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a entamé une mission officielle au Nicaragua le mardi 27 juin, cela pour une période indéfinie afin de surveiller la crise sociopolitique.

10.- Cette mission accompagnera la Commission de vérification et de sécurité du dialogue national, composée de délégués du gouvernement et de l’Alliance civique pour la justice et la démocratie (de l’opposition), afin de rétablir la paix dans le pays suite à l’apparition massive de groupes paramilitaires et criminels liés au gouvernement. Elle participera également à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH).

11.- Anastasio Somoza a commencé à sombrer et à perdre sa légitimité à l’étranger lorsque la CIDH et Amnesty International ont pu révéler au monde entier ses massacres. Aujourd’hui, ces deux institutions démontrent que le gouvernement Ortega-Murillo a déclenché des crimes les plus brutaux contre le peuple.

12.- Dans ce processus – dont il faut mesurer la durée spécifique – il y a eu des défaites de la population insurgée qui sont, en fait, des victoires (en maintenant et défendant la plupart des barrages) et des victoires à la Pyrrhus du gouvernement (assassinant les manifestants), ce qui annonce l’effondrement irrémédiable de la dictature Ortega-Murillo.

13.- Les groupes armés parapoliciers et les milices lumpenisées ont joué un rôle important dans la répression de la population non armée. Le danger est que ces groupes armés par le gouvernement puissent évoluer vers des organisations criminelles ou des «maras» dédiés à l’extorsion et à l’enlèvement.

14.- L’origine de l’armée irrégulière et illégale créée par Ortega-Murillo a plusieurs causes, les plus importantes résidant: dans l’érosion accélérée des forces antiémeutes (officielles) au cours de deux mois et demi de lutte; dans le haut niveau de désertion des policiers de base, qui ne sont ni préparés ni entraînés pour des «actions de combat» (même si l’ennemi n’est pas armé); dans le refus de beaucoup d’entre eux de prolonger cette débauche sanguinaire que le gouvernement a engagée contre un peuple désarmé. Enfin, il faut tenir compte de la position de l’armée de ne pas participer – du moins officiellement et institutionnellement – à l’escalade répressive du régime d’Ortega-Murillo.

Des «groupes paramilitaires» en action…

15.- Qui sont les membres de cette armée irrégulière et illégale? Des policiers de base, en uniforme le jour, mais qui de nuit, en civil, répriment, des conseillers du parti gouvernemental, des employés des municipalités, des fonctionnaires de l’Etat, des membres de la jeunesse sandiniste, des prisonniers purgeant de longues peines, des démobilisés du Service militaire patriotique à qui des terres ont été données ou qui ont obtenu un édit légal pour l’occupation de terre, des villageois pauvres qui ont été autorisés à prendre des terres en échange de leur participation à ces groupes et, enfin, les jeunes marginalisés, des membres de gangs [des embryons de «maras» existent au Nicaragua], qui ont été recrutés en échange du «butin de guerre» qui est le produit du pillage, du vandalisme, du vol de biens privés.

16.- Cette armée irrégulière a procédé à des enlèvements sélectifs, des détentions arbitraires, du vandalisme, des rapines, des incendies de maisons, au saccage d’établissements commerciaux, à l’accaparement de terres, etc., cela en coordination avec la police nationale. Cette dynamique aura des conséquences désastreuses sur le taux de criminalité et de violence.

17.- Ces groupes parapoliciers et irréguliers seront difficiles à désarmer car ils sont armés jusqu’aux dents, avec des armes de guerre fournies par le gouvernement Ortega-Murillo. Il est certain que ces armes ne seront pas rendues volontairement lorsque la crise politique sera résolue.

18.- Face aux actions criminelles et illégales des groupes paramilitaires, le silence complice des sommets de l’armée se poursuit.

19.- José Adán Aguerri, président du Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP), estime que l’armée serait en mesure d’apporter sa contribution lorsqu’une commission de paix et de désarmement émergera du dialogue national.

