Brésil. Les hôpitaux s’effondrent et l’image de Bolsonaro se délite

Par Eric Nepomuceno

Entre le 14 et le 20 de ce mois de janvier, au moins 78 personnes sont littéralement mortes par asphyxie dans les États d’Amazonas et de Para, au nord du Brésil: il y avait un manque d’oxygène dans les unités de soins intensifs. Près de 1000 autres personnes sont mortes dans la région à cause de l’effondrement des hôpitaux.

Les scènes de médecins essayant désespérément d’aider leurs patients à respirer ont coïncidé avec la fuite de dizaines de patients hospitalisés qui ont choisi de mourir chez eux plutôt que de continuer à souffrir de voir des gens suffoquer à côté d’eux.

Six jours plus tôt, le 8 janvier, le général Eduardo Pazuello – mis en place [le 16 septembre 2020] par l’ultra-droitier Jair Bolsonaro comme ministre de la Santé et supposé spécialiste dans la logistique – a été informé, en urgence, qu’à Manaus, capitale de l’État, l’oxygène pour les hospitalisés s’effondrait [voir à ce propos l’article publié sur ce site en date du 18 janvier 2021]. Et il n’a rien fait.

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Les avertissements de médecins et de chercheurs hautement qualifiés ne manquent pas: la tragédie vécue à Manaus pourrait s’étendre à tout le pays. Les hôpitaux, tant publics que privés, dans plusieurs États brésiliens, dont São Paulo, Rio de Janeiro et Minas Gerais, les trois principaux, sont déjà dans une situation d’effondrement ou sur le point de l’être.

Les mesures de confinement si durement combattues par Bolsonaro sont décrétées sans enthousiasme par des gouverneurs et des maires, et rigoureusement ignorées par une grande partie de la population. Je dis «sans enthousiasme» parce que le contrôle est minimal et que l’irresponsabilité d’une partie du peuple est infinie [outre ceux et celles qui sont contraints de maintenir des activités risquées car ne disposant que de moyen de survie au jour le jour].

Parmi les pays ayant un certain poids sur la scène mondiale, le Brésil est le seul qui n’ait pas réussi à rechercher rigoureusement une coordination pour faire face à la pandémie la plus meurtrière de ces cent dernières années au moins. Maintenant, des données concrètes commencent à apparaître indiquant qu’au-delà de l’ineptie, le gouvernement militarisé dirigé par Bolsonaro a agi directement pour saboter les mesures qui pourraient atténuer la tragédie.

En avril de l’année dernière, le Brésil a été officiellement invité à rejoindre une alliance mondiale pour les vaccins, qui visait à réunir 155 pays pour assurer la vaccination contre le Covid-19. Il s’agit du «Covax» et, selon les règles de cet ensemble, le pays pourrait commander plus de 200 millions de vaccins, soit assez pour la moitié de sa population (en considérant deux doses pour chaque habitant).

Grâce au nombre de ses habitants, le Brésil aurait été parmi les cinq premiers pays à recevoir des vaccins. Bolsonaro a refusé de rejoindre le groupe.

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En août, Pfizer a contacté son gouvernement pour lui proposer 70 millions de doses de son vaccin, qui seraient disponibles en décembre. Il n’y a jamais eu de réponse officielle du ministère de la Santé dirigé par un général d’armée en activité, dont la seule fonction visible est d’obéir aveuglément à un capitaine à la retraite.

La séquence des absurdités est longue, longue. Son caractère: mortel, meurtrier, génocidaire.

Bolsonaro se vante d’avoir réussi à importer deux millions de doses de vaccins de l’Inde. Il oublie deux choses. Tout d’abord: il continue à nier l’efficacité de la vaccination et il continue à diffuser des «informations» absurdes. Ensuite: deux millions de doses ne sont rien dans un pays d’un peu plus de 210 millions d’habitants.

Et n’oublions pas un troisième élément: il a fallu tellement de temps pour bouger que le Brésil a payé pour chaque dose de ce vaccin un peu plus du double de ce que payaient les pays européens beaucoup plus riches, mais qui ont eu la prudence de commander le vaccin au milieu de l’année dernière.

La loi brésilienne définit ce que sont les «crimes de responsabilité», ce qui suffit à destituer les dirigeants irresponsables. Jair Bolsonaro en a commis au moins quatre douzaines. Ces derniers jours, la pression s’est accrue de façon palpable pour que le Congrès, en particulier la Chambre des députés, et les tribunaux supérieurs fassent avancer un rapide procès du président génocidaire.

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Hier, samedi 23 janvier, il y a eu des manifestations dans presque tous les États brésiliens. A l’appel des mouvements de gauche, des files de voitures ont défilé – rien qu’à Brasilia, il y en avait environ 500 – aux cris de «Dehors Bolsonaro!». São Paulo et Rio furent aussi des capitales dans lesquelles on assista à des défilés bruyants.

Ce 24 janvier, des défilés de voitures sont prévus, cette fois-ci appelés par la droite, qui a soutenu Bolsonaro jusqu’à ce qu’il commence à montrer des signes évidents non seulement d’inefficacité mais aussi de déséquilibre psychologique radical.

Les sondages d’opinion montrent que l’approbation de son gouvernement fond comme neige au soleil. Si le soutien était déjà minoritaire depuis un certain temps, il est maintenant minime. Mais le chaos continue, la tragédie continue, le pire président de l’histoire de la république brésilienne continue. Il est un concurrent direct des dictateurs qui ont pris le pouvoir à tour de rôle entre 1964 et 1985, dictateurs tant admirés par lui, avec leurs tortionnaires sanguinaires, mais qui n’ont pas réussi à produire une dévastation telle que celle que Bolsonaro a imposée et impose à ce pauvre pays. (Article publié dans le quotidien argentin Pagina 12 en date du 24 janvier, écrit par son correspondant basé à Rio de Janeiro; traduction rédaction A l’Encontre)

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