Le mur «carioca» perforé de critiques

La favela Santa Marta «au sein» de Rio Janeiro et le mur en voie de construction

Par Fabiana Frayssinet*

En pleine polémique autour de ce mur grâce auquel lequel le gouvernement de l’Etat de Rio de Janeiro veut lutter contre l’expansion des favelas sur ce qui reste de la «forêt Atlantique» dans la ville [«o Bosque Atlántico»], les travaux se poursuivent [ils ont commencé le 28 mars 2009 et l’agence Reuters a indiqué qu’un des objectifs de ce mur était: rassurer les touristes «occidentaux»]. Il s’agit d’un mur impénétrable, mais qui, selon l’expression de ceux qui le dénoncent, a de nombreux «trous sociaux».

Parvenir jusqu’au mur n’est pas chose facile pour qui n’a pas l’entraînement physique des habitants des favelas, habitués à monter et à descendre plusieurs fois par jour les ruelles sillonnant les versants escarpés des collines carioca [«de Rio»]. Il n’est également pas facile, pour qui n’en a pas l’habitude, d’emprunter les labyrinthes souvent obscurs et sans ventilation qui relient entre elles les habitations de ces quartiers entassés.

Mais même pour qui ne connaît pas le terrain, il est difficile de se perdre. Le «mur écologique» est devenu une sorte de destination journalistique obligatoire à Rio depuis que sa construction a commencé à la fin du mois de mars 2009. Avant de se livrer à tout commentaire, les habitants de la favela de Santa Marta, très attentionnés comme la plupart des habitants de ces communautés, indiquent avec force détails le moyen d’y parvenir.

Ils vous font serpenter avec plaisir par les sentiers et la journaliste que je suis y parvient en tirant la langue. Elle essaie toutefois de maintenir sa dignité et le filet de voix nécessaire pour poser une ou l’autre question, voulant être témoin de la construction des premiers mètres du mur déjà célèbre.

Mur de Berlin ou de Palestine, comme l’a qualifié sur son blog l’écrivain portugais José Saramago, ou mur séparant les Etats-Unis et le Mexique, celui qui a déjà reçu de nombreux surnoms s’étendra en divers tronçons sur onze kilomètres, selon le plan du gouvernement qui prévoit de parvenir d’ici à fin de l’année à encercler dix-neuf favelas carioca.

Le directeur de l’Entreprise de Travaux Publics de l’Etat de Rio de Janeiro, Icaro Moreno, a dit à l’agence IPS qu’il s’agissait d’une mesure environnementale destinée à enrayer la déforestation déjà très avancée de la Forêt Atlantique. Cet écosystème, qui occupait autrefois une bonne partie de la côte brésilienne atlantique, et a déjà perdu 93 pour cent de sa superficie.

Pour illustrer ce propos, le fonctionnaire ajoute: «La limite était jusqu’ici virtuelle, il s’agit maintenant d’indiquer que ‘depuis ici, c’est à moi’. Ce que l’Etat a fait, c’est de dire: ‘si tu enfreins cette limite, c’est au patrimoine public que tu t’en prends».

Mais Nandson Ribeiro, un technicien en informatique qui habite à Santa Marta, voit le mur comme une cage. Selon lui, «la police surveille le lieu constamment», depuis que le gouvernement de l’Etat de Sergio Cabral [1] occupe la favela avec la répression, accompagnée d’«œuvres sociales», pour éradiquer la violence du narcotrafic. «De l’autre côté il y a le mur. Et plus loin la forêt», dit Ribeiro en traçant les nouvelles limites géographiques de sa communauté. Quand nous arrivons aux confins ultimes de Santa Marta, le mur vu de près ne nous surprend en rien. C’est simplement un mur de trois mètres de hauteur entre la forêt et les maisons de briques ou celles sur pilotis qui, toutes dépareillées, se penchent dangereusement sur le terrain incliné.

C’est là, selon le gouvernement, une autre raison de construire ce mur, a indiqué le Secrétariat aux Travaux Publics du gouvernement de l’Etat. Il s’agit d’éviter des catastrophes environnementales dues à la déforestation, ainsi que les inondations et glissements de terre et de boue qui provoquent souvent des morts au cours des étés carioca pluvieux.

Mais ce mur, qui coûtera environ 18 millions de dollars et qui est construit avec des matériaux tels que l’acier et le béton armé, est aussi un mur lourd de signification. Pour beaucoup de gens des favelas et pour des analystes sociaux, il accentuera encore la «représentation» de la ségrégation entre pauvres et riches.

