Brésil. A quoi pourrait ressembler un gouvernement Bolsonaro?

Par Valerio Arcary

Le drame de la campagne de cette semaine [1] ne peut être comparé qu’avec la campagne de 1989 [élections où s’affrontaient entre autres Fernando Collor de Mello et Luiz Inacio Lula da Silva, qui obtinrent respectivement 53% et 47% – Réd.]. L’issue effective de l’élection ne sera connue que le dernier jour. Le pays est divisé en deux. J’écris ces lignes alors que ce qu’il y a de plus actif et conscient dans la gauche brésilienne essaie actuellement de réunir des votes. Nous nous souviendrons toute notre vie de ce dimanche. Nous sommes face à un carrefour. Les cinq sondages confirment bien que Bolsonaro perd des votes alors que Haddad en gagne. Il n’y a pas de doute sur l’existence de cette dynamique. Jusqu’à aujourd’hui Haddad gagne plus de votes que Bolsonaro n’en perd, mais les deux tendances convergent dans la même direction. Bolsonaro est allé trop loin dimanche passé dans ses attaques. Une vague s’est levée tout au long de cette semaine. Une vague grande, puissante, ayant à son avant-garde les plus pauvres, la jeunesse, les femmes et les rassemblements monumentaux du Nordeste. Mais nous ne savons pas si la force de cette vague sera suffisante. On peut en douter.

Beaucoup m’ont demandé, inquiets, ce qu’il faut attendre d’un gouvernement Bolsonaro, si nous n’arrivons pas à faire basculer les élections ce dimanche. Des analyses de conjoncture sérieuses doivent déboucher sur des hypothèses de travail. Faire des prévisions est un exercice légitime. L’anticipation de scénarios est indispensable pour nous préparer. Mais nous devons rester prudents sur les pronostics.

Bolsonaro n’est pas comparable à Temer. Il s’agira plus que d’un changement de gouvernement, il s’agira d’un changement de régime politique. Ce changement sera un processus et non un simple événement mais une sorte de coup post-électoral. Le régime électoral semi-présidentiel qui a perduré pendant trente ans sera, cependant, mis au défi par le gouvernement lui-même.

Ainsi, Michel Temer [qui fut le vice-président sur le ticket de Dilma Rousseff en 2014] n’était lui-même pas comparable au gouvernement Dilma Rousseff. Il s’agit de changements qualitatifs et non quantitatifs. Il existe deux dangers symétriques pour la gauche: sous-estimer ou surestimer l’impact de la victoire de Bolsonaro. Les conséquences de ces deux erreurs ne seront pas équivalentes. Face à la possibilité d’une victoire d’un néofasciste, la première erreur (sous-estimer) est plus grave que la seconde (surestimer). Nous devons toujours nous préparer pour le pire scénario quand les libertés démocratiques sont en danger.

Cela signifie qu’il faut reconnaître que dans le cas, certes malheureux, d’une victoire de Bolsonaro, nous nous trouverons dans une situation directement réactionnaire et placés sur la défensive. Dans cette conjoncture, les premiers éléments d’un processus contre-révolutionnaire se manifesteront. Ces deux cas de figure sont mauvais bien que différents. Bien sûr, une victoire de Bolsonaro peut ouvrir le chemin à une dynamique terrible. Il y aura de la résistance, c’est certain. Mais la dynamique réactionnaire s’accentuera encore. Le courant électoral fascisant en sortira immensément renforcé. Les conditions pour que le Parti social-libéral (PSL) qui était il y a encore six mois une«legenda de aluguel» fantôme [2] se transforme en un parti politique néofasciste de masse se sont développées [en prenant appui sur des structures parallèles telles que les réseaux des Eglises évangéliques, le Mouvement Brésil libre, des secteurs de l’armée, de la police, de l’appareil d’Etat – Réd.].

Cela étant dit, deux paramètres fondamentaux conditionneront un possible gouvernement Bolsonaro. Dimanche, nous serons face à un carrefour. Le rapport de force au plan électoral [à l’échelle du pouvoir présidentielle et aussi des gouverneurs], tel qu’il sera enregistré dimanche, aura beaucoup d’influence sur la conjoncture la plus immédiate.

Le premier paramètre est l’initiative politique de la présidence. Cela signifie le type de relation des institutions du régime avec la classe dominante et avec les impérialismes. Le gouvernement Bolsonaro ne sera pas seulement un gouvernement autoritaire préservant le régime semi-présidentiel. Il provoquera une subversion des relations de pouvoir entre les institutions et une dégradation du rapport de force entre les classes, imposant les conditions qualitativement les plus contraires à la lutte populaire.