20.- Elvira Cuadra, experte sur les questions de politique publique et de sécurité, suggère que l’armée prenne des mesures «pour protéger la vie et les droits humains des citoyens menacés par ces groupes irréguliers».

21.- Francisco Aguirre Sacasa, ancien Chancelier de la République, est d’avis que l’armée devrait éviter de s’impliquer dans le désarmement des civils armés qui soutiennent le gouvernement, car cela signifierait encore plus de sang versé.

22.- Roberto Cajina, consultant civil en matière de sécurité et de défense, déclare que «ce n’est pas la mission ou la fonction de l’armée de résoudre la crise politique».

23.- Le colonel Manuel Guevara, porte-parole de l’armée, a déclaré que cette institution soutiendra toute décision issue du dialogue national.

24.- Le gouvernement Ortega-Murillo a été en mesure de tuer, de torturer, d’arrêter et de faire disparaître les dissidents et s’en tient à la maxime selon laquelle le pouvoir ne se livre à aucun prix au nom d’une gloire future ou d’une réalisation supérieure.

Des mères, devant la prison d’El Chipote (Managua), réclamant des informations sur les «disparus»

25.- Le gouvernement Ortega-Murillo veut rester au pouvoir par la répression, le contrôle parapolicier, la fraude électorale et les gangs armés en consolidant de la sorte une matrice totalitaire. Infliger la mort est un instrument de la lutte pour conserver le pouvoir.

26.- Depuis la grève générale du 14 juin, nous sommes entrés dans une nouvelle étape de ce mouvement de rébellion civique. Le mouvement socio-politique progresse, sans retour à la situation antérieure au 18 avril.

27.- Le 30 juin, il y eut de multiples marches dans de nombreuses villes du pays: Managua, Ometepe (île du lac Nicaragua), Rivas, Granada, Estelí, León, Bluefields, El Viejo, Matagalpa, Sébaco, Somoto, Ocotal, Chichigalpa, Chinandega, Masaya, Juigalpa, Boaco, etc.

Au total, sur cette période, rien qu’à Managua, ont été mobilisées quelque 400’000 personnes et plus d’un million de personnes dans tout le pays. (Voir la carte politique du Nicaragua à la fin de l’article.)

28.- Les dernières marches montrent que le mécontentement et la lassitude à l’égard du gouvernement se poursuivent malgré la répression. Les éléments qui sous-tendent la protestation sociale et politique sont le totalitarisme, la corruption et la répression.

29.- Les Nicaraguayens vivant dans différentes villes du monde ont appelé à organiser simultanément une «Veillée mondiale et de Solidarité pour le Nicaragua» dans leurs villes de résidence respectives.

30.- Elles ont eu lieu dans des villes telles que Madrid, Barcelone, Washington, Miami, d’autres villes des Etats-Unis, Londres, Oslo, Paris, Buenos Aires, Copenhague, Francfort, Genève, Taipei, ainsi qu’au Salvador, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Brésil, Argentine, Colombie, Colombie, Vietnam, Canada, Mexique et aussi en Italie.

31.- La crise économique débouche sur une situation critique dans laquelle les citoyens souffriront du chômage, de l’inflation, de la réduction de leur consommation (souvent déjà fort réduite), de la détérioration de leur niveau de vie. Simultanément les profits de l’industrie locale et du commerce diminueront. L’investissement tend à être nul et le crédit à disparaître. L’économie est devenue le talon d’Achille du gouvernement.

32.- Le climat économique et financier s’assombrit donc de jour en jour. Il n’y a pas de signal clair pour générer une certitude parmi les investisseurs. L’effondrement de la confiance a des conséquences dans tous les domaines: baisse de l’investissement et de la consommation, pressions accrues sur le taux de change et augmentation du risque pays (avec les taux d’intérêt qui augmentent pour les créances).

