Brésil. Qui donc sont ceux qui protestent en ce moment dans les rues?

Dimanche 4 septembre, à São Paulo, une manifestation pacifique attaquée par la police militaire
Dimanche 4 septembre, à São Paulo, une manifestation pacifique attaquée par la police militaire

Par Raquel Rolnik

Plus de 100’000 personnes sont descendues dans les rues de São Paulo le dimanche 4 septembre pour exprimer leur insatisfaction face à la « solution » trouvée à la crise politique, économique et institutionnelle que nous vivons. La « solution » Michel Temer et la coalition qui le soutient ont été clairement rejetées ici et dans plusieurs autres villes du pays par des millions de personnes. Lors du jour férié du 7 septembre [la Fête nationale du Brésil], 250’000 personnes supplémentaires ont fait de même dans tout le pays.

Qui donc était dans les rues ? Comme l’un des canaux principaux par où est passée – et passe encore – la structure qui a placé Michel Temer à la présidence sont les médias, il est important d’examiner comment les grands journaux et les chaînes de télévision ont présenté les événements à ceux qui n’étaient pas dans les rues.

Depuis les premières manifestations qui ont eu lieu après le vote sur la destitution de Dilma Rousseff [voir sur ce site, entre autres, les articles en date du 31 août, du 2 septembre, du 4 septembre 2016], l’image présentée par les médias a été celle de la violence. Selon ces médias, la Police Militaire combattrait l’action d’« émeutiers » et de « vandales » afin de garantir l’ordre. Ainsi, la voix de la rue – ce que les personnes qui ont été manifester ont dit – est totalement étouffée et passée sous silence, l’image selon laquelle il s’agit d’une action des « black blocs » étant constamment mise en avant.

J’ai participé à la manifestation du dimanche : elle s’est déroulée tranquillement pendant des heures et sur un long trajet et, après qu’elle a été officiellement levée, les manifestant·e·s qui essayaient de retourner à la maison par les transports publics ont été attaqués par des jets d’eau savonneuse (pour les faire tomber alors qu’ils tentaient de courir), du gaz poivré, des balles de caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Ces armes chimiques dites non létales torturent et blessent gravement ceux qui en sont victimes.

Une fois de plus, malgré le fait que plus de 100’000 personnes aient manifesté dans les rues, la Police Militaire a construit elle-même la scène de violence et provoqué la peur, avec pour clair objectif celui de décourager les manifestations et le possible soutien apporté par ceux qui n’étaient pas dans les rues.

Au-delà des flagrantes illégalités commises par la Police Militaire (qui, avant même que la manifestation ne commence dans la capitale pauliste, avait déjà arrêté 26 jeunes et les avait détenus durant presque 24 heures sans accès à des avocats ni contact avec leurs familles) ou de la présence, ou non, de casseurs dans les manifestations (ce qui également mériterait réflexion), je désire montrer ce que cache ce recours constant au thème de la violence et dire ce que ceux qui manifestent dans les rues désirent exprimer.

Je peux affirmer que la « marque » de cette voix, c’est la diversité. Diversité de mots d’ordre et de formes d’expression. Le slogan « Temer, va-t’en » [Fora Temer] est fort, bien sûr : mais il y a aussi celui de « Elections directes tout de suite ! » [Diretas Já], « Elections générales ! » [Eleições Gerais], « Reviens, Dilma ! » [Volta, Dilma], et « Je veux la fin de la Police Militaire » [Eu quero o fim da Polícia Militar »]. Les pancartes et les banderoles expriment aussi l’inquiétude occasionnée par la perte de droits conquis et demandent libertés et respect de toutes les identités, qu’elles soient sexuelle, de genre ou de couleur de peau, affirmant ainsi une vision de la démocratie qui ne soit pas uniquement formelle.

C’étaient des militants très jeunes. Il y avait beaucoup d’adolescents qui descendaient dans les rues avec leurs propres pancartes, vêtements, performances et chansons en se mélangeant, oui, aux centrales syndicales, principalement à la CUT, à des partis politiques comme le PT, le PCdoB ou le PSOL, et à des mouvements sociaux comme le MTST (Mouvement des travailleurs sans toit), la Centrale des Mouvements Populaires et autres.

Pour cette raison, et c’est là mon second point sur la « couverture » de la manifestation, il est mensonger et réducteur de dire que ceux qui manifestent sont des personnes liées au PT ou à la CUT, qui luttent politiquement pour survivre. Oui, c’est vrai que le Parti des Travailleurs (ainsi que les mouvements sociaux et syndicaux liés historiquement avec lui) est dans les rues, mais cela ne pourrait être autrement face à la déroute politique qu’il a subie dans ces derniers mois.

Mais quiconque était à ce moment dans la rue est témoin du fait que la « machine » de ces organisations – avec ses mots d’ordre centralisés et des militants souvent payés (comme c’est une pratique de plus en plus souvent utilisée par tous les partis en campagne électorale) – n’était plus la même. On peut voir dans les rues un renouvellement générationnel, culturel et politique.

Dans les multiples voix qui s’expriment dans les rues, des valeurs comme la justice sociale, le combat contre l’inégalité, les droits humains ou les libertés individuelles et collectives sont non seulement présentes, mais également « rénovées ». C’est un imaginaire social qui survit à l’attaque culturelle et symbolique que tout le processus de l’action en destitution de la présidente a armée en mettant directement en relation le rejet du PT avec le rejet de valeurs identifiées avec les mouvements historiquement représentées par le PT, ainsi que par la gauche en général.

Ce sont des valeurs refondées spécialement par l’action des femmes, du mouvement noir et par des individus représentés sous le sigle LGBTT, ainsi que par des groupes nouveaux, des associations, des collectifs et même des tribus qui ont émergé au cours de la dernière décennie, et qui remettent en question les formes mêmes d’organisation et de la représentation politique.

Ceux qui sont dans les rues veulent quelque chose de beaucoup plus radical que ce qu’ils voulaient auparavant, parce qu’ils sont insatisfaits de la situation qu’ils vivent. Ce que nous voulons, c’est changer les structures de l’Etat et de la politique.

C’est une génération qui est à peine en train d’émerger et elle a de nombreuses années de lutte devant elle. (Article publié dans le Correio da Cidadania le 9 septembre 2016; traduction A l’Encontre)

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