République démocratique du Congo. Kabila et le dossier cobalt, au premier rang

Par Colette Braeckman

Quel sera l’enjeu de la prochaine guerre du Congo, celle pour les ressources, qui a déjà commencé? Il s’agit du cobalt, composante essentielle des batteries électriques qui, à terme, devraient équiper nos voitures. Le cobalt, mais aussi les métaux rares (niobium, germanium, antimoine, tantale, tungstène, graphite), sont les vecteurs essentiels des technologies nouvelles, celles qui nous permettront de dépasser l’ère du charbon, celle du pétrole et même celle du nucléaire et nourrir non seulement nos véhicules, mais nos portables, nos ordinateurs, dotés de batteries rechargeables qui se retrouvent dans nos bureaux et nos maisons.

De la même manière qu’hier, le monde a eu besoin du cuivre, puis de l’uranium du Congo, et aussi du colombo tantalite, demain il devra se tourner vers le Congo qui détient la moitié des réserves mondiales de ce minerai stratégique. Et après les troubles qui suivirent l’indépendance, dont le cuivre du Katanga était l’un des enjeux, après les guerres des années 2000, qui visaient le coltan et la cassitérite, on peut se demander si, derrière les troubles actuels ne se profile pas, aussi, la future guerre pour le cobalt.

En effet, les autorités congolaises estiment que si le pays n’a pas bénéficié du boom du coltan au milieu des années 2000, il ne peut manquer celui du cobalt. C’est pourquoi, lors du récent salon consacré aux produits miniers Indaba Mining Africa qui s’est tenu en Afrique du Sud, les représentants de la RDC sont passés à l’offensive. Le ministre des Mines, Martin Kwabelulu, a avancé que le cobalt devait désormais être considéré comme un minerai stratégique et que, comme tel, le taux de redevances devait passer de 2% à 10%.  «Nous devons désormais mener des partenariats gagnant-gagnant et revoir en conséquence un code minier jugé dépassé», a souligné le ministre des Mines.

Rappelons que le Code minier actuel, adopté en 2002, fut pratiquement dicté par la Banque mondiale et le FMI. Il faisait la part belle aux investisseurs qu’il s’agissait d’attirer à tout prix dans ce pays ruiné par la guerre et il prévoyait d’importantes exemptions d’impôts et des possibilités de rapatrier les bénéfices sur des périodes de 30 ans.

Dès de la fin de la guerre en 2002, alors que le pays tentait difficilement, de se stabiliser, les investisseurs se sont bousculés et le Congo a connu un boom minier, la production du cuivre passant de 450 000 à un million de tonnes. Mais aujourd’hui, les autorités estiment que l’Etat – et a fortiori le peuple congolais – n’ont guère bénéficié de cette ouverture forcée à la mondialisation. Les «contrats chinois» dont la négociation avait commencé en 2006 ont été le premier symptôme du malaise entre le Congo et les Occidentaux.

En effet, alors que la première version de ces contrats prévoyait des investissements chinois pour une valeur de 9 milliards de dollars, en échange d’une quantité équivalente de cuivre, ces projets durent être revus à la baisse sous la pression des Occidentaux et se réduire à 6 milliards de dollars d’investissements dédiés, en grande partie, à la réhabilitation du réseau routier.

Cependant, l’opacité de ces contrats, l’existence de dessous de table importants suscitèrent de nombreuses critiques et de multiples rapports ont souligné l’intéressement de la famille Kabila dans les contrats miniers.

Ces failles ont affaibli la portée des propos d’Albert Yuma, le président de la Gecamines, qui est aussi le président de la FEC (Fédération des entreprises du Congo). Réputé proche du président Kabila, il a eu des mots très durs à l’encontre des investisseurs miniers occidentaux, qualifiant leurs pratiques de «délinquantes» voire de «criminelles».

La volonté congolaise de faire passer le taux de taxation du cobalt à 10% se heurte au «front» des entreprises minières, dont la suisse Glencore, un géant qui pèse 100 milliards de dollars et qui a été cité pour ses liaisons douteuses avec l’homme d’affaires Israélien Dan Gertler, un proche de Joseph Kabila et qui se trouve dans le collimateur de la justice américaine pour des faits de haute corruption, également cité dans les Panama Papers. Quant à Glencore, qui est abondamment citée dans les Paradise Papers, elle n’hésite pas à argumenter et à demander quel usage l’Etat congolais fera des taxes supplémentaires qu’elle serait amenée à payer…

L’exploitation du cobalt est tellement stratégique, pour les multinationales, pour l’allié chinois de la RDC (qui possède lui aussi une bonne part des réserves mondiales de cobalt et de terres rares), et in fine pour le développement économique du Congo lui-même, que la décision finale à propos de la taxation de 10% devra être prise au niveau de la présidence; qui fait aujourd’hui l’objet de pressions intenses.

Alors qu’il est désormais question de recourir à des procédures d’arbitrage (généralement favorables aux sociétés multinationales…), ce volet économique fait certainement partie de l’intense bataille politique qui se déroule actuellement en RDC où des puissances occidentales ont déjà parié sur d’autres acteurs qu’un Kabila dont le mandat a expiré et dont la légitimité a été érodée par de nombreuses affaires impliquant ses proches…

Ce n’est sans doute pas un hasard si le Botswana, un pays d’Afrique australe réputé, lui, pour sa bonne gouvernance et qui a conclu de profitables partenariats avec les sociétés occidentales (en particulier la sud-africaine de Beers), a publié un communiqué dénonçant la détérioration de la situation humanitaire en RDC et accusant le président de retarder les élections et d’avoir perdu le contrôle de la sécurité de son pays. (Article publié dans le quotidien Le Soir, en date du 28 février 2018)

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