33.– Le 27 juin 2018, la Banque centrale du Nicaragua (BCN) a déclaré avoir reçu un décaissement de 50 millions de dollars de la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE). Le recours à ce fonds est un signe de faiblesse. Il s’agit d’un fonds disponible pour tous les pays d’Amérique centrale. Le seul pays qui n’en avait pas encore fait usage était le Nicaragua.

34.- L’industrie touristique nicaraguayenne a perdu 230 millions de dollars en raison de la grave crise qui secoue le pays depuis plus de deux mois a averti Lucy Valenti, présidente de la Chambre nationale du tourisme (CANATUR). Selon Lucy Valenti, c’est le secteur le plus touché par le conflit. Trente-cinq pour cent des entreprises touristiques (hôtels et restaurants) ont été fermées. Cela a entraîné le licenciement ou la suspension temporaire de près de 65’000 des 120’000 employé·e·s du secteur.

35.- Après le secteur du tourisme, le système financier fait aussi face à des difficultés. A court terme, seuls les problèmes immédiats sont affichés. Lorsque les dépôts à terme deviendront exigibles, l’argent quittera le système financier ou le pays. Le niveau de risque des banques a considérablement augmenté. Il est possible qu’à la fin juillet ou plus tôt, la BCN exige plus de fonds propres.

36.- L’effondrement de l’activité économique entraînera également une augmentation de la pauvreté et du chômage, en particulier dans les secteurs du commerce, de la construction et du tourisme. Le gouvernement a perdu la confiance des investisseurs.

37.- Il y a plus d’un million de personnes qui, bien qu’elles ne soient pas pauvres à l’heure actuelle, sont exposées au risque de pauvreté.

38.- On parle beaucoup de la possibilité d’une «vénézualisation» du conflit. Je ne pense pas que ce soit la bonne interprétation parce que le Nicaragua est beaucoup plus faible économiquement et que le pays ne dispose pas des revenus pétroliers que le gouvernement Maduro contrôle.

39.- Le Nicaragua n’est pas le Venezuela où les revenus pétroliers permettent au gouvernement de maintenir, sélectivement, certains dons et avantages, même durant les pires moments traversés par son économie. De même, nous ne sommes pas dans les années 1980, lorsque les révolutionnaires qui soutenaient le gouvernement étaient prêts à faire des sacrifices extrêmes pour défendre la révolution. Autrement dit, la répression d’Ortega-Murillo ne fera qu’accélérer sa chute irrévocable et qu’augmenter la colère du peuple.

40.– Face à cette perspective, l’orteguisme cherche à réprimer la rébellion par une plus ample répression. Il a déclaré la guerre aux manifestants et promet de tuer, d’emprisonner, de dépouiller et de punir tout le monde, sans distinction d’origine ou de statut social. Ils ont déclaré comme ennemis des départements entiers, des organisations, des journalistes, y compris l’Eglise. Tous sont accusés d’avoir conspiré pour renverser le gouvernement par un coup d’Etat.

41.- Le gouvernement Ortega-Murillo a «animalisé» les protestataires les qualifiant de «bêtes, de serpents, d’hyènes» et ainsi de suite. Cela pour justifier la répression et les massacres de citoyens et citoyennes non armés.

42.- En deux mois, et avec beaucoup de difficultés, le couple Ortega-Murillo a réussi à énoncer un discours politique qui tente de rassembler ses partisans. Ceux-ci peuvent représenter entre 10% et 15% des électeurs. Je crois qu’au moins la moitié de la base électorale avec laquelle le binôme est arrivé au pouvoir, en 2007, a été perdue. Son discours actuel est celui d’une secte agressive disposant d’armes et de beaucoup d’argent, s’accrochant au pouvoir pour le pouvoir, sans capacité de gouverner le pays.