«Rien de tout cela», réagit avec indignation Moreno. La population «peut entrer et sortir librement. Le mur est une forme de protection de la forêt», insiste-t-il. Les données alarmantes de la déforestation de la Forêt Atlantique ont, selon lui, contribué à la naissance de l’idée du mur. Une étude de l’Institut Pereira Passos, commandée par la mairie de la ville, a révélé que la moitié des 750 favelas de la ville, habitées par 1,5 millions de Cariocas, ont doublé leur taille entre 1999 et 2004. L’étude, réalisée à partir d’images de satellite, ne fait que confirmer ce que l’on peut percevoir à l’œil nu. Sans espace vers lequel elles puissent s’étendre, dans une ville quasi enfermée entre les collines boisées et la mer, les favelas se sont étendues vers les versants boisés des collines, en construisant sans aucun contrôle technique des habitations souvent à plusieurs étages. [une extension des favelas s’effectue aussi dans la zone éloignée de l’aéroport international de Rio]

La Rocinha, la plus grande favela de la ville, habitée par 200’000 personnes environ et dans laquelle se construira le plus long tronçon du mur, constitue le plus clair exemple de ce phénomène. Les constructions ne se sont arrêtées que devant une limite naturelle comme un rocher. A Botafogo, quartier de la zone sud, la favela Tabajara a traversé une colline auparavant arborisée et a crû jusqu’aux limites du cimetière municipal. D’autres avancent comme une traînée de ciment et de briques sur des zones écologiquement protégées.

Moreno reconnaît que l’idéal serait le contrôle des constructions, mais là non plus ce n’est pas facile, dit-il, car c’est dans le silence de la nuit et «sous les arbres» que le transport des matériaux commence et, le jour suivant déjà, une nouvelle habitation est là, comme surgie du néant. Les gouvernements successifs ont vainement essayé de reboiser les versants des collines en faisant participer à la tâche la population des favelas.

Ils ont également eu recours à des mesures moins populaires parmi certains secteurs sociaux, comme celle initiée par le secrétaire à l’Environnement précédent, Carlos Minc, aujourd’hui ministre du gouvernement Lula en charge de l’environnement. Ce dernier à fait démolir des cabanes construites dans des zones protégées, en même temps qu’il démolissait des demeures de riches, érigées illégalement dans des lieux similaires.

Mais toutes ces mesures se sont heurtées à une réalité aussi dure que le béton armé de ce mur: la grave pénurie de logements que connaît le Bérsil: un manque de presque huit millions d’habitations, selon les estimations officielles les plus conservatrices.

Parmi les situations les plus graves, il y a celles des Etats du sud du pays, comme Río de Janeiro, São Paulo et Minas Gerais, Etats dont les riches capitales sont les plus grandes réceptrices d’immigrants pauvres venant de l’intérieur de ce pays, qui, rappelons-le, compte un peu plus de 190 millions d’habitants.

«La mairie est en train d’essayer d’effectuer un contrôle urbanistique pour défendre l’environnement», dit en réfléchissant José Hilario dos Santos, le président de l’Association des Habitants de Santa Marta. «Mais il est un peut tard», dit-il, «parce que les communautés se sont maintenant agrandies et elles n’ont aucun autre lieu où elles puissent vivre».

Quelques jours avant de commencer la construction du mur, le gouverneur Cabral, allié du président Luiz Inácio Lula da Silva avec lequel il instaure des plans conjoints de «pacification», d’œuvres sociales et de génération de revenus dans les favelas [micro-cédit], a annoncé un programme ambitieux de construction de logements qui concernera son Etat.

Le «paquet pour le logement», avec un investissement de 15,4 milliards de dollars, a comme objectif de réduire de 14% le manque de logements du pays par la construction d’un million de logements d’ici à 2010. A ces millions devraient, selon dos Santos, s’ajouter ceux du mur censé n’être qu’«une mesure environnementale, mais Dieu seul sait jusqu’où elle ira» !

Pour le leader communautaire, l’unique mur qui aurait un effet, c’est le mur «social» qu’on érigera en investissant plus de fonds que ce que nous avons vu jusqu’à maintenant dans des plans pour le logement, la culture, le travail, «pour sortir les jeunes du désœuvrement», pour le sport, «pour les sortir des drogues», pour l’éducation et les garderies.

Faire juste un trou dans le mur, pour regarder de l’autre côté: vers le futur… (Trad. A l’Encontre)

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* Fabiana Frayssinet travaille pour l’agence de presse Inter Press News Agency.

1. L’hebdomadaire Brasil do Fato, le 25 octobre 2007, caractérisait ainsi le gouverneur de l’Etat de Rio: « Sérgio Cabral, gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro, est aujourd’hui l’une des figures politiques les plus nuisibles. Sans relâche, il justifie la (visible) violence policière dans les zones pauvres de cette ville. La dernière en date de cet homme, qui est un des responsables de l’aggravation du climat de violence dans la ville de Rio de Janeiro, est d’affirmer que les habitants des favelas, quand ils se plaignent d’une action policière, sont payés par les trafiquants. Ce qui revient à dire que la politique de l’Etat qui engendre la barbarie policière est justifiée. Quotidiennement, les journaux du web montrent des images de policiers montant dans les morros (collines où sont installé des favelas) avec leur mitraillette, à la recherche de trafiquants. A priori, tout citoyen qui vient à mourir dans un supposé affrontement est un trafiquant. S’il s’agit d’un travailleur, comme souvent c’est le cas, peu importe, les autorités de la zone de sécurité vont justifier la violence à tout prix et condamner celui qui, dans les quartiers pauvres, dénonce la violence policière. » Ce qui n’empêche pas le gouvernement Lula d’en faire un de ses alliés. (Réd.)

(12 avril 2009)

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