Brésil. Le dernier soupir des manifestations

BresilPar Agnese Marra

La période de vacances ainsi que le déroulement des Jeux olympiques qui se sont ouverts le vendredi 5 août ont contribué à ce que les Brésiliens ne descendent pas à nouveau en masse dans les rues pour s’opposer ou soutenir l’impeachment [destitution de Dilma Rousseff]. La fatigue après plus d’une année de protestations, conjuguée au sentiment que les carottes sont cuites – et que les possibilités qu’a Dilma Rousseff de regagner son poste sont faibles –, semble constituer les cause les plus probables permettant de comprendre qu’autant la gauche que la droite soit démobilisée.

A Copacabana, la centaine de personnes enroulées dans leurs drapeaux jaunes et verts [couleurs du Brésil] exigeant la destitution définitive de la présidente se mêlaient à la multitude de touristes, de sportifs des délégations étrangères ainsi qu’avec les cariocas [terme désignant les habitant·e·s de Rio] eux-mêmes qui sortent le dimanche courir sur la promenade ou faire du vélo. L’une des rares personnes qui ait réussit à attirer l’attention du public a été le député Jair Bolsonaro (qui a dédié son vote en faveur de l’impeachment au tortionnaire de Rousseff lorsqu’elle était guérillera), qui se promenait sur l’Avenue Atlantique avec une torche olympique jouet à la main aux côtés d’un personnage habituel dans les manifestations contre Dilma, qui porte un costume de Batman et se présente comme étant un « chasseur de corrompus ».

Devant l’église de la Candelaria, au centre de la ville, environ cinquante personnes portant des drapeaux du Parti des travailleurs manifestaient leur appui à la présidente. Le cri « dehors Temer » [l’ancien vice-président de Rousseff, actuel président par intérim] se faisait toutefois entendre de manière improvisée dans les rues. A 17 heures, sur la place San Salvador, en même temps que le spectacle de chorinho [musique populaire] de tous les dimanches, un public varié de jeunes et de personnes plus âgées ont commencé à scander Fora Temer. Ce n’est pas en vain, puisque depuis plus de deux mois divers groupes de gauche se réunissent sur cette place pour débattre des actions possibles « contre le coup ». A la fin de la nuit, à Santa Teresa, les clients d’un bar se sont approprié du cri de guerre contre le président par intérim et tous ceux qui passaient dans la rue se sont unis pour chanter contre Temer.

Les manifestations qui se sont déroulées dans 20 Etats du pays n’ont pas rassemblé plus de 5000 personnes. La seule ville où ce chiffre a été dépassé a été São Paulo, où la manifestation en faveur de la présidente ou, pour le dire mieux, contre son remplaçant, a fait descendre sur la place de Largo da Batata près de 40’000 personnes menées par Guilherme Boulos, le président du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), l’un des nouveaux dirigeants importants de la gauche brésilienne.

Sur l’Avenida Paulista [l’une des artères principales de São Paulo], les manifestants contre Dilma étaient bien moins nombreux (la police n’a pas fourni d’estimations), et seuls les plus radicaux ont attiré l’attention. Un discours d’Alexandre Frota, l’ancienne star porno, qui s’est intéressé dernièrement à la politique et qui est proche du groupe qui exige un retour du régime militaire, a offert de quoi discuter pour toute la semaine. Frota a baptisé Jean Wyllys, le député de gauche (du PSOL) de « pédé », a affirmé qu’il cracherait sur l’ancienne ministre des droits humains Maria do Rosario (PT) et, enfin, il a caractérisé de « morts-la-faim » le chanteur Chico Buarque, le présentateur de télévision Jô Soares ainsi que l’acteur Wagner Moura, lesquels s’étaient manifestés contre l’impeachment.

L’actrice Leticia Sabatella a également été insultée à Curitiba : lorsqu’un manifestant favorable à l’impeachment l’a vue passer dans la rue, il a commencé à lui hurler dessus « pute », « pleure, pétiste », « clocharde ». Sabatella est connue pour défendre différentes causes liées aux droits humains et à l’écologie : « nous vivons un exercice d’intolérance et d’autoritarisme d’ampleur. Les discours appelant à la haine que l’on entend dans le pays incitent les gens à tout cela. Ils croient qu’en parlant ainsi ils sont plus citoyens, qu’ils sont plus politisés. Ils pensent que pour vivre bien, l’autre, le différent, ne doit pas vivre. C’est là ce qu’il y a à voir de plus douloureux », a-t-elle déclaré à l’édition brésilienne d’El País.

Début août, le président de la commission de l’impeachment du Sénat, Antonio Anastasia (PSDB), a donné son feu vert à la poursuite du procès politique contre Rousseff [1]. Dilma aura besoin du vote de 28 sénateurs pour éviter le processus ; si elle ne les obtient pas, la décision finale sera prise, à partir du 29 août, par Lewandowski, chef du Tribunal fédéral suprême [au matin du mercredi 10 août, par 59 voix contre 21, les sénateurs ont décidé de reprendre le procès en destitution de Dilma Rousseff, suspendu depuis fin mai ; il devrait se tenir à partir du 25 août]. Cependant, le 3 août, le président en fonction, Michel Temer, a fait pression sur le Tribunal suprême pour que le vote soit anticipé au 26 août. Les dates ne sont toujours pas confirmées.

Dilma Rousseff a également utilisé ses armes. Elle a affirmé lors d’une interview à BBC Brésil que si elle passait la procédure d’impeachment, elle serait disposée à convoquer de nouvelles élections. C’est là aussi le désir de 62 % des brésiliens, selon la dernière enquête publiée fin juillet par Data Folha. Cela fait des mois que le PT envisage l’option que Dilma convoque un plébiscite demandant si la population souhaite de nouvelles élections. Toutefois, pour que ce plébiscite (considéré comme étant « inconstitutionnel » par divers juristes) ait lieu, l’aval du Congrès est nécessaire. Bien que Temer soit rejeté par 82 % de la population, le soutien du législatif a toujours été sa meilleure carte. Les réunions qu’il a eues au cours des derniers jours avec différents sénateurs montrent qu’il la contrôle suffisamment.

De leur côté, des mouvements sociaux comme le MTST et le groupe Povo sem medo (peuple sans peur) ont confirmé qu’au cours du mois, pendant la durée des Jeux olympiques, réaliseraient différentes actions à Rio de Janeiro pour attirer l’attention de la presse internationale « contre le coup de Michel Temer ». Ces jeux, qui ont débuté avec une présence minimale de chefs d’Etat, qui ont préféré ne pas venir afin d’éviter des problèmes diplomatiques en raison de la crise politique du pays, semblent être également l’une des dernières scènes où se joue la bataille sociale contre l’impeachment. La bataille légale restera aux mains du Tribunal fédéral suprême (article publié le 5 août sur le site uruguayen brecha.com.uy; traduction A l’Encontre)

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[1] Le mardi 16 août 2016, le Tribunal suprême fédéral a autorisé une enquête contre Dilma Rousseff pour entrave à justice. Cette décision est intervenue suite à une intervention de Dilma Rousseff clamant son innocence dans le cadre de la procédure de destitution pour des présumés maquillages des comptes publics. Le procès en destitution doit s’ouvrir au Sénat le 25 août 2016. La décision est attendue dans les cinq jours. (Réd. A l’Encontre)

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