43.– Le mouvement insurgé a épuisé le stade de la spontanéité. Il est temps de passer à une étape d’organisation politique mobilisatrice. Une organisation qui se prépare à prendre le pouvoir politique soit par le biais d’élections, soit en envisageant une transition avec un gouvernement provisoire face à la démission ou au retrait abrupt du gouvernement actuel.

44.- La répression est le seul recours du gouvernement Ortega-Murillo. Un gouvernement de coalition nationale a beaucoup plus à offrir à la population et même à ceux qui soutiennent le gouvernement Ortega-Murillo et qui souffrent également des conséquences de la crise.

45.- Les micros, les petites et moyennes entreprises travaillent actuellement à hauteur de 10% %, tandis que plus de 3000 entreprises ont fermé leurs portes en raison de la crise. Au cours des deux derniers mois, 260 millions de dollars ont été perdus pour ces entreprises. Le secteur des chaussures en cuir, des meubles en bois et du secteur métaux et mécaniques fonctionnent à des capacités ne dépassant pas les 15%.

46.- Selon la Fédération du commerce de fret d’Amérique centrale, près de 6000 camions sont bloqués sur les routes du Nicaragua comme résultat du conflit. Le Nicaragua est un passage obligé du Panama au nord de l’Amérique centrale et du nord au Panama. On estime que les pertes en Amérique centrale dues aux barrages du Nicaragua s’élèvent à plus d’un milliard de dollars.

47.- L’Association des industriels latino-américains (AILA) s’inquiète de l’impact de la crise nicaraguayenne sur l’économie de la région d’Amérique centrale. L’AILA a noté que le conflit politique a affecté des domaines tels que le commerce et le tourisme, qui sont paralysés, avec des effets négatifs non seulement sur l’industrie nicaraguayenne mais sur celle de toute l’Amérique centrale. L’AILA a également indiqué qu’il n’y a pas de climat stable au Nicaragua pour attirer les investissements nationaux et étrangers, et ainsi générer des emplois et du développement dans le pays.

L’enquête de la CDIH a commencé…

48.- Le dimanche 1er juillet, le directeur exécutif de la CIDH, Paulo Abrao, est arrivé à Managua avec les membres du Groupe international d’experts indépendants (IPGI). Ils collaboreront aux enquêtes portant sur les morts, les blessés et les allégations de violations des droits de l’homme.

49.- La visite de ce groupe d’experts a suscité de grandes attentes parmi les organisations nicaraguayennes de défense des droits de l’homme afin de pouvoir déterminer l’identité de ceux qui ont perdu la vie, leur âge, leur sexe, qu’ils soient étudiants ou non, la recherche de détenus, d’otages, de personnes disparues et autres ainsi que le rôle de la police.

50.- L’archevêque de Managua, le cardinal Leopoldo Brenes et l’évêque de Matagalpa, Mgr Rolando Álvarez, se sont rendus à Rome le 27 juin pour une audience privée avec le pape François afin de discuter de la crise au Nicaragua.

51.- La rencontre a eu lieu le 30 juin 2018. La Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN) a rapporté que la rencontre entre les deux religieux nicaraguayens et le Pape François a été «très fructueuse».

52.- Dans une déclaration, le «Rome Reports», le cardinal Brenes a déclaré que «nous l’avions vu lors des deux guerres que nous avons eues [1978-1979 révolution sandiniste contre la dictature somoziste; la guerre menée par la «contra» contre le gouvernement sandiniste de 1982-1988], où plus de 50’000 personnes sont mortes, mais il s’agissait d’affrontements armés. Un groupe armé contre un autre groupe armé. Mais ici, ce sont des actes criminels contre des gens qui marchaient dans la rue, sans arme à feu ou quelqu’un non armé derrière une barricade. C’est beaucoup plus dur qu’une guerre». Il a appelé à l’arrêt de la violence gouvernementale.

