Nicaragua. Le régime Ortega-Murillo et les ennuis à venir 

Des membres des familles de prisonniers et prisonnières politiques exigent leur libération (31 mai 2019)

Par notre correspondant
au Costa Rica

1° La crise sociopolitique met toutes les ressources et les forces du pays à un degré de tension extrême. Cela signifie que l’organisation politique, le développement institutionnel, la cohésion idéologique, la force économique et le soutien du peuple au pouvoir – autant de facteurs vitaux pour le régime – entrent en crise.

 Dans un tout autre pays, un régime comme celui d’Ortega-Murillo, serait déjà tombé. Les manifestations de masse, la répression généralisée, la pression diplomatique internationale et les sanctions internationales imposées à des hauts fonctionnaires, auraient conduit à la démission d’un président. Nonobstant, le dictateur et son cercle intime de pouvoir continuent de s’accrocher à leurs postes, aidés par les paramilitaires, la police, les juges et la complicité passive de l’armée.

3° En juin 2019, il est prévu que les sanctions prises par la communauté internationale à l’encontre de certains hauts fonctionnaires s’appesantissent et avec cet alourdissement, il pourrait y avoir une limitation possible de l’accès au financement des organismes financiers internationaux.

4° L’acharnement du régime Ortega-Murillo à rester au pouvoir provoquera la banqueroute des institutions publiques.

5° Le mois prochain, une série d’événements seront de nature à compliquer les choses pour ce régime qui s’accroche indéfiniment au pouvoir. Ils seraient de nature à le forcer à négocier une issue politique :

6° En juin: l’approfondissement de la crise économique sera encore plus évident, avec la suppression des subventions à l’électricité pour les secteurs économiquement les plus vulnérables, la hausse des prix de la consommation de base, l’augmentation du chômage, la baisse du commerce, etc. Tout cela tendra à accroître le mécontentement social dans tous les secteurs sociaux.

7° Le 1er juin: prise de fonctions du président Nayib Bukele au Salvador, ce qui implique un changement dans le rapport de forces au niveau centroaméricain, avec des répercussions négatives pour ce qui est de la gestion du régime et le fait de pouvoir continuer d’obtenir des prêts de la Banque Centroaméricaine d’Intégration Économique (BCIE).

8° Le 13 et 14 juin: date limite du délai de 6 ans pour que l’entreprise chinoise HKND présente des preuves solides sur le financement de la construction du Grand Canal Interocéanique, de 50 milliards de dollars. Si les preuves n’étaient pas suffisantes, la loi autorisant la construction pourrait être abrogée sans dommages pour l’Etat nicaraguayen.

9° Les députés fidèles à Ortega-Murillo ont adopté, en juin 2013, la Loi 840, dite Loi du Grand Canal Interocéanique. Le lendemain, le 14 juin, Ortega signait avec Wang Jing, entrepreneur chinois, l’Accord-Cadre qui a concédé une partie du territoire du Nicaragua, pendant 100 ans, à son entreprise.

10° La clause 15.21 de l’Accord-Cadre, établit que, si la conclusion financière du sous-projet n’a pas eu lieu dans les 72 mois à compter du 14 juin 2013, « le Gouvernement, ou l’exécutant, pourront faire prévaloir le droit de mettre fin à la concession pour le sus-cité projet ainsi qu’à tous les droits, bénéfices et obligations, selon ce qui est stipulé par cet Accord ».

11° Depuis trois ans, aucune nouvelle de Wang Jing. Le gouvernement Ortega-Murillo n’a pas reparlé du Grand Canal, ce qui en dit long sur l’échec du projet. Cependant, la loi doit être abrogée. Elle l’est de facto par manquement d’une des parties.