Bolsonaro est un leader néofasciste. Toutefois, son projet politique, au cours des premiers mois, ne pourra pas se concrétiser en une institution immédiate du type d’une dictature fasciste, mais elle initiera une dynamique contre-révolutionnaire. Son plan sera de désentraver les blocages institutionnels, appuyé par la relation directe du capitaine Bolsonaro avec les masses pour que le gouvernement s’élève au-dessus du pouvoir judiciaire et du Congrès (pouvoir législatif) qui devront reconnaître sa légitimité, malgré leurs difficultés à l’accepter. En un seul mot: il s’agit d’une modification de régime.

Le néofascisme contemporain n’est pas une copie conforme du fascisme nazi des années trente. Il ne répond pas au danger d’une révolution. Le néofascisme bolsonariste est une réponse réactionnaire au lulisme. Il surgit comme un mouvement de classe moyenne contre les gouvernements du PT dans le contexte de crise économico-sociale la plus sérieuse des cinquante dernières années. Il était minoritaire dans la bourgeoisie jusqu’à ce deuxième tour.

Son projet est un changement bonapartiste du régime pour réaliser un choc dans le capitalisme brésilien. Son programme économico-social sera une continuité aggravée du gouvernement Temer et en plus radicalisé. Cela implique de repositionner la présidence comme une instance effective de pouvoir. Beaucoup plus de pouvoir pour elle. L’actuel régime politique au Brésil est un semi-présidentialisme, dans lequel s’est établi un certain équilibre de forces, de poids et de contre-poids entre la présidence, le Congrès [Chambre des députés et Sénat], le pouvoir judiciaire et les forces armées. L’actuelle présidence, c’est-à-dire l’exécutif, a des limites. Ce sont justement ces limites qui seront changées. Bolsonaro a pour stratégie de subvertir ces relations de pouvoir, en s’appuyant sur la victoire électorale. Il tentera de garantir une majorité solide dans le Congrès afin de changer le régime né de la Constitution de 1988. Les libertés démocratiques et l’existence légale des organisations des masses laborieuses et des mouvements sociaux seront menacées. Nous devons nous préparer à la criminalisation de la gauche.

Il pourra compter avec un appui des classes moyennes réactionnaires mais il n’est pas clair s’il aura l’appui de la majorité de la bourgeoisie pour ce projet. Même si elle s’est alignée, en fin de parcours, derrière Bolsonaro, par des initiatives discrètes, la classe dominante a tenté de l’encadrer. Toutefois, ils ont laissé un monstre prendre la tête d’une avalanche sociale.

Ils vont comprendre que le contrôle sera très compliqué. Bolsonaro aura l’appui du gouvernement Trump, mais les impérialismes européens ont pris leurs distances. De plus, le Brésil a comme son principal partenaire économique, en termes d’exportations (soja, sucre, etc.) la Chine [ce qui posera problème dans le cadre de négociations bilatérales Brésil-Chine, étant donné le différentiel de puissance – Réd.].

Le second paramètre renvoie à la situation qui certes est réactionnaire, mais n’est pas encore placée sous le signe d’une défaite historique du mouvement populaire. Les mobilisations populaires des derniers quinze jours, notamment le 29 septembre [mobilisation des femmes sur le thème EleNão], confirme qu’il y a encore des dispositions pour la lutte. Nous souffrons en réalité des conséquences de défaites partielles successives qui se sont accumulées depuis 2015/2016.

Une défaite historique a lieu seulement quand une génération entière est démoralisée et perd confiance en ses forces. Cela implique que les rapports de force en faveur de la contre-révolution organisée se consolident sur la durée. Quand une défaite prend ces proportions, comme en 1964 [début de la dictature militaire, avec sa consolidation en 1968 et les années 1970 – Réd.], une période intermédiaire est nécessaire pour qu’un processus d’accumulation de forces parvienne à maturité. Et aussi pour qu’une nouvelle génération se mette en mouvement dans une période historique nouvelle pour elle.

Ce que nous voyons dans les rues démontre que ce n’est pas le cas du Brésil pour l’heure. Même si Bolsonaro gagne dans les urnes, il devra se mesurer à la force de la rue. Les luttes décisives sont devant nous. (Article publié sur le site Esquerda online, traduction et édition par Rédaction A l’Encontre)

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[1] L’article date du 27 octobre 2018, soit la veille du second tour.

[2] Legenda de aluguelest une expression qui définit les partis n’ayant pas d’idéologie et d’objectifs électoraux et qui n’existent que pour permettre à leurs dirigeants d’obtenir des avantages personnels et politiques en échange de leur appui à d’autres partis politiques. (Réd.)

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