53.- Dans des déclarations à la Revista Panorámica, à Rome, le cardinal Brenes a dit que l’Eglise fait tout ce qui est en son pouvoir pour trouver une solution négociée au Nicaragua. La proposition d’avancer la date des élections qu’ils ont remise au Président Daniel Ortega «n’est pas un projet de la CEN mais, comme nous l’avons dit dans un communiqué, c’est le sentiment de tout le peuple nicaraguayen et nous sommes les porte-parole de ce sentiment».

54.- Mgr Rolando Álvarez, évêque de Matagalpa, a expliqué qu’ils se sont rendus au Vatican «pour partager avec le Saint-Père la douleur et la souffrance du peuple nicaraguayen».

55.- Selon la CEN, le message du Pape François est très clair: soutien total aux évêques et à la démocratisation au Nicaragua. Selon le cardinal Brenes, le pape François est préoccupé par la situation au Nicaragua.

56.- Dagens Nyheter, le quotidien suédois qui compte un million d’abonnés et qui est en même temps le journal le plus largement diffusé dans les pays nordiques, publie un article sur le Nicaragua en première page, le 1er juillet 2018. Dans un entretien, Mgr Silvio Baez (évêque auxiliaire de Managua) demande l’aide de la Suède, qui assumera la présidence du Conseil de sécurité des Nations Unies: «Nous espérons qu’à travers la Suède, les yeux du monde pourront se tourner vers le Nicaragua, et nous aider à réaliser la démocratie et la justice qui nous ont été refusées pendant tant d’années dans ce pays».

57.- La porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Maria Adebahr, a déclaré à propos de la situation au Nicaragua que Berlin est actuellement «très préoccupé» par la «stabilité au Nicaragua» et qu’il suit de près l’évolution de la situation. Le gouvernement allemand, a ajouté la porte-parole, exhorte tous les acteurs à entamer «un dialogue qui mènera à un processus politique ordonné» afin que la «cohabitation pacifique» puisse être réalisée au Nicaragua.

58.- Au cours des derniers mois, l’accaparement illégal de terres a augmenté, en particulier des terres appartenant à des propriétaires de grandes entreprises. Les producteurs de tomates disent que ces «expropriations» ont le soutien du gouvernement Ortega-Murillo.

59.- Le groupe économique Coen, par l’intermédiaire de son représentant légal, Carlos Zúñiga, a dénoncé que des personnes non identifiées ont envahi une propriété à Managua qui appartient à cette firme. Il a déclaré que d’autres terres appartenant au groupe à Chinandega ont également été prises illégalement (voir points 15 et 16).

60.- Le Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP) a dénoncé l’utilisation de «forces paramilitaires et de groupes armés pour intimider et réprimer directement le secteur privé», en dirigeant et en organisant des saisies et des invasions de terres en dehors de la Constitution et de la loi».

61.- Daniel Ortega ne veut pas écouter. Le peuple exige qu’il démissionne, l’Eglise catholique lui a tenu tête et la communauté internationale continue de condamner son gouvernement. Mais Ortega, devenu dictateur, préfère se boucher les oreilles. Il espère que la fatigue ou la peur fera céder les manifestants. Un pari dangereux.

62.- Ortega envisage le pouvoir politique comme une place conquise qui se défend avec une répression aveugle et dont on ne sort que les pieds devant. Rien n’indique non plus qu’Ortega-Murillo ait l’intelligence historique qui leur permettrait de s’entendre pour obtenir «une sortie négociée» afin de quitter Managua.

63.- Ortega vit isolé et enfermé dans un monde éloigné de la réalité nicaraguayenne, où il n’a qu’un seul objectif: contrôler le pouvoir à tout prix. Pour y parvenir, il compte actuellement sur la police et les troupes de choc qui ont causé des dizaines de morts ces derniers jours, en toute impunité.