12° 16 juin: élections générales au Guatemala pour élire le président et les députés. Il est probable que le nouveau gouvernement issu de ces élections ne fasse pas preuve de «neutralité», comme cela a été le cas du gouvernement sortant, à propos de la «crise nicaraguayenne». Au Honduras, on assiste à un approfondissement de la crise sociopolitique, avec les manifestations massives des enseignants du primaire et des travailleurs de la santé. Ce sont des éléments qui affaiblissent les alliés passifs du régime en Amérique centrale.

13° 18 juin: fin du délai établi, les 27 et 29 mars, pour la libération de tous les prisonniers et de toutes prisonnières politiques, selon les négociations passées avec l’Alianza Cívica.

14° 21 juin: fin du délai de 180 jours, accordé par la loi Nica Act (US), qui implique que le secrétaire d’Etat des Etats-Unis doit présenter son rapport au Congrès sur les actes d’atteinte aux droits humains, actes de corruption et de blanchiment d’argent commis par des fonctionnaires du gouvernement du Nicaragua.

15° Du 26 au 28 juin: la crise au Nicaragua sera un des sujets urgents que vont aborder les ministres des affaires étrangères latino-américains lors de la 49e Assemblée générale de l’Organisation des Etats Américains à Medellín, en Colombie. En principe, l’attente se centre sur l’adoption de solutions politiques pour sortir de la crise. Il en découle qu’avant la réunion, le gouvernement nicaraguayen ait respecté les accords signés lors du dialogue national.

16° Il y sera question de la crise des droits humains et des abus perpétrés par le gouvernement du Nicaragua. L’application de la Charte démocratique interaméricaine (CDI) pourrait être appliquée pour le Nicaragua, ce qui implique des limites pour l’obtention de prêts de la part de la Banque Interaméricaine de Développement (BID).

17° Selon l’article 21 de la Charte démocratique interaméricaine, «si les démarches diplomatiques ont été infructueuses, et en accord avec la Charte de l’OEA, celle-ci pourrait prendre la décision de suspendre à cet Etat Membre l’exercice de son droit de participation à l’OEA».

18° «L’Etat membre qui aura fait l’objet d’une suspension devra observer le respect de ses obligations en tant que membre de l’Organisation, en particulier en ce qui concerne les droits humains.»

19° A partir de ces énoncés, on ne peut pas déduire, tel que le disent certains observateurs, que l’application de l’article 21 permettra de considérer le régime Ortega-Murillo comme «usurpateur de fonctions publiques».

20°  Le régime est entré dans une étape historique d’agonie, mais les membres de la «nouvelle classe» ne peuvent s’accrocher qu’à leurs mantras. Ils font partie du pouvoir, sauf qu’à présent, ce dernier glisse entre leurs mains. Ils essayent de récupérer le pouvoir perdu et c’est bien pour cela qu’ils continuent de soutenir le régime et ses paramilitaires.

21° La preuve par excellence de la décadence du régime et de son discours est le fait de voir à présent comment le centre névralgique de ce système, le binôme Ortega-Murillo, est entré dans une crise irréversible qui laisse le gouvernement dans une nuit aussi obscure qu’inconnue.

22° Les incursions des paramilitaires dans les différentes villes du pays constituent des actes d’intimidation et de harcèlement contre des citoyens qui résistent. Elles signifient une atteinte au droit de manifester de manière pacifique, tout comme elles représentent des dangers de mort, d’intégrité et de sécurité pour toute la population.

23° La répression indiscriminée tout comme la militarisation des villes sont une preuve de faiblesse, non pas de pouvoir. Le pouvoir, en principe, devient invisible, puisque normalisé. Il s’installe et se présente comme naturel ou normal, et c’est bien ce que le régime ne parvient plus à faire depuis avril 2018.

24° Les membres de la «nouvelle classe» n’ont qu’un discours creux car le système qui leur a offert tant de biens matériels coule irrémédiablement. Les membres de la «nouvelle classe» cherchent à récupérer le pouvoir perdu, mais c’est en vain. Il n’y aura pas de marche arrière. (San José/Costa Rica, le 28 mai 2019; traduction A l’Encontre)

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