Brésil. Toutes les 23 minutes un jeune Noir est assassiné

Par Marcela Aguilar

Si vous êtes Noir, si vous êtes pauvre, si les flics en ont décidé ainsi, si vous vivez dans la périphérie, si vous avez une «affaire», alors vous êtes en danger au Brésil. Vous pouvez être la prochaine victime. Selon le rapport final de la Commission parlementaire d’investigation (CPI) du Sénat sur les assassinats de jeunes publié en 2016, toutes les 23 minutes un jeune Noir est assassiné au Brésil. Ce qui correspond à 23’000 jeunes Noirs de 15 à 29 ans chaque année. Le taux d’homicide des jeunes Noirs est quatre fois plus élevé que celui des Blancs. Et s’ils ne vous tuent pas, ils vous gardent en détention. C’est le cas de Rafael Braga, qui trie des déchets, la seule personne qui ait été maintenue en prison depuis les révoltes de juin 2013 [révoltes qui ont commencé contre la hausse des tarifs du transport public et qui se sont étendues contre les effets de la politique – de déplacement, entre autres, des logements populaires – propre à la construction des infrastructures pour le Mondial de football].

A l’époque, la police l’avait arrêté et accusé d’être en possession d’explosifs, alors qu’il ne faisait qu’avoir sur lui deux bouteilles fermées d’un produit désinfectant [des jeunes avaient des bouteilles de vinaigre pour se protéger des gaz utilisés par la police; la formule Révolte du vinaigre a été d’ailleurs appliquée à cette révolte]. Puis, alors qu’en janvier 2016 il passait un mois en régime semi-ouvert, avec un bracelet électronique, la police l’a arrêté dans la favela Vila Cruzeiro, qui fait partie de l’immense favela Complexo do Alemão, dans la zone nord de Rio de Janeiro. Voici ce qu’avait déclaré à ce moment son avocat, Lucas Sada, au média électronique Ponte jornalismo: «Les policiers sont arrivés en jurant […], ils l’ont menacé de viol, ils lui ont dit que s’il ne parlait pas ils allaient le bouffer, qu’ils allaient le matraquer, et qu’ils allaient lui «placer» des armes et de la drogue», pour étayer l’arrestation et la gravité de l’accusation.

Dans le même entretien, Sada ajoute: «Cette action frauduleuse de la police ne fait que renforcer le caractère sélectif du système pénal […]. Rafael est un jeune Noir, pauvre, qui se trouvait dans une région de vente de drogues avec ses tongs, sa liquette, ses bermudas et son bracelet électronique bien visible. Il était donc le stéréotype même du criminel, et le fait qu’il n’ait pas donné aux policiers ce qu’ils voulaient a fait de lui une victime facile à criminaliser. En fin de compte, qui va croire en la parole d’un Noir pauvre et récidiviste?» Et c’est bien comme cela que ça s’est passé.

Dans une sentence prononcée le jeudi 20 avril, le juge Ricardo Coronha Pinheiro, au nom du Tribunal de justice de l’Etat de Rio de Janeiro, l’a condamné à 11 ans et trois mois de prison et au paiement d’une amende de 1687 reais [529 CHF, donc très élevée]. Dans ce jugement, l’unique version prise en compte est celle de la police, qui dit que Braga portait «dans un but de trafic» 0,6 gramme de chanvre cultivé et 9,3 grammes de cocaïne. L’un des policiers militaires qui l’a arrêté dit qu’il a vu un groupe en train de courir, mais que Rafael Braga est le seul à être «resté sur place, comme distrait, avec un sac dans la main».

Ce même policier dit que la zone dans laquelle Braga a été arrêté est dominée par le Comando Vermelho [commando rouge créé en 1979; il a connu diverses évolutions, puis dans les années 2000, le CV s’affronte avec le Premier commando de la capitale (Primerio Comando de la Capital-PCC) pour le contrôle du territoire; les unités «pacificatrices» de la police militaire «montent au front» avec «force»]. Le CV est donc l’une des deux factions les plus importantes du crime organisé. Le juge affirme que «la simple expérience permet de conclure que personne ne peut trafiquer dans une communauté sans intégrer la faction criminelle qui pratique sur place le néfaste commerce de drogues, à moins de le payer de sa vie». Ce qui signifie que non seulement Braga est associé directement avec le trafic de drogues, mais avec le Comando Vermelho. Ce qui, soit dit en passant, est rusé.

Dès 2013 déjà, l’emprisonnement de Braga a suscité des résistances et des soutiens non seulement au Brésil, mais aussi à l’extérieur du pays. Braga a été considéré comme un prisonnier politique. Avec cette nouvelle condamnation, l’indignation a été ravivée, et les mouvements de défense des droits de l’homme maintiennent leur lecture de l’affaire: Braga est un prisonnier politique. Une nouvelle campagne en faveur de sa libération vient d’être lancée, et il y a eu le lundi après-midi [24 avril] des mobilisations dans plusieurs villes du pays. A São Paulo par exemple, s’est déroulée une veillée convoquée, notamment, par des organisations du mouvement noir et par les Mães de Mayo [les Mères du mois de Mai]. Ce groupe réunit les mères des plus de 500 jeunes qui ont été assassinés par la police entre le 12 et le 20 mai 2006 à São Paulo, lors d’une tuerie à laquelle s’était mêlée une vengeance policière (des attaques avaient précédemment été perpétrées par le Primerio Comando de la Capital contre des policiers). Toutes ces organisations et groupes exigent la libération de Braga.

Débora Maria Silva, l’une des fondatrices des Mères de Mai a crié dans le microphone: «On ne veut plus d’emprisonnement de masse, plus d’extermination ni d’assassinat dans la périphérie et dans nos favelas. Nous sommes ici pour dire que nous exigeons la libération de Rafael Braga, qui est victime d’une justice raciste et classiste contre les pauvres et les Noirs, ce que nous n’acceptons pas. L’Etat brésilien est génocidaire, assassin et oppresseur, et nous n’acceptons plus la violence de sa police. Ils sont en train d’exterminer nos fils. Rafael Braga est présent ici avec nous.» «Ce n’est ni la première ni la dernière fois», dit Zilda, l’une des mères des victimes d’une tuerie qui a eu lieu en 2015 à Osasco, dans la zone-Est de la région métropolitaine de São Paulo: «Je ne sais pas quand tout cela va prendre fin. Les choses ne font qu’empirer. Ils parlent de terrorisme à l’étranger, alors que le terrorisme est à l’intérieur. Je suis aussi triste de la mort de mon fils que de la situation elle-même, une situation dans laquelle personne ne dit rien et où chaque heure qui passe produit une boucherie. Allons-nous devoir accepter de voir nos fils mourir?» (Article publié dans le quotidien uruguayen La Diaria, le 28 avril 2017; article écrit depuis São Paulo; traduction par A l’Encontre)

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