64.- Le couple Ortega-Murillo parie sur le «temps qui passe», sur un affaissement de la passion populaire et sur l’effet de dissuasion qu’elle exercera sur les manifestants. Ils appellent à une paix comprise comme «le silence des obéissants». Or, la violence brutale et meurtrière a conduit à l’effondrement complet de la légitimité du gouvernement.

65.- Depuis le début des manifestations, les femmes se sont emparées des rênes de nombreuses manifestations, au plan local comme sectoriel. Les mères des morts, des prisonniers politiques et les dirigeantes des organisations paysannes, ainsi que les responsables des marchés ont organisé des marches dans différentes villes.

Francisca Ramirez, dirigeante paysanne, qui a aussi mené la lutte contre le projet de «canal interocéanique»

Au moins un manifestant a été blessé le dimanche 1er juillet lors de l’attaque de la caravane de véhicules d’opposition – qui avait pour slogan «Le Nicaragua ne se rend pas» – qui a traversé plusieurs quartiers de la capitale pour exiger le départ d’Ortega-Murillo. Selon des témoins, l’attaque a été menée par des partisans du parti au pouvoir. Cette attaque à l’arme à feu s’est produite dans le quartier d’Andrés Castro, dans l’ouest de Managua. La caravane était dirigée par la dirigeante paysanne Francisca Ramirez.

Dimanche après-midi, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant la prison d’El Chipote à la recherche de parents qui y seraient détenus, arrêtés illégalement par des paramilitaires dans plusieurs villes. Les citoyens de Tipitapa, Sébaco et Nagarote cherchaient des jeunes qui ont été emmenés de force par des paramilitaires qui sont entrés dans les maisons avec leurs armes.

Gonzalo Carrión, directeur juridique du Centre nicaraguayen des droits de l’homme, a déclaré que 19 personnes ont été arrêtées dans la ville de Sébaco.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui a envoyé une délégation au Nicaragua, a appelé le gouvernement à se conformer à ses obligations internationales et à respecter le droit de manifester pacifiquement.

66.– La révolte sociale s’est également produite dans un panorama économique défavorable pour l’orteguisme. Après son retour au pouvoir en 2007, Ortega a bénéficié du soutien économique du Venezuela, ce qui a permis de maintenir des indicateurs de croissance qui relevaient d’un mirage.

67.- La crise vénézuélienne a réduit l’aide économique de 500 millions de dollars par an à presque rien. Ces coupes ont eu un impact sur la situation socio-économique et la population a commencé à désespérer. La physionomie effective d’un régime qui diminue les droits sociaux et réduit au silence ses détracteurs est devenue manifeste.

68.- Ortega est un personnage incapable d’apprécier les diverses exigences de la ville dans laquelle il vit [il est reclus dans le quartier El Carmen, à Managua; quartier qui est sous surveillance policière depuis des années]. Ses oreilles ne peuvent pas capter les exigences populaires parce qu’il vit dans l’isolement. Le dictateur a perdu toute possibilité de percevoir la voix des citoyens. Il n’entend ni les revendications sociales, ni les hurlements des blessés. Sa surdité politique le fait sombrer de plus en plus profondément chaque jour.

69.- Il est pratiquement certain que le couple Ortega-Murillo devra un jour quitter le pouvoir. La question est de savoir comment et quand, si leur départ sera précoce, pacifique et ordonné, ou lent et violent. C’est pourquoi le nœud gordien dans les négociations est sa destitution et la formation d’un gouvernement de transition. Sa chute est une question de temps. Nous sommes au début de la fin de l’orteguisme. (Managua, 1er juillet 2018; article envoyé par l’auteur; traduction A l’Encontre)

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Oscar-René Vargas est historien du Nicaragua, auteur de nombreux ouvrages sur ce pays et la région, ancien membre du Front sandiniste. Il assure, dans un contexte tumultueux, une chronique régulière pour le site A l’Encontre. Ses chroniques sont aussi publiées sur divers sites en langue espagnole. (Réd. A l’Encontre)

 

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