Mexique. «La pauvreté, ce fantôme qui emprisonne une grande partie de la société»

imagePar Nael Ramírez Domínguez

Nombreuses sont les préoccupations que nous avons chaque jour, certaines nous les vivons depuis un certain temps déjà, d’autres nous envahissant à l’avance de leur présence future. Cela va des frais d’inscription pour la nouvelle année scolaire aux médicaments pour la grand-mère. Des nécessités sans fin qui, par leur nature différente, paraissent indépendantes entre elles, mais qui en réalité font partie d’une grave condition dont souffre la majorité d’entre nous, la pauvreté.

Le terme de pauvreté nous cause souvent de la répulsion et nous aimerions ne jamais être caractérisés par ce terme. Souvent même, par ignorance, la pauvreté est l’objet de sarcasmes et de plaisanteries discriminatoires à l’égard de ceux qui en souffrent. Mais ce qui est certain, c’est que cet état en produit beaucoup d’autres, depuis la petite délinquance au crime organisé, en passant par la prostitution et l’addiction à la drogue. La pauvreté est également responsable de la détérioration des relations familiales, que ce soit par la migration ou la mobilité exigée par le travail, et elle empêche une grande partie de la population de développer ses compétences et ses talents afin de les offrir à sa communauté nationale et plus large.

Il ne faut pas penser à la pauvreté comme étant un problème passé. Elle est aujourd’hui très présente et il semblerait qu’au lieu de diminuer avec les politiques sociales du gouvernement mexicain, la pauvreté s’installe chaque jour plus profondément dans notre société. C’est ce qu’a révélé la dernière étude du Conseil national d’évaluation de la politique de développement social (CONEVAL) présenté à la fin du mois de juillet 2015. Celui-ci indique que le 46 pour cent de la population, c’est-à-dire 55,3 millions de personnes, se trouvent en situation de pauvreté extrême ou modérée.

Pour savoir ce que sont la pauvreté extrême et la pauvreté modérée, le CONVEVAL les définit ainsi : les personnes qui se trouvent dans la pauvreté extrême sont celles qui ont moins de 1242 pesos par mois dans des zones urbaines (76,60 dollars) et 868 pesos (40 dollars) par mois dans des zones rurales, et les personnes qui se trouvent dans la pauvreté modérée sont celles qui touchent moins de 2542 pesos (156,60 dollars) par mois en zone urbaine et moins de 1614 pesos (99,42) en zone rurale. Dans les deux cas, nous pouvons constater la précarité du revenu des personnes qui constituent la moitié de notre population mexicaine.

L’étude montre également qu’il existe un 33 pour cent de Mexicains, c’est-à-dire 40 millions de personnes qui se trouvent dans des conditions de vulnérabilité étant donné leur revenu ou divers manques, c’est-à-dire des personnes qui, à l’occasion de n’importe quelle tragédie, événement ou incertitudes, peuvent tomber dans les bras froids de la pauvreté. Ainsi, il ne reste dans notre société que 24,5 millions de personnes, c’est-à-dire le 20 pour cent de la population mexicaine, qui ne sont ni déjà pauvres ni en risque de le devenir.

Notre société se divise ainsi en un 80 pour cent de personnes pauvres et vulnérables et un 20 pour cent de personnes qui ne le sont pas. En terme de revenu, c’est une société polarisée et inégale. Ce phénomène socio-économique de l’inégalité a été analysé par le Dr Gerardo Esquivel dans une étude pour Oxfam Mexico intitulée Desigualdad Extrema en México : Concéntración del Poder Económico y Político. Il y mentionne qu’en 2012 il y avait aux Mexique 145’000 individus possédant une richesse nette supérieure à un million de dollars (sans compter leurs résidences) et qu’à eux tous, leur richesse atteignait un total de 736 milliards de dollars. Ces millionnaires représentent moins du 1% de la population totale, mais ils concentraient en 2012 près du 43 pour cent de la richesse totale du pays.

La profonde inégalité économique que vit le Mexique est sans doute le fruit du modèle économique mis en place depuis plus de trente ans déjà, le néolibéralisme, qui, avec sa logique de «libre-marché», a détruit la grande majorité de la propriété collective publique, remettant ainsi aux mains des monopoles privés les industries et les services qui auparavant servaient de base économique pour le développement national. Le néolibéralisme, en tant qu’idéologie économique, cherche à réduire le rôle de l’Etat dans l’économie et par là, l’investissement public dans des secteurs clés tels que la santé, l’éducation et la communication.

Face à cette inégalité abyssale, le Dr Esquivel propose des politiques sociales-démocrates qui réorienteraient l’actuelle politique gouvernementale. Comme premier point, il propose la création d’un véritable Etat social où il serait indispensable de remplacer les programmes assistancialistes, qui ne cherchent qu’à limiter quelque peu la profondeur et l’extension de la pauvreté, par des politiques sociales basées sur le droit garanti à l’alimentation et à la totale gratuité de l’éducation et de la santé à tous les niveaux. Comme second point, il propose une politique fiscale plus progressive, c’est-à-dire que ceux qui ont plus doivent contribuer (impôts) plus. Le troisième point, ce sont des dépensées mieux ciblées, des investissements publics qui stimulent développement dans le sud et le sud-est dans des secteurs comme la santé et l’éducation. Le quatrième point concerne la politique salariale où il propose de commencer un ample processus de récupération du pouvoir d’achat du salaire minimum et une «politique du travail» qui devrait chercher un rééquilibrage entre le pouvoir de négociation des travailleurs et du patron. Comme cinquième point, il faudrait des mécanismes de transparence et d’obligation de rendre des comptes qui exigeraient la constitution de programmes rigides contre la corruption à tous les niveaux.

Les propositions du Dr Esquivel manifestent une critique claire à l’égard de l’actuel modèle économique. Il propose de renforcer le rôle de l’Etat dans l’économie, en garantissant les droits sociaux et les droits du travail au moyen d’un plus grand investissement public. Ces propositions vont à contre-courant de l’actuelle politique de privatisations qui est en train d’avoir lieu dans le pays et qui menace maintenant le secteur de la santé.

La pauvreté, ce grand fantôme qui emprisonne la plus grande partie de notre société, a pour cause l’inégalité économique. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de richesse sociale, mais cette richesse est concentrée dans très peu de mains et il y a là un problème à discuter dans le cadre de l’économique politique. C’est au moyen de la politique que la profonde inégalité sociale au Mexique peut être combattue. La pauvreté n’a rien à voir avec la création de richesses, mais avec le niveau d’inégalité d’une société.

Il faut donc à choisir: accorder une plus forte présence dans l’économie à l’Etat ou laisser tout ce qui peut être objet de commerce dans les mains de monopoles privés, à savoir la santé, l’éducation, l’eau, etc. Il est temps de choisir entre plus de néolibéralisme et éradication de cette idéologie. (Traduction A l’Encontre ; article publié sur le site Rebelión)

 

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